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— Merci, docteur.

Le sourire de Matthieu s’était effacé mais il secoua de nouveau la tête.

— Impossible, affirma-t-il en fixant Adamsberg. Ce doit être leurs chiens qui ont des puces.

— Et il n’aurait pas de trace de piqûre ancienne ? Seulement ces trois-là ?

— Ce sont leurs chiens, répéta fermement Matthieu.

— Vérifiez dès maintenant, dit Adamsberg. Appelez les domestiques.

Le maître d’hôtel en charge des chiens fut scandalisé par la question de Matthieu, comme si le commissaire portait gravement atteinte à son honneur.

— Mes chiens ? s’indigna-t-il. Des puces ? Et pourquoi pas des tiques et des vers intestinaux tant que vous y êtes ? Sachez pour votre gouverne, commissaire, que les chiens sont traités et toilettés plus que nulle part ailleurs et leurs niches désinfectées. Et que personne ici n’a jamais été piqué. C’est mon travail et je l’exécute mieux que personne. Sans jamais le confier à quiconque.

Matthieu mit quelque temps à calmer la colère du maître d’hôtel avant de raccrocher.

— D’accord, concéda-t-il, il s’agit du tueur de Louviec. Mais en ce cas, pourquoi ne pas déposer un œuf ?

— Peut-être parce qu’il n’en avait pas, tout simplement, dit Verdun. N’oublions pas que dans le cas Robic, il a dû faire vite, extrêmement vite. Ce fut presque un meurtre imprévu, car depuis sa mise en liberté provisoire, il apparaissait certain que Robic s’enfuirait et serait hors d’atteinte.

— Admettons, dit Matthieu. Mais pourquoi ne pas avoir utilisé son quatrième couteau ?

— Comment cela ? demanda Berrond.

— Pour l’assassinat de Gaël, résuma Matthieu, il a utilisé le couteau volé à Josselin. Puis il en a acheté quatre à Rennes. Ils étaient réservés à Anaëlle, au maire, à la psychiatre et au docteur. Là devait donc s’achever son parcours criminel. N’est-ce pas ?

— Si l’on veut, dit Adamsberg sans conviction. Il a très bien pu ne trouver que quatre couteaux à acheter à Rennes, et encore, avec des rivets argentés. Mais ratisser les quincailleries de la ville pouvait éveiller les soupçons. Il s’en est donc tenu à ses quatre armes, remettant la suite éventuelle à plus tard.

— Si suite il devait y avoir, dit Matthieu. En tout cas, le cordon de sécurité autour du centre-ville l’a empêché d’atteindre le docteur et il a délégué la tâche à la bande de Robic.

— Il lui restait donc un couteau Ferrand, compléta Adamsberg. Un couteau destiné à tuer, mais inutilisé. Un couteau qui attendait son heure, pourrait-on dire. Pour le meurtrier, ce n’était plus du tout un couteau ordinaire. Qu’est-ce qu’il y a vu ? Un sens ? Un signe ? Lequel ? Que son œuvre n’était pas achevée ? Qu’il manquait une victime à son tableau d’honneur ? Que la purification n’était pas totale ? Oui, il le savait.

— Qu’entends-tu par « purification » ? demanda Matthieu.

— Une purge, une épuration, une élimination de tout ce qui avait causé son malheur. Il avait donc choisi des figures emblématiques de ses tourmenteurs. Il lui manquait la pièce maîtresse, il en était conscient, mais il n’avait pas envisagé de s’y attaquer. Trop difficile, trop risqué, et surtout trop parlant. Mais l’existence imprévue de ce dernier et précieux couteau le défiait, et il l’a malgré tout conservé pour le jour où une faille lui offrirait l’occasion d’achever son parcours. C’est pourquoi il a utilisé un couteau ordinaire pour assassiner Robic, qui n’était qu’une aubaine de plus que lui offraient les circonstances, un trophée supplémentaire à ajouter à sa liste.

— Liste dont on exclut Anaëlle, dit Matthieu, éliminée pour nous lancer sur une piste erronée.

— Peut-être, Matthieu, mais pas complètement. La disparition d’Anaëlle a son rôle à jouer là-dedans. Mais prenons Josselin par exemple, dont nous savons qu’il est un homme malheureux, en quelque sorte privé de son identité réelle. Et donc un homme qui pourrait faire payer les participants actifs à la malédiction qui pèse sur son nom et son visage, un homme qui pourrait les tuer pour alléger son fléau. C’est juste un film, Johan. La dernière phrase de Gaël l’accuse. De même que son couteau et son foulard sur le corps d’Anaëlle. Nous avons rejeté ces indices, car trop nombreux, trop voyants. Supposons qu’on ait eu tort. Le maire, qui croyait bien faire en ne pensant qu’à la prospérité de Louviec, était une figure type de ce qui oppressait Josselin : il le protégeait et le logeait, mais avec, en contrepartie, le devoir d’accepter le rôle du vrai vicomte envers les touristes et de se laisser photographier à leurs côtés. Ils étaient peu, ceux qui le traitaient normalement, sans jamais songer à son ascendance pas plus qu’à sa ressemblance inouïe avec l’aïeul. Johan était de ceux-là. Mais pas Gaël, qui s’amusait à le provoquer sur un des points douloureux en l’appelant sans cesse « vicomte ». Et il n’était pas le seul, loin de là, à lui donner ce titre. Mais il ne pouvait pas tuer tout Louviec, n’est-ce pas ? Il est possible qu’il ait ressenti chez Anaëlle, chez la psychiatre, chez le docteur, une considération respectueuse qu’il ne pouvait pas endurer. Et qu’il ait tué ces gens pour briser l’imposture qu’ils lui faisaient vivre. Quant à Robic, il avait un compte personnel à régler avec lui depuis son enfance, ses années de collège, de lycée. C’est déterminant, l’enfance, et elle peut expliquer à elle seule l’acharnement dont Robic a été victime.

Johan s’agitait, prêt à venir au secours de Josselin.

— C’est juste un film, Johan, répéta Adamsberg.

— Et l’œuf là-dedans ?

— Si l’on continue le film, l’œuf pourrait représenter tout le fardeau que lui faisait porter son ascendance, et dont il ne voulait pas. Il faisait écraser par ses victimes cette ascendance qu’ils avaient honorée, ou exploitée.

L’auberge se remplit dès midi et demi. Tous les habitués tenaient à la main une courte feuille spéciale publiée en hâte par Sept jours à Louviec, relatant les meurtres de Robic et de sa femme, survenus la veille au soir. Le rédacteur attribuait le premier au tueur de Louviec et le second à Robic lui-même.

— Ils ont fait vite, dit Matthieu. Alors même qu’on est un dimanche. Comment l’ont-ils su ?

— Les voitures de police autour de la propriété ce matin, dit Adamsberg. Quelqu’un aura prévenu Sept jours à Louviec. Les journalistes ont dû affluer sur les lieux, une fois les corps enlevés et les flics partis. Ils auront payé les domestiques et le jardinier en échange de toutes les informations qu’ils possédaient. De toute façon, il n’y a à présent aucune raison de tout tenir au secret. L’histoire s’achève.

— De quel point de vue ?

— Du tueur de Louviec. Bonne chose car j’ai été contacté par le ministre de l’Intérieur, fou furieux d’apprendre que nous avions laissé Robic en liberté. J’ai menti, dit que nous le tenions bel et bien sous surveillance serrée et continue, mais que le tueur était entré par un passage ignoré – le tunnel de Maël – et que nous n’avions rien pu faire. Il te faudra mentir à ton tour et informer tes gendarmes qu’ils étaient bien plus que six jusqu’à notre arrivée samedi soir. Y a-t-il un risque qu’ils te démentent ?