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— Tentez toujours, Froissy.

— Comment va le caissier ? demanda Adamsberg sans que Danglard ne lève le nez de sa machine.

— Un peu mieux. Ça n’est pas passé loin.

— On le trouvera. Froissy cherche son visage.

— Ah oui, et comment ? dit Danglard en s’interrompant.

— Dans les trous des mailles de sa cagoule.

Danglard écarta l’idée saugrenue d’un geste.

— L’abattage continue donc à Louviec ? dit le commandant. Pauvre femme.

— Comment le savez-vous ?

— Quand quelque chose vous importe, je m’informe.

— Je venais vous en parler. Le commandant divisionnaire de Rennes, Combourg et autres lieux, c’est quel genre de type ?

Pour ces questions comme pour tant d’autres, on pouvait questionner Danglard en toute certitude. Il connaissait les différents gradés de toute la police nationale sur le territoire, comme d’autres savent l’alphabet.

— Le Floch ? C’est un con, affirma Danglard. Un con, sans imagination, un studieux normatif et conformiste, qui ne voit jamais plus loin que sa courte logique.

— Comment a-t-il décroché un tel poste ?

— Ah, cela, c’est son autre facette. Il n’en a que deux d’ailleurs, c’est vous dire la profondeur de l’homme. C’est un roublard, un magouilleur, un voleur. Il s’arrange toujours pour piquer le travail des autres, c’est-à-dire leurs réussites. Il se débrouille pour espionner tout le monde et avoir barre sur ses subordonnés. Réellement un sale type, mais qui a manœuvré pour avoir partout des relations haut placées, dans « les sphères qui comptent », dirons-nous. Vous mélangez tout cela et au final, vous obtenez un malhonnête imbécile pétri d’ambition et devenu divisionnaire.

— Après le premier meurtre, ce Le Floch voulait coller Chateaubriand en taule. J’ai réussi à convaincre Matthieu de lui faire saisir l’ampleur de la bévue.

— Il y avait des preuves solides ?

— Des bafouillages de mourant ivre. Mais il avait été tué avec le couteau de Chateaubriand.

— On l’a retrouvé où ?

— Dans la plaie.

Danglard secoua la tête avec une expression de mépris.

— Il faut vraiment que quelqu’un en veuille à ce malheureux descendant des Chateaubriand, qui porte la si lourde croix de son ancêtre, pour mettre en place des pièges aussi enfantins. Mais le meurtrier va avoir beaucoup à faire. Car avant que là-haut, tout là-haut, dit Danglard en pointant son doigt vers le plafond comme si le ministère se trouvait au-dessus des combles, on accepte de toucher à un Chateaubriand, et surtout à Josselin qui semble être sa réincarnation, talent mis à part, il y a de la route à faire.

— Parce que ?

— Parce que Chateaubriand, novateur, devancier du romantisme, styliste grandiose, est une gloire nationale, reconnue à travers le monde, s’emballa Danglard, depuis le Canada jusqu’au Japon, le Brésil jusqu’à la Russie. Accuser son descendant Josselin, tant ressemblant, d’être un tueur, et c’est l’effet retour immédiat, la poussière de l’ignominie qui, malgré les décennies écoulées, couvrira de boue les épaules de l’auguste ancêtre. Sauf si des preuves réellement tangibles existent, tout sera mis en œuvre pour l’empêcher. Le second meurtre a donné des indices ?

— Matthieu ne m’a pas informé.

— Il me semblait pourtant que vous ne vous quittiez plus. Vous feriez bien de courir aux informations avant que le divisionnaire n’attire Matthieu dans des étangs bourbeux.

Adamsberg appela son collègue dès qu’il fut dans la salle commune. Il eut l’impression que le commissaire lui répondait d’une voix un peu contrainte.

— Ton divisionnaire t’a-t-il fait la leçon ? Il m’éjecte de la partie ?

— Il y a de cela.

— Et il y a autre chose.

— Un peu.

— Beaucoup. Concernant le meurtre d’Anaëlle. Quelque chose qui t’embarrasse tant que tu ne souhaites pas m’informer.

— C’est exact.

— Parce que vous avez d’autres éléments pour accuser Josselin, évidemment. Je me trompe ?

— Non.

— Et que ton crétin de divisionnaire se rue dessus pour assurer sa gloire. Ce n’est pas la gloire qu’il va trouver, Matthieu. C’est la poussière qu’il va mordre. Est-ce que la jeune femme a eu le temps de parler à sa cousine ?

— Non.

— Et le couteau. Resté dans la plaie ?

— Oui.

— C’est bien la première fois que j’entends parler d’un gars qui ne se débarrasse pas de son arme. Le rapport du légiste ?

— Cela va t’épater : elle est décédée de ses blessures, les mêmes que celles de Gaël. Et pas de ses piqûres de puces.

— Parce qu’elle avait des piqûres de puces ? Elle aussi ?

— Oui, elle aussi, répondit Matthieu un peu vivement, sentant croître l’attention d’Adamsberg dans la vibration de sa voix. Tu ne vas tout de même pas me dire que ce truc t’intéresse ? Elle avait un chien et voilà tout.

— Tu passes là-dessus un peu vite, Matthieu. Car Gaël, lui, n’avait pas de chien.

— Mais qu’est-ce que t’en as à faire, de ces puces, bon sang ?

— Beaucoup à faire. Au point que j’aimerais que tu demandes au légiste si ces piqûres étaient fraîches, et si Anaëlle portait des traces de piqûres anciennes. Même chose pour Gaël, s’il s’en souvient.

— Pour que le légiste se foute de ma gueule ?

— Et quand bien même ? Ce qui compte, c’est qu’on ait l’information.

— « On » ? C’est mon enquête, Adamsberg, ne viens pas y mettre le foutoir avec tes élucubrations. Et ces piqûres ne m’intéressent en rien.

— Inutile de t’énerver, je ne suis pas dans le coup. Je te demande un simple service qui ne te prendra que quelques minutes.

— Et qui te servira à quoi ?

— À mettre de l’ordre dans mes idées.

— Et depuis quand ordonnes-tu tes idées ?

— Tu es sacrément à cran, éluda Adamsberg sur un ton flegmatique. Je pose une dernière question et je te fous la paix.

— Au point où nous en sommes, soupira Matthieu. Envoie la question.

— Merci. Le couteau, c’était aussi un Ferrand, tout propre et neuf ?

— Oui, et cette fois, celui qu’avait acheté Josselin à Combourg était bien resté chez lui.

— Pas bien difficile, dans les quincailleries de Rennes, de se procurer le même couteau. Voire plusieurs.

— Plusieurs ? Pourquoi dis-tu cela ? Parce que tu penses qu’il y en aura d’autres ? Des meurtres ?

— Je ne sais pas, Matthieu.

Encore ce « Je ne sais pas », formule récurrente d’Adamsberg qui, aux yeux de Matthieu, recouvrait bien des pensées. Informes peut-être, mais des pensées. Et, au cours de leur précédente enquête, il avait pu voir germer puis éclore ces sortes de pensées enfouies et ne les négligeait pas. Matthieu sentait qu’il lâchait prise, que sa résolution de se passer du commissaire s’étiolait. De même que l’intérêt d’Adamsberg pour les affaires de Louviec tenait bon.

— Le couteau n’étant pas un indice, il y a autre chose pour que tu aies ton divisionnaire sur le dos.

Et une fois encore, et soudainement, Adamsberg sentit son esprit aller vaguer ailleurs, vers les vases, et manqua la réponse de son collègue.