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— Non. J’avais choisi des hommes que je connais, triés sur le volet. Ils me suivront. Pourquoi dis-tu que l’histoire s’achève ?

— Disons que je le pense.

Adamsberg arrêta Johan qui courait entre les tables.

— Johan, peux-tu nous réserver la salle de l’étage, loin des clients ? Réunion spéciale. Au fait, quand Maël se pointera, amène-le-nous, mais attends qu’on ait fini de déjeuner.

— Pourquoi penses-tu que Maël va se pointer ? demanda Matthieu.

— Parce que c’est dimanche, parce qu’il viendra aux nouvelles. Il est comme ça.

Adamsberg prit un appel de Danglard. Il le pensait déjà au courant des derniers événements mais Danglard téléphonait pour tout autre chose : le mauvais portrait du jeune agresseur à la cagoule avait été reconnu par sept de ses amis et quatre membres de sa famille, le jeune homme avait avoué et était en détention.

— Pour une fois qu’une affaire se règle en vitesse, dit-il, et il félicita Froissy et Mercadet pour leur idée novatrice de traquer un visage au travers de mailles trop lâches.

Avant de s’installer, Adamsberg lut l’article spécial consacré à la tuerie de la veille et le tendit d’un geste désabusé à son collègue.

Matthieu le parcourut rapidement avant de le poser d’un geste rageur sur la table.

— Ils se félicitent de la mort de Robic, mais nous, les flics, on s’en prend plein la gueule.

— On a l’habitude, dit Berrond, qui attaqua le plat sitôt que Johan l’eut posé sur la table. Qu’est-ce qu’on nous reproche ? D’être infoutus capables de mettre la main sur le tueur de Louviec ?

— Évidemment, dit Matthieu. Mais aussi d’avoir lâché la bride à Robic, d’avoir été négligents et permis ainsi son assassinat sans compter celui de sa femme. C’est plutôt grave.

— Et que répondre à cela ?

Le plat circula à la ronde en silence.

— Même chose, dit Matthieu. Qu’il était sous surveillance serrée sur tout le pourtour de la propriété.

— Ce qui est faux, dit Retancourt.

— Mais qui sera vrai, lieutenant, toujours vrai pour nous tous. Et cela expliquera que l’homme de garde qui faisait les cent pas de part et d’autre de la vieille porte ait manqué de peu l’entrée du tueur dans le tunnel.

— Pardon d’avoir entendu, dit Johan en apportant le vin. Mais vous vous mettez martel en tête et vous avez tort. J’ai pris ma décision. La petite va bien. Elle ne présente aucun signe de choc, comme on dit, mais je ne suis pas spécialisé là-dessus. Elle verra un thérapeute, c’est promis, commissaire, mais je vais aller dire la vérité aux journalistes. Sur les médicaments. Ils savaient qu’elle avait été conduite à l’hôpital pour contrôle de son état, mais pas qu’elle avait avalé une dose massive de barbi…

— …turiques, compléta Adamsberg, toujours réconforté de trouver en Johan un compagnon aussi hésitant que lui face à certains termes difficiles. Quant à ton projet, Johan…

— Non, Adamsberg, coupa Johan, et tu me feras pas changer d’avis. Car dès qu’on saura que Robic avait voulu tuer ma gamine, vous verrez toute la presse, et même le ministère, virer de bord du tout au tout. Alors finie la « négligence des flics ». Ils ont sauvé une enfant, les lauriers sont pour eux.

— Johan, insista Adamsberg, tu ne crois pas qu’il serait mieux d’attendre un peu ?

— Pas question. Y en a assez de vous voir traînés dans la boue. Moi, je le supporte plus. Alors je parlerai. Et l’assassinat de sa femme, c’était pas prévisible.

Johan se retira avec dignité et les policiers se sondèrent du regard.

— Il n’a peut-être pas tort, dit Matthieu.

L’avis de Matthieu emporta l’adhésion de ses collègues et le déjeuner s’acheva dans une ambiance plus allégée. Maël ouvrit la porte alors qu’ils prenaient leur troisième café, et Adamsberg sortit faire signe à l’aubergiste.

— Si tu as le temps, dit-il, viens nous rejoindre. Ça m’évitera de te faire un long résumé.

— Ça a l’air sérieux.

— Ça l’est. Viens.

Johan suivit Adamsberg et s’installa au bout de la table.

— D’après ce qu’on comprend, disait Maël, le journal à la main, Robic comptait bel et bien se défiler dans la nuit puisqu’il a tué sa femme avant.

— C’est ce qu’on comprend, confirma Adamsberg en lui désignant une chaise isolée.

— C’est là que je dois m’asseoir ? demanda Maël. Mais pourquoi ?

— Parce que depuis la mort de ton chien, tu es infesté de puces, dit Adamsberg. On en attrape tout le temps. Alors c’est mieux de garder la distance.

— Comme vous voulez, dit Maël sans s’offenser. Le tueur, il est passé par le tunnel ? Ils en parlent pas.

— Par le tunnel en effet. Et ressorti par là très peu de temps avant qu’on encercle la propriété.

— C’est bizarre, dit Maël, parce qu’hier, après vous avoir laissés, j’étais toujours pas tranquille et même pas capable de me concentrer sur mes chiffres. Fallait que je voie ce qu’il trafiquait. Il y avait encore une de leurs foutues fêtes dans sa baraque, le portail était grand ouvert et je suis rentré comme une fleur, avec mon plus beau costume. Je me suis planqué derrière le grand hortensia qu’était déjà bien en feuilles, à l’angle de la maison. Comme ça je pouvais avoir un œil sur Robic, côté sud et côté nord. Je pensais pas au tueur, je pensais aux manigances de Robic. J’y étais, disons, vers vingt heures quarante-cinq. Et j’ai vu personne arriver par le tunnel. Mais le tueur était peut-être déjà sur place. Un type est passé devant moi, ça aurait pu être n’importe quel invité, mais il se tenait tête baissée et regardait sans cesse en arrière. Je suis sorti de mon massif et je l’ai suivi et, une fois encore, on est sortis par le portail comme une fleur. Comme deux fleurs. Il ne regardait plus derrière lui, il a mis un sac dans le coffre et il s’est installé dans sa voiture. Tu t’es gouré, Maël, je me suis dit, c’était un invité qu’avait pas envie de dire au revoir à tout le monde.

Durant le récit de Maël, Adamsberg faisait rouler sous sa paume un bouchon de liège qu’il avait empoché, parce qu’il portait un mauvais portrait à l’encre grasse de Chateaubriand. Le vrai. Un souvenir, en quelque sorte. Puis il rattrapait le bouchon, le faisait tenir en équilibre sur une face, puis sur une autre, et reprenait son manège en le faisant glisser lentement sous sa main. Le commissaire ne semblait attentif qu’à ce petit jeu, indifférent aux propos de Maël, au point que tous les regards finirent par se river sur cette main et ce bouchon, et que le silence s’installa peu à peu, semblant se caler sur celui d’Adamsberg. Matthieu l’avait déjà vu une fois se livrer à ce manège machinal et y décelait le signe d’une invisible et grave préoccupation.

— Mais au cas où, finit par reprendre Maël, j’ai pu relever les trois premières lettres de sa plaque. RSC. Je me suis dit que ça pouvait peut-être vous intéresser parce que…

— Arrête ton baratin, Maël, dit Adamsberg d’une voix calme, stoppant net le mouvement de sa main, ramassant le bouchon et le fourrant négligemment dans sa poche.

— Comment ? dit Maël, aussi surpris que les autres membres de l’équipe. Ça vous intéresse pas d’avoir un numéro de plaque ?

— J’ai dit : arrête ton baratin, Maël.

— Mais quel baratin ? dit Maël en reposant son verre.

— Tout cela, ton hortensia, ton homme qui passe, la voiture, la plaque. Enfin, tout.

— Bon, dit Maël, boudeur, en croisant les bras. Si vous voulez rien savoir, après tout ça vous regarde. N’empêche que d’après les horaires qu’ils disent dans le journal, le type que j’ai vu sortir, c’était peut-être bien le tueur.