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Malheureusement, Diana n’était pas en peine de lui donner la preuve demandée. Un soir, alors que le duc chassait dans les environs, elle accourut, masquée et enveloppée d’une grande cape sombre, l’avertir que sa femme recevait Marcello à cet instant précis.

Quel mari serait demeuré insensible à pareille déclaration ? Don Juan retourna au château à bride abattue et courut à la chambre de sa femme. Elle était étendue dans son lit et donnait un ordre à l’une de ses femmes. Malheureusement, debout à quelques pas d’elle, regardant distraitement par une fenêtre et attendant visiblement qu’elle eût fini, il y avait Marcello. C’était plus qu’il n’en fallait pour enflammer le duc de fureur. Le cri de terreur poussé par sa femme en le voyant entrer avait d’ailleurs été très significatif.

D’un ton glacial, ignorant le regard à la fois implorant et terrifié de Violante, don Juan ordonna :

— Passe dans la chambre à côté, Marcello, et attends-moi.

— Monseigneur, commença le jeune homme, bien décidé à défendre sa maîtresse, laissez-moi vous dire…

Il n’acheva pas. Le duc l’avait saisi à la gorge et jeté dans la pièce voisine, où deux gardes le maîtrisèrent aisément. Puis, se tournant vers Violante :

— Vous demeurerez désormais dans votre chambre, Madame, et sous bonne garde. Seule, une servante aura accès auprès de vous.

Et il sortit, sans rien vouloir entendre d’autre, laissant la malheureuse femme terrifiée.

Dans ce temps sans pitié, on ne connaissait qu’une seule manière de faire avouer un coupable : la torture. Le malheureux Marcello, soumis au supplice de l’estrapade, tenta bien de faire croire au duc qu’il était l’amant de Diana Brancaccio, mais il ne fut pas cru et, le supplice continuant, il finit par avouer la vérité : il était l’amant très aimé de la duchesse. Dès lors, ses angoisses furent vite terminées : en trois coups de poignard, don Juan l’abattit à ses pieds.

Mais la dénonciatrice n’eut pas meilleur sort. La mort de Marcello n’avait pas suffi à apaiser la fureur du duc.

— Femme indigne d’être née d’une noble famille, s’écria-t-il en la saisissant par les cheveux, tu vas recevoir la récompense de tes trahisons !

Et, joignant l’action à la menace, il l’égorgea, puis ordonna que les deux cadavres fussent jetés aux bêtes sauvages.

Restait la duchesse. Malgré les aveux de Marcello, don Juan ne pouvait se résigner à la punir. Il l’avait beaucoup aimée, et avait du mal à oublier ces quinze ans de fidélité absolue qu’elle lui avait donnés. Il se contenta de la laisser enfermée chez elle, sous bonne garde, puis regagna Rome où un grave événement venait de se produire : le pape Paul IV, son oncle, n’avait pu résister à la douleur causée par la conduite de sa famille. Après trois mois de maladie, il était mort, le 18 août 1559. L’ordre d’exil tombait ainsi de lui-même d’autant que le terrible cardinal Carafa devait siéger au conclave.

D’ailleurs celui-ci, mis au courant du drame de Soriano, pressait Juan de faire disparaître sa femme comme il avait fait disparaître Marcello et Diana.

— Femme qui a trahi doit mourir, disait-il.

Et il ne se faisait pas faute de harceler son frère pour qu’il donnât enfin l’ordre fatal. Le malheur voulut que le propre frère de la duchesse Violante, don Ferrante d’Aliffe, homme dur et impitoyable, imbu de son rang et de l’impitoyable code de l’honneur espagnol, joignît ses injonctions à celles du cardinal. Le malheureux duc n’était pas de force à lutter contre ces hommes : le 28 août, il envoyait à Soriano une compagnie de soldats à laquelle se joignaient don Ferrante et l’un de ses cousins, don Leonardo del Cardine. Deux franciscains devaient assister la duchesse condamnée à périr.

Quand elle vit ces hommes entrer dans la chambre dont elle n’était plus sortie, Violante comprit que son heure était venue. Elle connaissait trop son frère pour attendre de lui la moindre pitié. D’ailleurs, elle n’en demandait pas. Pleine de fierté, elle savait revendiquer ses actes, et en outre, la mort de Marcello l’avait trop cruellement frappée.

— L’ordre de mon seigneur est-il que je meure ? questionna-t-elle froidement.

— Oui, Madame, répondit don Leonardo.

Elle demanda seulement à entendre la messe et à recevoir la communion, que lui donna le frère Antonio de Pavie. Puis elle se livra, avec un extraordinaire courage à son frère, qui s’était réservé le rôle, particulièrement inhumain, de bourreau. À l’aide d’un garrot, il l’étrangla. Violante Carafa mourut sans une plainte, sans même quitter la pose gracieuse et calme qu’elle avait prise dans le grand fauteuil où elle était assise. Son corps fut aussitôt enterré : elle était alors enceinte de six mois.

L’honneur des Carafa ainsi vengé, les bourreaux regagnèrent Rome avec la satisfaction du devoir accompli. Ce genre d’affaire n’était pas rare à l’époque. Malheureusement, le nouveau pape, Pie IV, élu le 20 décembre, était l’ennemi mortel des Carafa. De plus, le roi d’Espagne Philippe II entendait faire toute la lumière sur la mort de Violante de Cardona, duchesse de Soriano. Et lui aussi haïssait les Carafa.

Le sombre et puissant souverain obtint gain de cause. À la suite d’un retentissant procès, les assassins de la belle duchesse Violante furent condamnés à mort, ainsi que le cardinal Carafa. Dans la nuit du 4 mars 1561, ils furent conduits du château Saint-Ange à la prison de Torre di Nona, sur le Tibre, siège de la juridiction du prévôt de Rome, le bargello, où le duc, don Leonardo et don Ferrante eurent la tête tranchée.

Comme celle dont il avait voulu la mort avec un si incompréhensible acharnement, le cardinal, lui, fut étranglé.

Venosa  (NAPLES)

Les amants de Naples

Les appels de trompe, les aboiements des chiens, le claquement sonore et impatient des sabots des chevaux, tout le tintamarre d’une troupe prête à partir pour la chasse éveillèrent les échos de la via Monte Oliveto, à Naples, à l’aurore d’un beau jour de février 1523. La cour du palais du prince de Venosa était pleine de cavaliers, chasseurs, écuyers, pages retenant à plein poing les molosses de chasse, fauconniers et autouriers, dont les mains gantées de cuir épais portaient d’arrogants oiseaux encapuchonnés de brocart pourpre. Tous attendaient que parût le maître pour sauter en selle.

Il ne se fit pas attendre. La première flèche du soleil levant n’avait pas encore frappé le sommet du Vésuve que Carlo-Gesualdo, prince de Venosa, apparaissait et enfourchait aussitôt son cheval qu’un valet d’écurie lui amenait. Il jeta à ses compagnons un rapide coup d’œil et s’écria :

— En chasse, Messieurs !

Et piquant des deux, il prit la tête du brillant cortège, dont le furieux galop ébranla les voûtes de pierre du vieux palais. Bientôt, il n’y eut plus dans la cour que les valets et les servantes qui vaquaient déjà à leurs occupations matinales. Alors, la vieille femme dont la tête coiffée d’une haute cornette empesée était apparue à une fenêtre du premier étage quand le prince avait bondi dans la cour, poussa un profond soupir et rentra.

— Ce n’est pas possible, murmura la vieille Felicia pour elle-même. Ce n’est pas possible que monseigneur chasse dès ce matin. Il faut que je voie ce qu’il en est.

Et avec décision, elle se dirigea vers la chambre nuptiale. Car l’homme qui venait de partir en chasse avec tant d’ardeur avait pris femme la veille même et il était étrange de le voir déserter si tôt la chambre conjugale. Pour la vieille Felicia, nourrice de la jeune épousée, c’était un acte à la fois injurieux et proprement impensable.