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— Mais pourquoi vous ne me l’avez pas même dit ? s’indigna Danglard tandis qu’Adamsberg s’éloignait en vitesse vers la gare Montparnasse.

— J’étais en train de vous l’écrire en détail, dit Adamsberg en agitant son téléphone. Vous aurez tout ce qu’il vous faut pour la réunion de onze heures.

— Sauf vous, murmura Danglard, toujours déchiré vis-à-vis d’Adamsberg entre la réprobation et l’admiration.

D’un côté les manières de faire, de travailler et surtout de penser du commissaire exaspéraient le très rationnel Danglard, d’un autre il ne pouvait s’empêcher de suivre la direction imprévisible de son étrange boussole. Cette boussole, aussi déroutée et déroutante soit-elle, à croire qu’elle ne fonctionnait pas, il en avait besoin pour survivre à son anxiété. Elle était, en dépit de ses dérèglements, la lueur qu’il ne quittait jamais des yeux.

Adamsberg reçut un texto de Danglard alors qu’il sommeillait dans le train.

— Pourquoi le type s’est-il débarrassé de son jerrican ? Au lieu de le remporter ? On bute là-dessus.

— Pour que l’odeur ne risque pas d’imprégner les bijoux. C’est une odeur volatile et tenace. Un fourgue n’apprécie pas tellement que les bibelots sentent l’essence. Ça se suit à la trace, c’est difficile à revendre.

IV

Peu avant l’heure de l’interrogatoire à Combourg, Adamsberg se glissa dans le bureau de Matthieu avec quinze minutes d’avance. Les deux hommes échangèrent une solide étreinte et Matthieu examina son collègue.

— Tu n’as pas beaucoup dormi.

— J’ai dû régler une affaire à l’aube, j’ai un peu somnolé dans le train.

— Je te fais un café.

— S’il te plaît. Tu as eu Josselin au téléphone ?

— Oui, j’ai jugé préférable de ne pas l’informer du meurtre de Gaël par texto. Je l’ai simplement prié de rallier la gendarmerie de Combourg au plus vite, j’ai dit que j’avais besoin de lui, mais il n’a consulté son portable qu’à midi et demi.

— Réponse ? demanda Adamsberg en avalant son café à grandes gorgées. J’ai le temps d’allumer une cigarette ?

— On a neuf minutes, dit Matthieu en offrant du feu à son collègue, qui cherchait en vain son briquet dans toutes ses poches. Réponse aimable et neutre. Il finissait ses courses à Combourg et sera là à l’heure demandée. Il est bien entendu que tu ne poses aucune question, ce serait irrégulier.

— Cela va de soi, Matthieu.

À quatorze heures précises, Josselin frappa trois coups légers et entrouvrit la porte.

— Entrez, Josselin, asseyez-vous, dit Matthieu en lui serrant la main.

— Tiens, dit Josselin en souriant, Adamsberg. Vous ne pouvez plus vous passer de nous ?

— D’ultimes détails à régler. J’ai fait un crochet par Louviec et suis revenu saluer le commissaire.

— Et pour que vous ayez fait un crochet par Louviec, c’est qu’il s’est passé quelque chose.

Josselin s’affairait en même temps à brosser le bas de son épais pantalon de toile pour le débarrasser de la terre récoltée dans les bois. Pour se balader en forêt, il ne revêtait pas ses habits de vicomte.

— Pardon, dit-il soudain en se redressant. Je salis le bureau, veuillez m’excuser, je me conduis comme un malappris. Simple réflexe, il faisait humide ce matin dans les fourrés, mais la cueillette a été bonne, ajouta-t-il en montrant un petit panier. Figurez-vous que j’ai mis la main sur cinq morilles, ça devient rare à cette date. Catherine en sera ravie.

— Catherine est sa femme de ménage, précisa Matthieu à l’intention d’Adamsberg, qui trouvait ce début de conversation, de la part de Josselin, d’un naturel parfait, très improbable s’il avait su quoi que ce soit sur la mort de Gaël, ou pire, s’il l’avait tué.

— Monsieur de Chateaubriand, asseyez-vous je vous prie. Voyez-vous une objection à ce que j’enregistre notre conversation ?

Josselin plissa son regard mélancolique.

— « Monsieur de Chateaubriand » ? Et un enregistrement ? C’est donc un interrogatoire, Matthieu ?

— Ne vous en faites pas, vous ne serez ni le premier ni le dernier à subir mes questions. J’ai déjà interrogé sept de ceux qui se trouvaient à l’auberge avant-hier, et ce n’est pas fini.

— Interrogé sur quoi ? Que se passe-t-il, commissaire ?

— Gaël Leuven a été assassiné avant-hier soir.

— Quoi ? dit Josselin en élevant la voix et posant les mains sur les accoudoirs du fauteuil en bois, comme prêt à se lever.

— Assassiné. Comment se fait-il que vous n’en ayez rien su ? C’était trop tôt pour être dans la presse hier mais la nouvelle courait déjà dans tout Louviec.

— Hier, j’étais chez un ami d’enfance à Dol. Interrogez-le si cela vous intéresse. Mais Gaël ? Qu’est-il arrivé ? La discussion aurait à ce point mal tourné avant-hier soir à l’auberge ? Il faut reconnaître qu’il était fin saoul et qu’il distribuait les invectives à la ronde comme on sème du grain. Il a poussé la provocation trop loin ? Quelqu’un lui a fracassé une bouteille sur le crâne ?

— Pourquoi pensez-vous à une bouteille ?

— Parce que c’est déjà arrivé, il y a cinq à six années de cela. Il a traité Kemener d’« escargot baveux », et Kemener a bondi, bouteille en main, et l’a brisée sur le crâne de Gaël.

— Kemener est le directeur d’école, dit Matthieu en direction d’Adamsberg.

— Et il est vrai qu’il a tendance à beaucoup saliver, ajouta Josselin. Tout ce qu’il a réussi à faire, c’est à fendre le cuir chevelu de Gaël. Le patron, Johan, le seul costaud qui peut en remontrer au garde-chasse, a réussi à séparer les deux hommes et a téléphoné à la gendarmerie.

— Eh bien, monsieur de Chateaubriand…

— Interrogatoire ou pas, vous ne pourriez pas m’économiser ce « monsieur de Chateaubriand » ? Tout le monde m’appelle Josselin ici, ou Chateau, ou Chateaubriand.

Matthieu coupa le magnétophone.

— Je suis navré, Josselin, mais le protocole de l’interrogatoire enregistré exige que je vous appelle par votre nom. On pourrait autrement m’accuser de complaisance.

— Je comprends, dit Josselin. Alors poursuivez. Le protocole vous autorise-t-il à me dire ce qui est arrivé à Gaël ? Je ne peux pas le comprendre. Oui, c’était un provocateur, un ironiste, voire même une sorte de brute quand il avait trop bu, mais au fond de lui, comme on dit, c’était le bon gars.

— « Bon gars » ? Et c’est vous, qu’il a tant moqué, pas plus tard qu’avant-hier en vous aspergeant de vin, qui dites cela ?

— Rien n’assure qu’il ait renversé ce vin exprès, il titubait. Quant à ses railleries, ses attaques même, ça tombait un peu au hasard sur la tête de tout le monde, moi compris. Cela portait surtout sur des défauts physiques ou d’apparence, nez, cheveux, dents, oreilles, allure, ça n’allait pas bien loin car Gaël n’était pas bien beau lui-même et il le savait. Il se moquait aussi des maigrelets, des trouillards. Rien d’agréable là-dedans mais rien de très grave non plus.

— Et vous appelez ça un « bon gars » ?