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Et puis est arrivé ce qui devait arriver : l’embryon est mort, et a provoqué une septicémie qui aurait pu t’emporter en un ou deux jours. Le docteur t’a emmené de force dans une ambulance avec lui. Avec ta fièvre, tu n’étais pas en état de lui résister. Le jumeau t’a été enlevé à l’hôpital de Rennes, ce qui t’a sauvé la vie.

Plié en deux sur lui-même, prostré, les bras serrés, Maël ne disait pas un mot mais on voyait qu’il écoutait sa propre histoire avec intensité.

— Et c’est cette perte qui a été l’élément déclencheur de tes meurtres. Mais avant, déjà, ta colère montait, et tu as joué au Boiteux dans les rues du village, pour « emmerder les gens », selon tes mots, c’est-à-dire les effrayer.

Maël baissa plus encore la tête.

— Rendu fou de chagrin après l’opération, tu as élaboré ton plan de vengeance. Tu as assassiné ceux que tu considérais comme les plus responsables de la mort de ton frère, ceux qui frappaient ta « bosse », et qui, à ton idée, avaient hâté ainsi la mort du jumeau, et ceux qui voulaient te la retirer. C’est-à-dire Gaël, Anaëlle, le maire, la psychiatre, et bien sûr le docteur qui t’avait emmené à l’hôpital. Pour le docteur, tu t’es retrouvé coincé par le cordon de sécurité des flics. Barrage efficace, mais qui comportait une faille : la poste. Nous n’avions aucun droit à ouvrir le courrier des habitants de Louviec. C’est par cette faille que tu es passé, et tu as délégué ton meurtre à Robic et sa bande. Dans ta lettre, tu as dû disséminer des vagues menaces, comme si tu en savais plus qu’en réalité. Mais ne crois pas que ce sont ces menaces qui ont décidé Robic. C’était que lui aussi avait un compte à régler avec le docteur, qui doutait sérieusement de l’authenticité de son fabuleux héritage américain. Et ça arrangeait diablement Robic de « mettre ça sur le dos » du tueur de Louviec. Tu lui donnais toute la méthode à suivre, sans te trahir, le couteau Ferrand, l’emplacement des blessures, l’obligation de frapper du bras gauche et l’œuf. J’en ai assez, je vais prendre un peu de chouchen. Qui m’accompagne ?

Neuf bras se levèrent, y compris celui de Maël, et Johan sortit chercher la bouteille. On attendit qu’il soit de retour et que les verres soient emplis avant de reprendre. Johan écoutait le commissaire avec ahurissement et n’aurait pas voulu en perdre une miette. Chacun avala deux gorgées avant de reporter son attention sur le commissaire.

— Tu as fait preuve d’une formidable ingéniosité, digne de ta grande intelligence, reprit Adamsberg. Si le coup était donné par un gaucher, tu savais que la trajectoire du couteau ne serait pas la même que s’il était venu d’un droitier. Et c’est exact. Avec ton plâtre au bras gauche, tu étais donc insoupçonnable. Malheureusement pour toi, un droitier qui frappe du bras gauche n’a pas la même puissance qu’un vrai gaucher et la lame dévie légèrement. Cette petite déviation, qui montrait que la blessure n’avait pas été faite d’un seul trait, le médecin légiste l’a repérée. On savait donc depuis longtemps que le tueur était en réalité un droitier qui tuait du bras gauche pour nous égarer. Qu’il était en outre infesté de puces, car toutes les victimes étaient piquées. Mais ce ne fut pas le cas du docteur. Et, pas de chance pour toi non plus, l’homme choisi par Robic pour tuer le médecin était un vrai gaucher, et la différence s’est vue à l’examen des blessures. C’est ainsi qu’on a pu l’identifier, avec l’aide de Josselin. Attribuer ce crime au tueur de Louviec, comme tu le souhaitais, était donc impossible.

— Mais Maël est droitier, s’écria Johan. Et il n’a pas pu frapper de son bras gauche, il est immobilisé.

— Immobilisé ? dit doucement Adamsberg en s’approchant de Maël et lui attrapant le poignet.

— N’y touchez pas ! cria Maël. Il faut que ça se recolle, l’omoplate est cassée !

— L’omoplate est cassée ? répéta Adamsberg qui commença à dérouler la bande qui entourait la partie supérieure du plâtre.

Puis il éleva le bras de Maël à la hauteur des regards : une large entaille en V était pratiquée dans tout le haut du plâtre, sur son dessous.

— Je te laisse faire, dit Adamsberg, tu as plus l’habitude que moi. Retire ce plâtre.

— Mais je ne peux pas !

— Blessé de pacotille, plâtre de camelote, dit Adamsberg en tirant un coup sec à partir du haut du coude, mettant à nu le bras entier de Maël.

Adamsberg posa le faux plâtre sur la table.

— Un plâtre amovible, idée brillante, dit-il. Et à cause de ce plâtre, on a tous sauté à la conclusion : Maël, bien que couvert de puces, est éliminé d’office des suspects car les coups du tueur sont portés du bras gauche et que tu es plâtré. Plâtré, tu parles, fracture, tu parles. Ton bras va aussi bien que le mien. Pour un maçon, ce n’était rien à fabriquer. Outre le fait de t’exclure des suspects, ce plâtre, dont tu avais conçu l’ouverture assez large, te servait à cacher ton couteau avant le meurtre, ainsi que le sachet où tu glissais les plastiques qui protégeaient tes chaussures. Idée de génie, travail de professionnel, ça ne m’étonne pas que tu nous aies donné autant de fil à retordre.

— Et le massacre de Robic ? demanda Retancourt.

— Ah. Le déchaînement. Celui-là n’était pas prévu dans l’immédiat. Il te fallait réfléchir au moyen de l’atteindre. Car Robic n’habitait pas Louviec et ne traînait pas dans les rues au soir. Non, il s’enfermait dans sa demeure, où il n’était pas seul. Un cas difficile, donc, à méditer. Mais quand tu as appris que Robic avait été remis en liberté, tu as compris qu’il allait disparaître comme un courant d’air et t’échapper. Hors de question ! Robic devait payer ! Robic qui t’avait tourmenté, exploité, mais surtout Robic qui t’avait sans cesse tapé sur l’épaule – sur ton frère – depuis ta jeunesse et plus que tous les autres : tapé tous les jours et vingt fois par jour, pour se moquer de ta bosse, mais écrasant ton jumeau – croyais-tu – cent fois plus que tous les frappeurs réunis. C’était un coupable majeur.