Mais nonobstant ces promesses, pourtant précédées des faits (et d’effets), elle continuait de libérer son chagrin à gros sanglots salés.
Devant cette peine qui ne tarissait point, je m’alarmai, comme disait Mallarmé. En voulus connaître la cause pour tâcher de la lui extirper. Je n’eus de cesse qu’elle me livrât sa détresse.
J’obtins ses confidences. Elles me causèrent un certain émoi, tant le malheur d’une jolie femme est plus pathétique que celui d’une locdue tarte à en faire gerber un rat d’égout.
Contre toute apparence, son époux lui menait une vie d’enfer. Il la frappait plus que nécessaire pour assurer la bonne marche d’un foyer normal, lui infligeait des brimades et humiliations sans nom, la ployait à ses caprices, ce avec une persévérance sadique. Pas un jour ne passait, qu’il ne trouvât un moyen de la martyriser. Elle avait essayé de s’en ouvrir à son papa, mais celui-ci avait fait des affaires illicites avec la complicité de son abominable gendre et donc ne pouvait guère entrer en conflit avec lui.
Le chapitre des lamentations clos, elle passa à d’autres sujets qui, j’ose l’admettre, m’intéressèrent bien davantage. Non que je fusse insensible aux déboires conjugaux d’une aussi ravissante épouse, mais ce qu’elle me révéla concernait ma mission et donc avait priorité sur le reste. Cet être d’amour, à la sensualité de chatte humide, m’avoua qu’elle avait été chargée par son cosaque de me questionner la veille au soir, ce dont elle s’était acquittée avec répugnance, mais soumission. Comme une inclination spontanée la portait vers moi, elle avait été heureuse de constater ma loyauté et en avait fait part à l’abominable lieutenant de police. Plus tard, dans la nuit, j’avais téléphoné à Ramirez. Après ma communication, il jubilait et avait illico appelé le chef inspecteur Medialunas en lui disant :
« — Ce sera pour cette nuit : les Français font une visite illégale chez notre homme. Vous savez où il est ? Au Rafael ? Bueno ! Appréhendez-le discrètement, ramenez-le chez lui et faites le nécessaire avec un maximum de discrétion. Ensuite, il n’y aura plus qu’à intervenir et c’est les collègues parisiens qui porteront le sombrero[4]. »
Le sang (et du chouette, crois-moi) me monte au cerveau. Fumier de Ramirez ! Ainsi, il attendait une occasion propice de liquider le terroriste en gardant le nez propre. Et c’est ce tocard de San-Antonio qui la lui apporte sur un plateau !
Ah ! la chère et délicieuse Maria del Carmen ! Que de reconnaissance je lui dois ! Je passerai les jours qui me restent à vivre à lui grumer le clito, à genoux sur des tessons de bouteille pour lui revaloir l’inestimable présent qu’elle vient de me faire !
Le traître de Ramirez ! Ce sombre et bas fumelard ! Cette déjection de crapaud hydrophobe ! Comment qu’il m’a bité, le sagouin ! Je vais avoir encore davantage de bonheur à lui évaser sa gerce ! Charogne, faut que je la fasse reluire jusqu’à fond de cale, cette gentille frangine !
Tout en lui clapant la menteuse, sans préjudice de quatre doigts groupés dans la caisse enregistreuse, je songe à la bonté divine qui me permet d’avoir connaissance des noirs desseins de gens mal famés et de sale embouchure attachés à ma perte.
Je lui réitère une séance cosaque de belle venue qui, de nouveau, la met sur les rotules. Dès lors, je la couche in my bed, la borde, la baisote aux paupières, lui fais « langue pointue » dans les oreilles et décide de prendre un bain assaisonné de sels parfumés et vivifiants (d’après ce que prétend le sachet qui les contient).
Juste que j’achève mes ablutions, j’entends qu’on me hèle depuis ma chambre. Le temps de passer un peignoir, et je sors de la salle d’eau.
Je suis alors en présence de devine qui ? Tu donnes ta langue de vache ? T’as raison, car t’aurais jamais trouvé ; pas seulement de par ton manque d’intelligence, mais parce que ça ressemble trop à du Labiche.
Ramirez ! mon ami. Pas moins. Autrement dit l’époux ! The mari ! Mister Cocu, en cornes et en os ! De quoi se bouffer les couilles en vinaigrette, admets ?
Je file un coup de saveur au page. Sa madame s’y est lovée et a tiré le couvre-pieu par-dessus son académie. Ne dépasse d’elle qu’une touffe de cheveux que je devrais plutôt appeler une mèche. Je maîtrise complètement la légitime panique qui s’empare de moi.
— Je ne vous ai pas entendu frapper ! fais-je d’une voix maussade.
Il déclare :
— J’ai frappé !
Son regard est tout coagulé, tout vilain, que tu le prendrais pour deux glaves de tubard en train de phtisier.
— Asseyez-vous donc, lui proposé-je en lui offrant un fauteuil qui, si j’ose dire, tourne le dossier au lit.
Mais ce sale veau secoue la tête :
— Pas le temps.
— On prend bien le temps de mourir, débité-je, parodiant feu ma vieille grand-mère qui chipotait jamais sur les formules toutes faites.
Il ne tient aucun compte de ces fortes paroles et me lâche d’un ton grondant :
— Votre gros type a tout avoué !
— C’est-à-dire ?
— Il reconnaît avoir assassiné Kurt Vogel.
Mon radieux sourire le trouble quelque peu, je le constate à la lueur indécise de son œil salingue.
Il prend souffle et me demande :
— Vous ne me croyez pas ?
— Non, mon cher.
— Pourtant ses aveux ont été consignés par le juge Belgrano.
Mon sourire s’accentue. Je m’approche de lui et déclare aimablement en toquant sa poitrine de mon index :
— Notre type a été trucidé par l’inspecteur-chef Medialunas, sur votre ordre, cher Ramirez y Ramirez y Ramirez.
Là, je le cisaille au ras de la tige. Il s’attendait si peu à cela qu’il perd tout de suite pied comme le font les petits tyrans à trois pesos de sa détrempe.
J’ajoute, sans cesser de le scruter, à la manière dont tu regardes une coquille de bigorneau pour t’assurer qu’il ne reste plus rien de comestible à l’intérieur :
— Je viens d’envoyer un message codé à Paris, mon bon ami. Il va vous pleuvoir des bordures de trottoir sur la figure si cette affaire dégénère. La seule conduite que vous puissiez adopter pour rester au sec, c’est de faire ramener mon collaborateur ici dans l’heure qui suit, de détruire les déclarations bidon que vous lui avez arrachées et de nous oublier. S’il nous arrivait le moindre problème au cours de notre séjour, ne serait-ce qu’une cheville foulée, vous le regretteriez de façon indélébile. Tenez, cher Rami, le téléphone est là, donnez des instructions pour que M. Alexandre-Benoît Bérurier soit immédiatement ramené à son hôtel.
Je le biche par le revers de sa veste et gueule :
— Bouge-toi le cul, Tête-d’haineux, sinon ta vie va ressembler à un seau hygiénique de cholérique !
Dompté, il empare le combiné que je lui tends de ma main libre. Il retrouve sa voix tranchante pour répercuter à ses services l’ordre que je viens de lui donner.