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On mate la construction, on écoute. C’est le calme sépulcral. La voiture qui naguère était au parking fleuri est absente.

Le Gros grommelle son leitmotiv habituel :

— Et maint’nant ? On s’ fait cuire un œuf ou on s’ lave les pieds ?

En réponse, j’actionne le timbre de l’entrée. On l’entend ronfler à l’intérieur. Alors, comme rien ne s’opère, je m’exprime au moyen de l’ami sésame. Je titille à peine, trifouille fort peu. La serrure, intimidée, cède à mes instances.

Go in !

Un immense living que le clair de lune nous révèle discrètement. Des meubles de la Renaissance espanche, des reproductions de toiles universelles : Picasso, Braque, Dufy.

Dans un recoin tendu d’indienne, un énorme téléviseur fait face à un canapé deux places gonflé de coussins avachis. Il est flanqué d’un bar sur roulettes où les whiskies dominent. Il est probable que le locataire passe beaucoup de temps à regarder les programmes sud-américains.

— Fais le pet ! enjoins-je au Mammouth.

Cette expression signifie « fais le guet », mais il la prend au pied de la flatulence et ne perd pas l’occasion de m’interpréter un solo de tuba-soissons.

Je le laisse s’embaumer seul et me hâte de monter à l’étage, lequel, comme disait une académicienne du Fémina, n’est séparé du rez-de-chaussée que par un escalier.

Ces grandes habitations futuristes ont une caractéristique commune : leur petit nombre de pièces. Les architectes pour riches ont le génie de la place perdue. Ainsi, dans le cas présent, la chambre de maître à elle seule fournirait un superbe apparte pour une famille de quinze personnes.

Alcôve envoûtante au lit large comme une place de marché aux bestiaux, coin télé, coin gymnique, coin bibliothèque, coin repas, recoins multiples. Et coin bureau. Des marches de marbre conduisent à une baignoire surélevée, isolée de la pièce par des parois de verre. J’entreprends une exploration méthodique de cet endroit singulier, plutôt plaisant pour peu qu’on y vive à deux. Mais seul, on doit s’y sentir paumé, surtout quand, comme mégnace, on crèche dans un pavillon en meulière.

Je cherche les indices d’une présence féminine, même occasionnelle, et n’en trouve pas. Curieux mec qui reste solitaire dans cette construction à grand spectacle. Il a raison de partir en java, la nuit, sinon, malgré la beauté du site, il deviendrait vite neuneu.

Après mon examen d’ensemble, je me livre à des recherches plus minutieuses. T’en donne en vrac les résultats. Dans la table de chevet, je trouve un petit vaporisateur de poche contenant un gaz anti-agression. Sous le traversin, il y a un magnifique riboustin chromé, de calibre 9 mm, capable de transformer une peau de rhinocéros en bande pour limonaire. Dans la partie salle de bains, je découvre, sur la tablette du lavabo, un pot de porcelaine empli de poivre moulu, denrée efficace quand tu en virgules une poignée dans les falots d’un vilain. Sous la table à petit déjeuner, voici une sorte de dague à la lame effilée longue de vingt-cinq centimètres.

Mon inspection se poursuit et me permet de constater que cette taule, mine de rien, est équipée pour parer à des visites malintentionnées. Une vraie place forte, dans son genre. À se demander comment son locataire ose sortir sans garde prétorienne et dans autre chose qu’un char d’assaut.

Mais je ne suis pas au bout de mes surprises, comme on dit puis dans les livres à suspense du siècle dernier. Lorsque j’investigue le dressinge-roume et que j’ouvre la porte de la penderie, je me trouve nez-à-nez avec une photographie 13×18 punaisée contre la partie intérieure d’icelle. En découvrant ce portrait, les bras et la bite m’en tombent.

Car je connais l’homme qu’il représente.

Un type doté d’une assez belle gueule, ma foi. Je le classerais sans hésiter parmi les mecs séduisants, tu vois ? Le regard est profond, volontaire, enjôleur. La bouche sensuelle. Elle découvre une denture qui bouffe la vie et les chaglattes voracement. Ce qui éclaire surtout cette figure agréable, c’est la grande intelligence qui s’y lit.

Mais à quoi bon te faire languir davantage ?

Ce portrait, tenez-vous bien, amis lecteurs et trices, ce portrait C’EST LE MIEN !

CAPITULO NUEVE

À l’incrédulité succède la stupeur.

À la stupeur, l’effarement.

Tout autre que moi en pisserait dans son froc. Heureusement, et jusqu’à preuve du contraire, mes sphincters sont à toute épreuve. Donc, pas d’incontinence à déplorer. Mes testicules demeurent au sec.

Ayant quelque peu recouvré mon calme, donc ma lucidité, j’entreprends « d’explorer » la photo pour tâcher de déterminer où et quand elle fut prise. Elle me représente en plan moyen. Je suis coupé à la ceinture. La position de mes bras indique que j’étais en mouvement quand on m’a flashé. Pourtant ce n’est pas une attitude de marcheur.

Je me consacre à l’arrière-plan de ce cliché. À première vue, il semblerait qu’on m’ait photographié sur fond de ciel. À y regarder attentivement, ce n’est qu’en partie vrai. S’il y a du ciel, il se trouve tout en haut de l’image, très au-dessus de ma tête. Entre mes épaules et lui, la zone claire qui se révèle est celle d’une grande place que l’objectif, réglé pour une prise rapprochée, laisse dans une sorte de flou spectral.

Attends, ça me titille les cellules grises. Je me visionne à châsses perdues pour tenter coûte que coûte de retrouver ce bout d’instant de ma vie qui m’a été dérobé. Mes méninges font du home-trainer. Tu as déjà vu, dans un vélodrome, ces pistards immobiles sur leur vélo qui attendent qu’un des leurs attaque pour fondre sur lui tels des oiseaux de proie et tenter de le baiser au virage ? Me trouve dans une situation analogue. Je retiens ma gamberge pour laisser à la photo le temps de livrer tout ce qu’elle contient. Ma posture, par exemple…

Putain ! ça me cigogne brusquement la pastèque : là-dessus, je sors de ma Ferrari. Oui, la position de mon corps est éloquente. Je viens de m’arracher de mon bolide et ce petit truc pointu, en bordure d’image, c’est le coin supérieur de la portière. J’ai été photographié de l’intérieur d’une autre bagnole, ce de bas en haut.

Récapitulation : au moment où j’ai stoppé, une tire qui devait me filocher s’est rangée à ma hauteur, de l’autre côté de la chaussée, le temps qu’on mette ma bobine sur bobine. Moi, illustre tête de nœud, je n’y ai vu que du schwartz.

Où et quand était-ce ?

De quelle place s’agite-t-il ?

C’est pas un nom de place qui me vient, mais un nom de fille : Jeanne. Une môme de premier ordre. Étudiante en lettres. Brillante. Elle a écrit un bouquin sur moi titulé « Faut-il brûler San-Antonio ? » avec, en sous-titre, « Ou bien l’adorer ». Me l’a apporté à la Grande Volière, une fin d’aprème. Rosissante et hardie à la fois, comme le sont beaucoup de gercettes aujourd’hui. Elle avait mis une jupe plutôt brève, en jean, un sweater blanc, une sorte de boléro brodé. Elle était très brune, avec la peau mate et des yeux d’Indienne. Ses longs cheveux ramenés sur son côté gauche en une forte torsade tenaient par des élastiques.

Son « livre » se présentait comme une sorte de grosse brochure photocopiée.

Il m’a ému, probablement parce que la gosse était émouvante ? Je m’en suis saisi aussi gauchement qu’elle me l’a tendu. J’ai dit des trucs idiots dont je n’ai pas conservé le moindre souvenir.