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— Peut-être, ma belle, mais pratique. Et dans mon job, on ne vit pas vieux quand on ne l’est pas. Vous avez cherché à nous nuire depuis notre arrivée à Montevideo. En fait, nous sommes venus sur les instances de Raidcomebar, uniquement pour servir de boucs émissaires. Le gars que vous avez voulu… neutraliser devait l’être par des services n’ayant rien de commun avec les vôtres. Les pauvres Franchouillards convenaient parfaitement à ces sombres desseins.

Elle a un rire tellement aigre qu’il ferait tourner le lait dans le frigo.

— Vous êtes présentement recherché pour meurtre, me déclare-t-elle. Celui d’un lieutenant de police important ! Vous l’avez tué dans votre chambre et défenestré.

Boudiou ! On est coinçaga dans les grandes largeurs ! Comment a-t-elle pu, si vite, découvrir le corps de Ramirez ?

Et puis ça s’éclaire sous ma coiffe. Un détail me revient : notre première rencontre dans ma piaule où elle se trouvait sans s’être fait annoncer.

Elle dispose d’une chambre dans notre hôtel ! Elle habite sur place pour mieux nous surveiller. Si bien qu’elle a pu observer nos faits et gestes, y compris l’escamotage du corps.

Cette fumière, ivre de vengeance, a prévenu les flics, et à cette heure nous sommes pour les autorités uruguayennes, voire pour toute la population, deux dangereux assassins en fuite ! Des tueurs de perdreaux ! Ya yaille, il va pleuvoir des bombes atomiques sur nos destins ! La peine de mort existe-t-elle en Uruguay ? Téléphone à S.V.P. de ma part, ça m’intéresse.

Mon expression basue en dit long sur la portée de cette révélation et la salope biche comme trois pensionnaires d’internat en train de se masturber devant la photo d’Antoine de Caunes : celle où il a une mèche qui lui tombe sur l’œil et où il rit avec l’air confiant en l’avenir du mec qui s’en traîne une chouette dans le bénoche.

Satisfaite, elle empare son sac à main posé sur le plancher de la tire, l’ouvre, en sort une photo qu’elle me présente.

— Chacun son cliché, fait-elle.

Celui-ci est auréolé de flou sur ses bordures, mais nous représente clairement, le Mammouth et ma pomme, agenouillés devant le cadavre de Ramirez, prêts à le linceuiller avec l’édredon. Comment diantre cette garce vomique est-elle arrivée à prendre cette scène d’intimité ?

En matant attentivement, je conclus que la chose s’est faite par le trou de serrure.

— C’est technique, réussis-je à articuler en lui rendant l’image. Vous possédez un objectif déflagrant à pulsion subintrante ?

Elle remet son réticule en place.

J’enchaîne (d’arpenteur) :

— Un détail me turluzobe dans votre comportement, chère amie sodomite : je me demande ce qui vous a incitée à nous suivre alors que vous pouviez illico nous livrer à la police d’ici ? Vous pensiez nous faire arrêter à quel moment, ma chérie ?

Elle sourit.

— Chacun a ses secrets, mon cher.

— Oh ! Pamela chérie ! Des cachotteries à son vieux french boy ?

Là-dessus quelqu’un me tapote l’épaule là où mon tailleur n’a pas à mettre de rembourrage.

Je décris un arc de cercle et me trouve face à un gonzier à l’air con et navré, donnant à croire qu’il s’agit du prince Charles. Mais non, c’est un autre glandeur au pif interminable et au regard de basset hound, avec de la couperose aux pommettes et de la farine aux cils. Il porte une veste prince-de-galles qui accentue le mimétisme. Ses étagères à mégots sont immenses comme des antennes paraboliques.

Il me toise avec une indifférence qui ressortit de la méchanceté la plus froide.

— Vous désirez ? je lui fais en anglais.

Il se tourne vers sa coéquipière et murmure :

— Ça ne va pas, Pam’ ?

— Rassurez-vous, George : nous bavardions, mister San-Antonio et moi.

Il a un bref hochement de menton et fait un pas en arrière, semblant se désintéresser de ma présence.

— Et maintenant, je soupire, on continue la guerre de Cent Ans ou on commande des œufs au bacon ? Je suppose que vous n’allez pas me suivre jusqu’à la Saint-Trouducul, ce serait inconfortable pour tout le monde, non ?

Elle a cette moue qu’ont les dames à qui tu demandes si elles sucent complètement ou bien si elles confient leur récolte au lavabo.

— Bonne question : je réfléchis.

— Peut-être puis-je vous aider à décider ?

Et tu sais quoi ?

Je lui adresse un baiser du bout des lèvres, ponctué d’une œillade friponne. Pourquoi, en certaines circonstances gravissimes de notre existence, s’opère-t-il inopinément une brusque détente ?

Là voilà qui se met à rire.

Puis, tout à trac :

— Je vous ai menti : la police d’ici ignore tout de votre crime.

La phrase me soulage et me fait tiquer simultanément. « Mon crime ! » Elle envoie le bouchon trop loin, l’Anglaise. Enfin, ce qui prime c’est que nous ne soyons pas coursés par les Uruguayens.

Cependant, je revois les cars de poulets se ruant vers l’aéroport.

Le lui signale.

Elle écarquille sa prunelle frangée de bleu pervenche.

— Comment ! vous n’êtes pas au courant ? dit-elle.

— Non ! Disez, ma toute belle, disez tout et vite !

— Il y a eu un attentat en fin de journée contre le président Gomenolez : une bombe a explosé sous sa voiture alors qu’il allait dîner à l’ambassade des États-Unis !

— Il est mort ?

— Seulement son chauffeur. Lui a été blessé au visage par des éclats, mais ses jours ne sont pas en danger.

Je médite en bref.

— En somme, dis-je, l’Uruguay est un pays tranquille où il se passe toujours quelque chose.

CAPITULO QUINCE

Et puis nous demeurons immobiles, à nous filer des regards en chanfrein. Elle pèse le pour, moi le contre. C’est poilant, deux tagonistes plus ou moins avoués qui se jouent une comédie dont ils n’ont pas appris le texte. Au fond, la seule bonne question dans notre affaire est celle-ci : amis ou ennemis ? Guerre ou paix ?

— Chérie, pourquoi me suiviez-vous ?

Elle hésite. Puis ses yeux s’enfoncent dans les miens.

— George, dit-elle à son équipier, et ce sans même se tourner vers lui, soyez gentil : laissez-nous un moment.

Docile, l’agent à tronche de Charlot s’éloigne.

Me voilà, pour lors, tout encuriosé. En effet, l’expression de Pamela s’est modifiée. Deux rides plus que précoces transforment son front en chèque barré.

— San-Antonio, balbutie-t-elle, il m’est arrivé une histoire inouïe.

Par correction, pour unissonner, je lui produis une tronche d’ordonnateur des pompes funèbres qui s’est gouré dans les mesures.

Elle marque un silence que je respecte comme s’il avait lieu à l’Arc de triomphe, en présence du président de la République et de ses porte-coton.

J’attends la suite, sans la presser de questions.

Elle fait, d’une voix voilée comme la roue de vélo d’un coureur du Tour de France venant d’emplâtrer une borne kilométrique :

— Je suis désespérée. À qui pourrais-je confier ma détresse sinon à vous qui ne me faites pas de cadeau, mais dont, pourtant, je pressens l’humanisme ?

Oh ! lala ! La bouilloire du thé se met à chanter, les mecs. Où-ce qu’elle veut-elle en venir, cette jolie Britanrouille de mes deux chéries ! Mon instinct me dit qu’elle est sincère, en vertu de quoi je lui laisse renverser son sac à malice.

— Voyez-vous, murmure-t-elle, lorsque j’étais adolescente, j’ai subi les manœuvres d’un ami de ma famille qui m’a déflorée. Dans ces cas-là, les filles sont définitivement traumatisées, mais gardent le silence, c’est connu. En me violentant, cet homme a détruit mes rêves, mon idéal, ma foi en l’avenir. Si j’en avais eu le courage, j’aurais mis fin à mes jours.