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Il le rappela pourtant dès qu’il eut la réponse du légiste. Il devait reconnaître qu’Adamsberg ne s’était pas trompé.

— Tu avais raison. La lame a dévié son trajet d’un rien au lieu de filer droit jusqu’à la garde.

— Alors tu as bel et bien affaire à un faux gaucher. Ce qui élimine Josselin et grossit le nombre de tes suspects potentiels.

VII

Avec le retour d’Adamsberg à Paris, la routine reprit ses droits à la Brigade, sans nul cas « remarquable » susceptible de capter l’attention du commissaire. Du point de vue d’un flic, ce rare ralentissement des affaires était une aubaine à saisir. Beaucoup profitaient de cette période d’allègement pour réduire le rythme, récupérer, traîner à l’heure du repas, se consacrer à d’autres tâches, tel Danglard à ses recherches héraldiques – c’était sa préoccupation du moment – ou Voisenet à sa passion pour les poissons, spécialement d’eau douce. Le dépérissement de ces animaux sous l’effet du réchauffement et de la pollution l’atteignait comme s’il eût été poisson lui-même. D’autres, tels Mercadet et Froissy, génies de l’informatique, aspiraient à une longue et complexe recherche, qui ne venait pas. Retancourt, une femme dont l’action constituait l’essence même de son tempérament, partait en longues promenades à pas rapides pour expulser son trop-plein de puissance. Quant à Adamsberg, derrière son indolence, sa haine radicale du meurtre, son exaspération face aux tueurs furtifs, voilés, qui traversaient sa route sans qu’il puisse en deviner le moindre contour, se trouvaient privées d’exutoire et d’assouvissement, et il traversait les vieux bureaux avec plus de lenteur encore que d’habitude. Il s’ennuyait, très visiblement, mais ses collègues ne s’en inquiétaient pas, sachant depuis longtemps que le commissaire était très capable de vivre l’ennui sans que cela l’ennuie. Et que son esprit, pour une raison tout à fait incompréhensible, y compris à Adamsberg lui-même, traînait toujours à Louviec. Dès son retour, il s’était abonné en ligne à Sept jours à Louviec et à La Feuille de Combourg. Il y apprit que le talonnement du Boiteux se faisait toujours entendre, que les battues organisées par Maël n’avaient abouti qu’à la prise d’un vagabond, dépourvu de tout bâton, qu’on laissa poursuivre son chemin avec quelque argent en poche, et que sa fameuse cohorte s’était dissoute.

La pause dura peu. Huit jours après l’assassinat de Gaël Leuven, Anaëlle Briand, une jeune femme d’une trentaine d’années qui tenait avec sa cousine le magasin d’électroménager, avait été trouvée poignardée de deux coups de couteau à quelques mètres de sa boutique. Nul n’ignorait, précisait Sept jours à Louviec, dans une édition spéciale à dix heures sur le Net, que les cousines travaillaient tard après la fermeture, nettoyant les lieux, établissant la comptabilité du jour, réglant la paperasserie et les commandes. L’article de Sept jours précisait que la cousine d’Anaëlle Briand était partie à vélo vers vingt et une heures et Anaëlle sans doute une demi-heure plus tard, selon son habitude. Elle garait sa bicyclette dans une impasse au coin du magasin et c’est là qu’on l’avait poignardée. Sa cousine, inquiète de ne pas la voir rentrer – elles habitaient tout près l’une de l’autre –, était revenue sur place et l’avait découverte. Il n’y avait ni témoin, ni traces, ni mobile. Selon la police, il n’existerait aucun lien entre le meurtre de Gaël Leuven et celui d’Anaëlle Briand, qui n’avaient aucune relation commune. Anaëlle Briand, qui venait dîner à l’auberge chaque samedi, y gratifiait chacun d’un sourire et de quelques mots mais, selon les témoins, hormis ce cordial bonjour, on n’avait jamais vu la jeune femme en conversation suivie avec Gaël Leuven.

Une photo et un encadré accompagnaient le texte sous le titre « Anaëlle Briand était aimée de tous » : « Cet effroyable assassinat a plongé Louviec dans la stupeur. En effet, nul ne voit qui aurait pu en vouloir à la jeune femme. Les deux cousines étaient la gentillesse même, chaleureuses et souriantes avec tous les clients. Chacun s’accorde à dire que la mort sauvage d’Anaëlle est un insaisissable mystère. »

Adamsberg nota la date et les quelques faits dans son carnet. En même temps qu’il surveillait son téléphone. Le meurtre avait été découvert la veille à vingt-deux heures. Matthieu avait dû peu dormir, non plus que le légiste. Et depuis ce matin, il devait aller d’interrogatoire en interrogatoire. Mais ce n’était cependant pas dans les habitudes de Matthieu de ne pas même lui passer un message pour l’informer. Peut-être s’était-il fait reprocher par son divisionnaire l’ingérence d’Adamsberg dans une affaire dont il n’avait pas à se mêler.

Pendant que Froissy, collée à son écran, avait enfin trouvé une recherche impossible à mener et travaillait d’arrache-pied sur une image illisible, Adamsberg passa dans le bureau de Danglard où le commandant rédigeait le rapport sur l’attaque à main armée d’une petite bijouterie, l’avant-veille, qui avait blessé gravement le caissier. Les deux hommes étaient repartis les mains vides et les flics sans indices probants, hormis, selon le patron, qu’ils étaient jeunes d’allure, dans les vingt ans, que le « chef » avait la respiration un peu sifflante, que quelques cheveux roux sortaient par une maille de sa cagoule. En cherchant à la ranger dans son blouson avant de démarrer son scooter, la cagoule était tombée à terre. Une erreur d’amateur qui avait permis de relever l’ADN du jeune homme dans ses traces de salive. ADN inconnu au fichier. Sitôt dans ses mains, cette cagoule avait passionné Froissy : ce n’était pas une cagoule à côtes serrées ou en tissu polaire, mais tricotée à la main, à grosses mailles, comme pour permettre à l’homme de mieux respirer.

— Qu’est-ce qui vous intéresse tant dans cette cagoule, lieutenant ? avait demandé Adamsberg.

— Une idée de cinglée, sûrement.

— Dites, j’aime les idées de cinglée.

— On a bien un passant qui l’a photographié d’assez près quand il sortait de la boutique ?

— Oui mais ça ne sert à rien, Froissy, il portait encore cette foutue cagoule.

— Seulement, il s’agit d’une cagoule faite maison, à mailles larges. Voyez, je peux facilement passer mon doigt à travers les trous. Peut-être tricotée par la grand-mère pour que son petit-fils puisse aller au ski sans souffrir de son asthme. N’oubliez pas la respiration sifflante.

— Et donc ?

— Et donc je me demandais si, vu la largeur des espaces entre les mailles, en agrandissant la photo et en ne sélectionnant ensuite que les images livrées par les trous, cela ne pourrait pas nous donner au moins les contours du visage du gars, l’épaisseur de son nez, la longueur de ses lèvres, des choses comme cela. Plus probable que cela ne nous livre qu’une image grise inutilisable. Idée idiote. Je suis dessus avec Mercadet, il est imbattable en imagerie.