Si j’avais de la jugeote seulement gros comme un poil de derche, je retournerais chercher Big Apple et on s’engouffrerait dans les azurs ! Mais voilà, mon petit lutin personnel intervient. C’est un léger chuchotis. Il dit : « Ne cède pas au traczir, Antoine. Conserve ton chou et ton sang-froid. La vraie partie n’a pas encore démarré. Tout ça n’était que les hors-d’œuvre, un préambule. Si vous jouez rip, t’auras jamais le fin mot de l’histoire. Rappelle-toi ce que je te serine depuis toujours : “Il faut tenter d’apercevoir ce qu’il y a derrière la réalité.” »
Je l’ai à la caille, moi, entre mon lutin et ma « voix de la raison ». Qui, des deux, me chambre ? À qui faut-il obéir ?
Je pense que les fins de nuit portent conseil, aussi me pelotonné-je entre les draps. Je glisse doucettement dans les abysses quand une grande clameur fumelle me repêche :
— Darling ! No ! Tiou défonce me ! Elle est too much ! It’s not possible ! But she is even bigger ! Help ! Help ! You kill me ! Stooooop ! God save the Queen ! It’s in ! Again, again, again ! Yes ! Be quick about it ! Oh ! yes, yessssssssss ! Brwrrrwwweeee !
Les hystéreries cèdent la parole aux cris du sommier survolté.
Dieu est bon, qui me permet néanmoins de me rendormir.
CAPITULO DIECIOCHO
Elle est repartie au petit morninge. Elle boitillait d’en avoir trop dérouillé dans le train des équipages. Ne pouvait plus se traîner. Ses yeux lui pendaient de la gueule comme les bretelles des personnages de Dubout. Elle allait se prendre les pieds dedans. T’aurais cru une rescapée de quelque chose : tremblement de terre, accident de chemin de fer ou autres machins pernicieux. En la regardant chanceler jusqu’aux ascenseurs, je mesurais à quel point la verge du Mastard peut se montrer dévastatrice. Un chirurgien obligé de bricoler dans son placard, à Pamela, aurait pas eu beau schpile. C’était tout à reprendre à partir de sa petite culotte à frissons. Une virouze en clinique aurait été judicieuse, histoire de lui colmater la gaufrette. Y aurait sûrement fallu la recoudre. Par la suite, elle allait plus pouvoir garder un braque dans sa boîte à délices, ça déjanterait aussitôt qu’introduit !
Avant de pénétrer dans la cage d’acier, elle s’est retournée, nous a adressé un pauvre sourire « Dame aux Camélias prenant congé d’Armand Duval », ce sale mec !
— C’ t’ un’ vaillante ! a déclaré l’Homme-de-Gros-Trognon. C’ dont j’y ai fait subir, aucun’ autre aurait pu. Si j’ t’ dirais qu’é a évanouise deux fois !
— Elle possède des photos de nous, emmaillotant le cadavre de Ramirez dans un édredon, réfléchis-je.
— Nous on en a d’elle qui la montrent en train d’engouffrer mon panais dans ses jolies miches, rétorque le Sage. On s’tient par la barbichette, grand. Tourmente-toi pave ! Et pis, sans m’vanter, c’ p’tite merveille est si dingue d’ ma grosse veine bleue qu’a veuille v’nir habiter Paname pour êt’ plus près d’ mon outil. J’ la tiens par l’essence, c’ te mousmé, c’est positivement mon exclave.
Gagné par sa confiance, je refoule mes idées grises, pas qu’elles devinssent noires, et nous sortons dans les artères grouillantes. Je ne parle pas du bourguignon qui roule pleins phares au sein du ciel bleu. Dans les books sur mesure, on écrirait que « le soleil est de la partie » ou une autre connerie passe-partout du genre. Nos deux ombres forment le nombre 10 sur le trottoir.
— C’est marrant, déclare ma Mongolfière après quelques pas, on dirait qu’ tu sais où qu’on va.
— Je fais seulement semblant, le rassuré-je.
Alors on arque, on arque sans se parler. Tu voudrais qu’on se dise quoi ? En réalité je me dirige vers la villa qu’habitait Vogel. Je préfère ne pas fréter de taxi. C’est loin du centre, mais nous avons besoin de nous dérouiller. À partir de tout de suite, faut se déplacer dans de la Chantilly. Y aller comme à confesse, le dos rond, l’anus en obturateur de Kodak.
Il est pas tombé des dernières giboulées, Groscul. Il essuie la sueur de son front à l’aide d’un chiffon infâme qui flanquerait la nausée à une flaque de dégueulis, puis murmure :
— Tu croives qu’ c’est prudent d’ r’tourner là-bas ? Et si les poulardins ont laissé des gonzmen sur place ? On m’a déjà ench’tibé un’ première fois…
J’évasive :
— Faut voir…
— Mouais, técolle, quand t’est-ce t’as une idée dans l’ cigare, tu n’ l’as pas au fion !
Puis il la ferme car ça grimpe, or les obèses ne sont pas amis des rampes lorsqu’ils piétonnent.
Solitude et silence.
Nous passons devant la villa en empruntant le trottoir d’en face. On mate sans stopper, mais avec goulurie. La crèche est bouclarès de la tête aux pieds.
L’ayant dépassée, nous continuons jusqu’à la rue perpendiculaire qui traverse cette voie discrète. Il s’agit plus exactement d’un passage piéton séparant deux propriétés. Il nous conduit à un bois de pins parasols où les insectes s’en donnent à cœur d’élytres.
On pénètre sous la voûte des arbres et on s’assied. Chouette panorama. Le quartier heurff propose des maisons de rêve pour gens fortunés, des palmiers, des plantes tropicales énormes, des piscailles aux formes tarabiscotées. En dessous, la ville claire, avec sa folle rumeur. Plus loin, le Rio de la Plata dont, à distance, on oublie la couleur marronnasse.
— Ça m’a l’air cline, note l’Enfoirure.
J’observe tout de mon regard acéré. Plus que la vue, mon instinct m’informe. Je suis prêt à te parier l’ancien prépuce de la reine Queen, avec ses toiles d’araignée, contre un litre d’huile d’olive vierge, que « notre » maison est déserte.
— Je vais y aller ! décidé-je.
— Et pas moive, p’ t’êt’ ! s’exclame le Chourineur.
— Toi, tu me couvres. À la moindre alerte, tu me lances un de ces coups de sifflet dont tu as le secret. S’il y avait du pet, il serait catastrophique qu’on te serre après tes démêlés avec la Rousse uruguayenne.
Il proteste derechef, mais je lui réponds qu’il me fait l’effet du cidre doux bu en forte quantité, et il cesse son ramage.
Quatre minutes plus tard, je me retrouve dans la villa moderne du défunt Vogel.
Je me rends illico dans le vaste living où fut buté le locataire des lieux.
Une lumière blonde qui passe par les espèces de meurtrières ménagées dans les murs confère à la construction un vague aspect féodal œuvré à la main. Me plante au milieu de la pièce. Regarde, de tous mes yeux, de tous mes sens même, devrais-je dire.
Chaque crèche possède son mystère. J’ai décidé de percer celui de cette demeure. Car elle en a un, je le sens. Je ne me trompe jamais quand il s’agit de « sensations ». Je me plante parfois en ce qui concerne les faits, never sur les impressions.
Kurt Vogel habitait cette luxueuse maison moderne. Pourquoi ? Apparemment, il ne branlait pas une datte à Montevideo. Dans cette crèche on ne décèle aucune trace d’activité. Comme il se plumait la prostate, le soir il sortait, buvait, troussait une radasse, écoutait de la musique, bref, il faisait ce que font la plupart des gars qui s’emmerdent lorsqu’ils séjournent dans un bled qu’ils ne connaissent pas. Alors, question pertinente : pourquoi demeurer en Uruguay, pays sans grand attrait, situé loin des plaisirs que peut souhaiter trouver un bandit international désireux de se ranger des bagnoles ? Il serait vite devenu neuneu, le frère, dans sa cage dorée. Ou alcoolo.