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— Elle écrase sec, dit Berrond.

— Elle est surtout étranglée, dit Retancourt qui regardait le visage bleui sur l’oreiller. Et depuis un moment. C’est pas joli à voir. C’est donc bien cette nuit que Robic comptait s’enfuir. Sacrément rapide, le gars. S’enfuir, mais pas en laissant le fric à sa femme. Ni tout ce qu’elle savait sur lui. Il a ouvert la fenêtre de la chambre – elle est facilement accessible – pour égarer un peu les enquêteurs parmi la foule des invités. J’appelle le commissaire.

Retancourt composa le numéro d’Adamsberg qui, boitillant sur le chemin de la Malcroix et la route de Montfort-le-Vieux, tentait vainement de repérer la trace d’un véhicule, accroché aux bras de ses gardes.

— Tout est pavé, dit Matthieu, on ne trouvera rien.

— Matthieu, dit Adamsberg en raccrochant. Il a étranglé sa femme.

— Avec tout ce monde dans la maison ?

— Au contraire, ça l’arrangeait. Il avait probablement prévu de la tuer dans la nuit, avant de monter dans cette voiture. Mais le hasard l’a servi. Elle était allée dessaouler dans sa chambre et il est allé voir comment elle allait très peu de temps après. Il l’a étranglée et expliqué aux invités qu’elle dormait comme une souche, qu’il fallait la laisser tranquille. Tout le monde l’avait vue boire comme un trou, personne ne s’en est étonné. Pour Retancourt, cela prouve que Robic comptait bien partir cette nuit. Sa femme en savait bien trop, elle devait y passer. Ce qu’a entendu le jardinier. Et pas question non plus de lui laisser son fric. Double mobile.

— Donc filer précipitamment. Cela, on l’avait prévu au moins. Tu te rends compte qu’il n’a eu qu’une soirée et une journée pour organiser le coup ? Les complices contactés, plus de onze appels téléphoniques, la chaîne de voitures déjà en place. Vif comme l’éclair, a dit Josselin. Lui et Maël avaient eu raison de tout craindre. Succession de transports jusqu’à Sète et embarquement. On n’aurait jamais dû lui laisser un portable.

— En ce cas, il aurait utilisé celui de sa femme. Ou du gardien. Ou d’un domestique. Et en changeant le numéro. Aucune différence.

Adamsberg appela de nouveau le légiste pour lui annoncer qu’un second cadavre l’attendait.

— Qui cela, bon Dieu ?

— Sa femme. Robic l’a étranglée. Il l’avait prévu avant de s’enfuir cette nuit. À propos, il a fini son repas aux alentours de vingt heures.

— Vingt heures ? Alors d’après mon début d’autopsie, il est mort une heure après, ou un peu plus.

— Et surtout, docteur, n’oubliez pas : cherchez des piqûres de puces fraîches sur Robic. Il en aura. Et les coups de couteau profonds auront dévié.

— Bon sang, Adamsberg, s’écria Matthieu, on a dit que ce n’était pas l’œuvre du tueur de Louviec.

— Tu l’as dit, répondit doucement Adamsberg. Donc, docteur, cherchez-nous ces piqûres. Et appelez une seconde ambulance pour la femme.

Matthieu secouait la tête, un peu perdu.

— Cigarette ? proposa-t-il.

— J’aimerais bien boire un triple café surtout, dit Adamsberg en allumant sa cigarette à la flamme de Matthieu. Et ça remettra Verdun en place, il s’est éloigné pour vomir tout son saoul. Mais d’abord, on cherche les bagages de Robic.

Bagages qui se trouvaient tout simplement dans l’armoire de sa chambre : dans un sac à dos – plus discret qu’une valise –, du linge pour cinq jours, ses affaires de toilette, ses lunettes, un portefeuille contenant quelque trois cents euros, une carte d’identité et un passeport déjà vieillis mais valides, au nom de Jacques Bontemps, aucune arme, aucun bijou. Adamsberg fronça les sourcils : comment ces papiers leur avaient-ils échappé ? Sans doute parce qu’ils s’étaient omnubilés – obnubilés ? – sur le coffre, ne procédant qu’à une visite trop rapide des meubles de la maison. Tandis que Robic, après l’arrestation de Gilles, puis de Domino et du Prestidigitateur, et bien que sûr de lui, avait pris la précaution de mettre ces documents de côté en cas de nécessité. Pour le reste, le sac ne contenait rien de suspect en somme, que le nécessaire classique d’un touriste, en cas de fouille, à l’exception, dans une trousse, d’une perruque châtain et d’une moustache assortie, de fausses lunettes, élément classique mais efficace, de la poudre noire pour se griser les dents, tous accessoires que Robic emploierait à mesure du voyage. Ainsi grimé, sa ressemblance avec le Jacques Bontemps des faux papiers aurait été assez convaincante.

— On embarque le sac et ce qu’il portait sur lui, conclut Adamsberg. Et on va aller le boire, ce triple café. Chez Johan.

Le photographe redescendait de la chambre de Mme Robic, où il avait pris tous les clichés.

— Dites, il n’y a pas été de main morte. Si je puis dire.

La seconde ambulance arrivait et les infirmiers y enfournèrent le corps de la femme. Jardinier, domestiques et garde de la propriété étaient massés sur le perron, n’affichant pas la moindre trace d’émotion.

— Bon débarras, bougonna le jardinier sans que personne ne s’en offusque, et ce fut le seul éloge funèbre auquel les Robic eurent droit.

Johan apprit le double meurtre avec stupeur et, avant de poser la moindre question, prépara du café pour tous. Matthieu renvoya les gardes du corps à leurs casernements et les gendarmes de Combourg et de Dol à leurs postes, avec les remerciements des deux commissaires. Le garde aux profonds yeux bleus se glissa près d’Adamsberg et murmura :

— S’il oublie, vous lui rappellerez ?

— Quoi ?

— Chateaubriand. L’ânon. Ma femme est d’accord et la foire est après-demain.

— Ne vous en faites pas. Donnez-moi un numéro où je peux vous joindre, dit Adamsberg en lui tendant une carte de visite chiffonnée qui traînait dans sa poche.

XLV

Les huit derniers policiers s’installèrent autour de la table où Johan avait servi le café en abondance, un petit verre de cognac pour Verdun, et des plateaux de ses biscuits secs faits maison.

— Pourquoi j’ai du cognac ? demanda Verdun.

— Parce que je vous trouve vert, lieutenant. C’était si dur que cela ?

— Pire que ce que tu peux imaginer, dit Adamsberg. L’assassin s’est déchaîné sur Robic.

— Si je comprends bien, mais vous êtes pas obligés de me répondre, c’est le tueur de Louviec qui a massacré Robic ?

— Ce n’est pas ce que pense Matthieu, dit Adamsberg.

— Mais si Robic a tué sa femme avant, c’est qu’il avait projeté de s’en aller la nuit même ?

— Précisément.

— Rapide comme un lièvre, dit Johan. Au fond, c’est ce que redoutaient Maël et Josselin hier. Qu’il disparaisse en deux temps trois mouvements.

— Si on était venus l’arrêter le soir même, mais avant vingt heures, il serait encore en vie, dit Adamsberg, et sa femme aussi.

— Je comprends, dit Johan. Il serait en vie mais bouclé. Et tu connais le sort que les prisonniers réservent aux tueurs d’enfant. Parce que ça finira par se savoir.

— Fais en sorte que ce soit le plus tard possible.

— Pourquoi ?

— Pour laisser le temps à ta petite de se remettre.

Le légiste appela et Adamsberg enclencha le haut-parleur.

— L’arme diffère, dit le médecin, et les coups ont été portés de la main droite et sans dévier.

Matthieu eut un léger sourire, qui n’échappa pas à Adamsberg. Le commissaire de Rennes triomphait.

— Quant au reste, commissaire, continua le légiste, outre les yeux, j’ai décompté trente-neuf blessures. De l’acharnement. Mais c’est bien le deuxième coup au cœur qui l’a achevé, sans doute entre vingt et une heures et vingt et une heures trente. Pour la femme, un étranglement classique, avec des mains vigoureuses, probablement autour de vingt heures, sans certitude. Cependant, et pour vous faire plaisir, j’ai examiné Robic sous toutes les coutures après qu’il eut été lavé. Et il avait trois piqûres de puces, toutes récentes. Aucune trace plus ancienne. Ce qui, je dois l’avouer, me laisse perplexe. Aucune sur sa femme.