Pourtant, constatant que, de toute la soirée, la duchesse n’ouvrait pas la bouche et que, l’heure de sa toilette venue, elle s’attardait devant son miroir à rêver en roulant distraitement sur ses doigts une longue boucle noire, la rusée Diana se dit que tout n’était peut-être pas perdu. Elle se promit de chanter peu à peu les louanges de Marcello. Ensuite, le garçon était bien assez beau pour achever la séduction…
C’était en effet l’audace de Marcello qui avait rendu Violante aussi rêveuse. Malgré son orgueil, et aussi, il faut bien le dire, son honnêteté foncière, elle ne pouvait s’empêcher d’être troublée en se rappelant le regard brûlant du jeune homme, et les notes ardentes de sa prière d’amour. Il l’aimait… il l’aimait assez pour avoir osé le lui dire. Il avait bravé sa colère, les convenances, le rang, tout ce qui aurait dû l’arrêter… Cet amour, sans doute, était bien fort, bien puissant, et la furieuse déclaration de la dernière minute n’était après tout que l’éclat du dépit. Et le lendemain, Violante de Soriano regarda Marcello Capecci avec d’autres yeux. Des yeux qui n’échappèrent pas au regard perspicace de Diana…
L’astucieuse suivante laissa passer quelques jours puis, un matin, voyant Marcello franchir à cheval la poterne du château, elle fit négligemment observer, comme par mégarde, que le jeune homme avait vraiment fière allure et qu’il était certainement l’un des plus beaux gentilshommes de toute la péninsule. Violante ne leva pas les yeux de sur sa tapisserie. Elle se contenta de dire :
— Tu crois ? C’est bien possible…
Mais une rougeur légère était montée à ses joues et la conviction de Diana en avait été renforcée ; elle parviendrait à jeter cette femme trop solitaire dans les bras du beau gentilhomme. Aussi se mit-elle à lui en parler de plus en plus souvent. Madame ne remarquait-elle pas combien ce pauvre Marcello était triste depuis quelque temps ? Qu’est-ce qui pouvait donc désoler à ce point un si beau et si vaillant gentilhomme ? L’amour peut-être ou alors la conscience de son peu de fortune ? Le monde, en vérité, était bien mal fait… Voilà un garçon qui avait tout pour y faire figure et même y tenir l’un des premiers rangs, seulement le sort cruel l’avait fait naître pauvre. Car pour sa naissance, il n’y avait rien à y reprendre : la famille était noble, antique même, et seule l’absence de fortune, toujours elle, l’avait empêchée de monter plus haut. En ce qui la concernait, Diana était prête à soutenir que la femme capable de s’attacher un tel homme, qu’elle fût reine ou princesse, devait se tenir pour la plus heureuse créature du monde.
La duchesse écoutait ces discours sans trop y prendre part mais peu à peu, ils faisaient leur chemin dans son esprit. Le jour où elle en vint à approuver Diana, la suivante comprit que la partie était pratiquement gagnée.
Bien entendu, tandis qu’elle modelait ainsi l’esprit de sa maîtresse, Diana prenait soin d’informer Marcello du mal qu’elle se donnait pour lui. Elle le tenait au courant des progrès réalisés chaque jour et l’encourageait à se tenir le plus souvent possible sur le chemin de la duchesse, mais lui défendait d’ouvrir la bouche.
— Laissez seulement parler vos yeux, beau Seigneur. Ce sera bien plus efficace.
Il obéissait point par point, ébloui des perspectives que lui ouvrait cette femme. Il avait seulement espéré dire un jour son amour à celle qu’il aimait, et voilà qu’on lui laissait entrevoir l’enivrante perspective d’une passion partagée.
Vint un matin où Diana, dans un couloir du château, lui souffla :
— Tantôt, Madame ira se promener dans les bois, sous ma seule garde. Arrangez-vous pour nous retrouver… et je m’arrangerai pour vous laisser seuls.
Un conseil qui n’avait pas besoin d’être répété. Quand la chaleur du jour commença à faiblir, Marcello rencontra la duchesse dans les bois qui environnaient Soriano et l’entretien qu’ils eurent dura peut-être un peu trop longtemps.
C’en était fait : la duchesse Violante Carafa était devenue la maîtresse du beau Marcello. Et Diana, certaine maintenant de la tenir sous sa coupe, s’abandonna enfin à la passion qu’elle éprouvait pour Fornari et lui céda. Qu’importait maintenant ? Elle saurait bien obliger Violante à la donner pour épouse à son amant.
Hélas, en devenant la maîtresse du jeune homme, Diana commettait une énorme faute. D’abord, parce que Fornari ne l’aimait pas réellement. Il avait pour elle un caprice, un désir passager qui, une fois assouvi, ne laissa aucune trace d’amour. Bien davantage, il fut vite effrayé par le caractère violent et emporté de la belle. Alors, comprenant qu’il était tombé dans un filet dont il aurait grand-peine à se dépêtrer, Domitiano Fornari prit le parti de fuir. Il ne tenait ni à être forcé d’épouser une maîtresse particulièrement encombrante, ni à rester à portée des Carafa s’ils apprenaient son aventure avec leur cousine. Une belle nuit, dans le petit port de Nettuno, Domitiano Fornari s’embarqua et disparut.
Sa disparition plongea Diana dans un véritable délire de fureur et de chagrin. Nuit et jour, elle emplit l’air de ses clameurs et de ses récriminations.
— Pourquoi est-il parti ? répétait-elle sans cesse. Nous nous aimions tant… Je suis sûre qu’il m’adorait…
— Dans ce cas, répondait la duchesse, qui essayait de calmer cette douleur un peu trop spectaculaire, s’il t’adore, il reviendra.
Mais les jours passaient sans ramener l’absent et les plaintes de l’abandonnée prenaient des proportions telles qu’un soir, exaspérée, Violante la pria de se taire :
— Gémir et récriminer ne sert à rien ! lui dit-elle assez sèchement. Tu devrais songer davantage à ton amour-propre et ne pas faire étalage d’une telle douleur pour un homme qui s’est enfui !
— N’ai-je donc pas le droit de pleurer mon malheur ? s’insurgea Diana.
— Si, mais moins haut !
La jeune femme se le tint pour dit, mais dès cet instant, elle voua à la duchesse une haine grandissante. La belle Violante avait beau jeu de prêcher la modération, elle qui goûtait chaque nuit les douceurs de l’amour avec Marcello. Peu à peu, Diana en vint même à se persuader que sa maîtresse avait elle-même fait partir Domitiano, pour éviter le scandale familial, et lui avait donné de l’argent pour fuir. De là à souhaiter se venger, il n’y avait qu’un pas. Et la vindicative Diana le franchit fort allègrement.
Le duc de Soriano et Palliano avait trop d’orgueil pour accueillir du premier coup la dénonciation d’une suivante, fût-elle de sa famille. Quand Diana Brancaccio vint lui dire que sa duchesse était la maîtresse de Marcello Capecci, il commença par hausser les épaules.
— Une femme qui durant quinze ans a été d’une fidélité à toute épreuve ? Qui a vu à ses pieds, sans s’émouvoir, tout ce que l’Italie, la France et l’Espagne comptaient de plus noble et de plus séduisant ? Tomber dans les bras d’un simple gentilhomme ? À qui ferez-vous croire une telle fable ? Pas à moi, en tout cas.
Diana avait pâli et serré les dents.
— Je saurai bien, seigneur duc, vous apporter la preuve de ce que je dis. Chaque nuit, quand vous vous absentez, pour la chasse ou pour vos affaires, la duchesse reçoit Marcello dans sa chambre.
— Quand je le verrai de mes yeux, je le croirai, repartit sèchement don Juan.