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— Je ne t’ai pas entendu, s’excusa-t-il.

— Parce que je n’ai rien dit.

Adamsberg se répétait sa dernière phrase prononcée et n’y trouvait strictement rien qui justifiât sa subite errance.

— La situation se présente si mal que cela ? reprit-il.

— Tu avais parlé de deux questions. Pas de trois.

— Je ne fais que te demander ton avis.

— Eh bien oui, c’est grave. Josselin sera en taule avant ce soir.

— Laisse-moi réfléchir un peu. Tu sais que cela me prend du temps.

Et Matthieu, au lieu de se rebeller, posa son téléphone et attendit. Adamsberg, incapable de se concentrer réellement, laissait passer en lui toutes les images de Josselin, nombreuses, qu’il avait parfaitement mémorisées, à la recherche d’un détail typique et facile à retourner contre lui. Sa pensée s’arrêta à l’Auberge des Deux Écus, au moment où il avait tendu à Josselin ce petit foulard de soie blanc qui s’échappait sans cesse.

— Sur le corps, affirma Adamsberg, vous avez trouvé le foulard ensanglanté de Josselin. Qui serait, selon vous, tombé sur la victime quand il se penchait pour asséner ses coups de couteau. Quelque chose de cet ordre. Je me trompe ? Confondant, accablant.

Matthieu ne répondit pas, d’où Adamsberg déduisit qu’il avait vu juste.

— L’assassin a frappé depuis la gauche ? Comme pour Gaël ?

— Oui.

— Et les coups de couteau ? Toujours un rien interrompus et dirigés vers la droite ? Un peu déviés ?

— Oui.

— Ton tueur est un faux gaucher, c’est décidément certain.

— Mais le foulard bon sang ! éclata Matthieu, abandonnant toute réserve. J’en fais quoi du foulard ?

— Un anti-indice, Matthieu. D’abord le propre couteau de Josselin, ensuite un tueur soi-disant gaucher, ensuite son foulard, qu’il est si facile de ramasser, qu’il le perde à l’auberge ou dans la rue, ou même chez lui où l’on entre comme dans un moulin et où doit se trouver toute une collection. Ton assassin ne semble pas se soucier de ses victimes, comme s’il les prenait au hasard.

— On en revient là. Parce qu’il cherche à faire entauler Josselin ?

— Ou le contraire, Matthieu, ou le contraire.

— Je ne te comprends pas.

— Qui trop accuse mal accuse, Matthieu. Tu penses pouvoir freiner ton crétin de divisionnaire ? Tu sais qu’il a la réputation d’être un imbécile doublé d’un magouilleur qui s’attribue les victoires des autres ?

— Non, cette fois, je ne pourrai pas le freiner. Arrêter le fameux Josselin de Chateaubriand, il s’imagine que cela serait sa consécration, son nom dans tous les journaux et toute la suite.

— Tu es au commissariat de Rennes en ce moment ? Si oui, prends tous tes hommes libres et écume les grandes surfaces et divers magasins d’outillage de la ville pour savoir si un type – ou une femme – a acheté récemment un ou plusieurs couteaux Ferrand. Un seul à la fois, dans des boutiques diverses. N’oublie pas que c’est un jeu d’enfant de se travestir. Fais aussi tous les commerces de déguisements, postiches, perruques, teintures, lunettes et tout le bazar.

— Je lance l’opération. C’est foutu pour Josselin, n’est-ce pas ?

— S’il n’y avait pas ton abruti de divisionnaire, non. Mais avec lui, je ne donne pas cher de sa peau. Attends, donne-moi encore une seconde. Sur le premier couteau, celui de Josselin que le tueur a laissé dans la plaie, les rivets du manche étaient-ils dorés ou argentés ?

— C’est important ?

— J’ai été regarder des couteaux Ferrand chez un quincaillier. Il m’a montré deux modèles, un à rivets dorés, un à rivets argentés. Celui à rivets dorés est nettement plus cher et le bois de meilleure qualité.

— Trois rivets dorés pour Gaël, dit Matthieu après avoir consulté ses photos.

— Bien. Il est possible que le tueur n’ait pas mémorisé ce détail et ait acheté le moins cher, à rivets argentés. Tu le vois sur la photo ?

— Oui, rivets argentés.

— Eh bien tu peux être certain, absolument certain, que Josselin, qui tenait à son couteau, a racheté exactement le même, avec des rivets dorés. C’est un autre homme – ou femme – qui s’est procuré le deuxième couteau. Fais valoir cela aussi auprès de ton Le Floch. Et n’oublie pas les puces.

— Ça ne risque pas, dit Matthieu, mais cette fois, il y avait un vague sourire dans sa voix.

Deux heures plus tard, Adamsberg tournait encore dans son bureau, allant et venant d’un mur à l’autre, enjambant les bois de cerf qui traînaient au sol – souvenir d’une enquête ancienne –, notant un mot de temps à autre. Il s’arrêta pour écrire « cordial, chaleureux, épaules, dos », et rejoignit Froissy et Mercadet penchés sur un écran.

— Ça donne quoi ?

Mercadet lui montra une page couverte de petits carrés grisâtres de différents tons.

— Ce n’est pas exactement un portrait-robot.

— Attendez, commissaire, on n’a pas optimisé la pixélisation, effacé les zones noires, fait les liens ni colorisé. Il reste un vague espoir.

— Très bien, optimisez, dit Adamsberg qui n’y saisissait rien et qui, l’esprit ailleurs, songeait aux gros titres du lendemain : « Arrestation de Josselin-Arnaud de Chateaubriand, le tueur sauvage de Louviec. »

VIII

Danglard sortit de son bureau, agitant un bras, adressant au commissaire de grands signes muets lui enjoignant de venir le rejoindre sur-le-champ.

— L’attaché et premier secrétaire du ministère de l’Intérieur en ligne, lui murmura-t-il. Ça urge, hâtez-vous.

— Qu’est-ce qu’on a pu faire comme connerie ? chuchota Adamsberg.

Danglard le poussa dans le dos, l’assit dans son fauteuil et lui plaça le téléphone en main. Adamsberg salua avec toute la déférence voulue mais le premier secrétaire économisa les préliminaires pour en venir droit au but, parlant aussi vite que possible.

— L’affaire de Louviec, commissaire Adamsberg. Gagnons du temps, j’en connais tous les détails. Je n’ai jamais cru en les qualités du divisionnaire Le Floch mais il allait passer toutes les bornes de la stupidité et de l’inconscience en arrêtant incontinent Josselin de Chateaubriand. Le ministre l’a stoppé en plein vol et Le Floch est provisoirement remplacé par votre divisionnaire, jusqu’à plus ample informé. C’est-à-dire que vous prenez l’enquête en main toutes affaires cessantes, ainsi en a décidé le ministre, si paradoxale soit votre réputation. Embarquez avec vous tous les hommes qu’il vous faut, n’hésitez pas à demander des renforts, vous avez carte blanche, et bloquez-moi ce tueur qui s’acharne, outre ses immondes forfaits, à mettre en cause Josselin de Chateaubriand. Le ministre est fou de colère.

Le secrétaire marqua une pause qui n’appelait pas de réponse et reprit plus calmement.

— Je vous ai transmis la teneur des propos du ministre, et jusqu’à son humeur. Je sais que vous avez été deux fois à Louviec, travaillé en toute camaraderie avec votre collègue Matthieu, un excellent élément, et bloqué une première fois les initiatives désastreuses de son divisionnaire. Comment vous y êtes-vous pris ?

— Absence d’accusation, incohérence et, les faits récents le confirment, un excès de preuves digne d’un demeuré. Ce qui n’est pas le cas de Josselin de Chateaubriand.

— Certes non.

— Mais l’affaire ne sera pas simple, monsieur le secrétaire. C’est à croire que le meurtrier frappe au hasard mais cela non plus, je ne le pense pas.

— Pourquoi ?

— Je ne sais pas, monsieur le secrétaire, une sensation vague.