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— Son « meurtre ultime » ? demanda Berrond.

— Je ne crois pas, rectifia Adamsberg. Mais une pierre indispensable sur son chemin. Tu savais, Maël, que chaque heure comptait, que Robic, une fois libéré, pouvait avoir filé le lendemain. C’était ce samedi soir ou jamais qu’il fallait t’organiser et frapper. Mais pas avec ton quatrième couteau. Non, pour celui-ci, l’évidence s’était renforcée, il était destiné au « meurtre ultime ». Mais bon sang, pourquoi ne pas avoir d’emblée acheté cinq couteaux ? Mais tout simplement parce que tu n’en as trouvé que quatre ! Car un Ferrand n’est certes pas un article très commun. Tu avais l’intention de t’en procurer un plus tard, et dans une autre ville. Mais l’urgence était là, te prenant de court. Tu as été rôder en voiture près de sa maison, et tu as vu qu’une fête s’y préparait à nouveau. Cela t’arrangeait. Au soir, tu lui as envoyé un message anonyme – depuis le téléphone de la bonne Louise Méchin. Et comment t’étais-tu procuré son numéro ? De la manière la plus simple : par Estelle Braz, avec laquelle tu t’entendais fort bien. À vérifier, mais je suis certain de ne pas me tromper. Prétexte ? Tu t’occupais de la comptabilité de la boîte de Robic, tu avais besoin d’un renseignement confidentiel de première importance. Le tour était joué.

— Bien sûr, approuva Matthieu. Estelle n’avait aucune raison de douter.

— Et donc, Maël, poursuivit Adamsberg, dans ce message, tu donnais rendez-vous à Robic derrière son cellier, quand la fête attirerait toute l’attention ailleurs. Tu sentais croître ta fureur et, te méfiant de toi-même depuis ta crise incontrôlée avec la psychiatre, tu as endossé un ciré et préparé un sac pour l’y mettre, au cas où. Et ce meurtre, tu n’avais plus l’intention de l’endosser. Car Robic était entre-temps devenu une cible primordiale pour la police. Bien trop de flics se mettraient en chasse pour une pareille victime et tu as choisi la prudence. Une fois sur les lieux, et voyant ton ancien tortionnaire approcher, tu n’as donc pas ôté ton plâtre comme à ton habitude mais donné ton premier coup de lame du bras droit, avec un grand couteau ordinaire et sans laisser d’œuf. Cela t’a contrarié bien sûr mais ta liberté primait. Puis, de le voir se tordant à terre t’a brusquement enflammé. Toutes tes souffrances de jeunesse se réveillaient et, pris de démence, tu t’es mis à frapper sans plus pouvoir t’arrêter. Jusqu’à ce que tu réalises qu’il y avait trente ou quarante personnes sur place et qu’il était grand temps de filer. Tu as alors donné le dernier coup mortel au cœur, ôté tes gants, le ciré, les sachets plastiques qui protégeaient tes chaussures, et tu t’es cavalé par le tunnel dont tu avais forcé les portes. L’œuvre était accomplie, ou presque, sans qu’on n’ait jamais pu te prendre. À un détail près qui t’a perdu : tu avais lâché une puce sur Robic. Fin de l’histoire. Tu étais venu au préalable nous trouver à l’auberge, et pourquoi ? Pour nous décrire ce tunnel qui débouchait sur le chemin de la Malcroix. Cela aussi, c’était malin, car quel meurtrier dévoilerait lui-même son accès ?

— Et les œufs ? dit Berrond. Pourquoi s’est-il mis à ajouter des œufs ?

— L’idée ne lui en est venue qu’après le deuxième meurtre. Il manquait quelque chose à son œuvre : son sens. D’un côté chaque assassinat soulageait sa colère, mais d’un autre il était frustré que nul ne puisse en comprendre la raison : l’œuf écrasé, fécondé, signifiait que la victime avait provoqué la mort d’un embryon, d’un fœtus. À ce propos, je vous rappelle que j’étais assez surpris que le maire ait parlé d’« embryon » et non pas de « fœtus ». Il avait donc su, certainement par son ami le docteur, ce qu’était en réalité la bosse de Maël. Ce pourquoi il a ajouté : « Prévenez le docteur. » Ou en d’autres termes « Prévenez le docteur du danger qu’il court. » Pour en revenir à cet œuf, fécondé, broyé, ce fut son moyen d’exposer sa raison d’agir.

Adamsberg se rassit et, à l’aide d’une serviette pour éviter les puces, releva lentement le menton de Maël pour croiser son regard.

— Tu aurais dû parler, Maël. On ne t’aurait pas considéré comme une bête curieuse, mais comme un homme doté d’une particularité d’une grande rareté. Cela n’arrive qu’à une personne sur cinq cent mille. Et nul n’aurait jamais osé frapper ta bosse.

Adamsberg laissa passer un silence et observa de nouveau les visages de ses collègues. Cette fois-ci, plus de scepticisme, mais un intérêt ardent, des regards concentrés. Johan, toujours ébahi, dont le regard allait sans cesse de Maël à Adamsberg, avait tout d’un homme éberlué et fasciné.

— Il faut que tu me suives, Maël, à présent, reprit doucement Adamsberg.

— À la police de Rennes, c’est cela ?

— Oui.

— Je m’en occupe, dit Matthieu, lisant son trouble sur le visage d’Adamsberg.

— Je préfère qu’Adamsberg m’accompagne, murmura Maël, j’me sentirais moins seul.

— Alors je viens. Je ne pense pas qu’on te mettra en prison. Personne n’oublie que tu as sauvé une fillette.

— Ils m’enverront chez les fous, hein ?

— Pas chez les fous. Dans une maison de détention pour troubles mentaux. Tu te rends bien compte qu’on ne tue pas comme cela et pour ce mobile sans présenter des troubles sérieux ?

— Oui, souffla Maël.

— Quant à la mallette que tu as confiée à ta sœur, qui ne contient pas un seul centime contrairement à ce que tu lui as fait croire, mais les restes de ton frère, je te l’apporterai, si tu le souhaites.

— Faudra que j’y pense. Ma sœur pourrait faire enterrer la mallette.

— C’est une idée, et bonne. Tu lui en parleras.

— Reste un truc que je ne saisis pas, dit Berrond. Pourquoi Maël a-t-il tout fait pour faire accuser Josselin, qu’il aimait bien ? Voler son couteau, imiter le pas du Boiteux, frapper du bras gauche, laisser son foulard sur le corps d’Anaëlle, cela fait beaucoup tout de même.

— Beaucoup trop, justement, dit Adamsberg. Il n’a pas semé ces indices pour incriminer Josselin – qu’il aime bien en effet – mais au contraire pour le protéger, sachant très bien, malin comme il est, que cet excès anormal de preuves nous détournerait de Josselin. Il n’était pas au courant des dernières paroles de Gaël. Comme il ne savait pas qu’on identifierait un tueur droitier et faux gaucher, mais de son point de vue, le couteau, le bras gauche, le foulard et même le Boiteux suffiraient à nous tenir éloignés de Josselin. Trop de preuves tuent la preuve.

— Comprends pas tout, insista Berrond. Pourquoi craignait-il qu’on accuse Josselin ?

— Parce que Maël savait que Josselin souffrait, comme lui, de ne pas être traité comme les autres. Qu’il était considéré, comme lui, comme une figure d’exception dans le village, ce qui l’insupportait, comme lui. Que de l’exaspération à la rage et de la rage au meurtre, il n’y avait que deux pas à faire, puisqu’il les ressentait lui-même. Maël avait créé un parallèle excessif entre lui-même et Josselin et il a redouté, une fois ses meurtres préparés, que la police ne tourne ses regards vers Chateaubriand. Il les a donc déviés.