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J’ajoute en allemand issu de Germain :

— Puis-je vous poser quelques questions ?

Le dabe éberlue que c’est tout juste s’il a la force d’acquiescer.

— Simple enquête de routine, fais-je. Il se trouve qu’à différentes reprises vous avez correspondu téléphoniquement avec un dénommé Kurt Vogel, habitant Montevideo.

Ce chleuh, il exorbite à s’en énucléer, tellement sa stupeur est intense. S’il me joue du pipeau, c’est en virtuose, espère.

— Quel nom, dites-vous ?

Je répète avec une docilité qui annonce l’impatience, comme le font toujours les flics en pareil cas. Mais le frizou branle le chef.

— Quand il m’arrive de téléphoner à Montevideo, c’est à ma fille qui travaille à l’ambassade d’Allemagne. Elle m’a trouvé ce lieu de cure pour soigner mon psoriasis ; je viens de Francfort et je ne connais personne d’autre que Greta, en Uruguay.

— Alors pardonnez-moi, il s’agit probablement d’une erreur, bats-je-t-il en retraite (devant un Allemand, c’est dur).

* * *

Ma seconde visite est pour une certaine Rosalyn Never, de Manchester ; d’une soixantaine d’années, très mince et très étroite, qui ressemble à sa radiographie affublée d’un masque pourpre. Toute sa pauvre gueule est suppurante, et ce qui ne l’est pas s’émiette comme du biscuit trop sec.

Je réitère mon numéro du policier mandaté pour une opération de routine. Elle est britiche, donc impassible, et mes questions ont l’air de la troubler autant que la chute de la roupie pakistanaise.

— Je ne sais de quoi vous parlez ! fait-elle. Je n’ai jamais appelé Montevideo pour la simple raison que je ne connais personne dans cette ville.

C’est net, proféré d’un ton tranquille, sûr de soi et dominateur. Force m’est de m’emporter, bredouille. Je la quitte à reculons, en me demandant anxieusement ce qui pourrait différencier le visage de cette femme d’un cul de singe, si ce n’est qu’il m’est arrivé de rencontrer des culs de singes sympathiques.

* * *

Tu le comprendras (et si tu ne le comprends pas, écris-moi en joignant un timbre pour la réponse), c’est en grande persuadance de trouver, cette fois, le correspondant de feu Vogel que je comparais devant mon dernier sujet.

À peine l’entr’asperge que je me sens bité par vingt centimètres en profondeur ! Mon troisième essai ne sera pas plus transformé que les deux précédents. Au premier regard, je me dis : « Impossible ! » La personne devant qui je me présente, dans le salon d’été de sa maison de cure, rampe sur ses quatre-vingts hivers.

Compteur à gaz dans le dos, rides semblables aux caroncules pourpres d’un dindon, cécité quasi totale, agrémentée de lunettes aux verres bleus, moustache grise, cannes anglaises, forte odeur d’urine et de sirop mentholé, tel est mon ultime suspect. Son seul physique suffit à « l’innocenter ».

— Vous avez l’accent français, me fait-elle, l’êtes-vous ?

— Un peu, bafouillé-je.

— Comme tous les Roumains, j’aime infiniment votre pays.

Elle jacte notre dialecte impeccablement, avec une délicieuse prononciation qui ferait des malheurs dans mon slip si elle avait ne serait-ce que quarante ans de moins.

Malgré tout, je me sens navré corps et âme. Il m’a drôlement niqué, mon lutin intérieur, qui me promettait l’embellie pour tout de suite et peut-être avant !

La vioque sourit, ce qui met quinze rides supplémentaires sur sa face gondolée.

Du moment que je suis à pied d’œuvre (voire de chef-d’œuvre), je lui demande si elle a des attaches à Montevideo. Ça semble l’amuser :

— Grand Dieu non, je ne connais personne en Bolivie !

— Cette ville se trouve en Uruguay, je la géographise.

Pour elle c’est Cinzano-Dubonnet. Elle jouit d’un cerveau qui la fait jongler avec les réalités mappemondiennes. Mais à son âge, est-ce bien grave ?

Nous échangeons encore quatorze mots, dont l’un coupé par un trait d’union, si l’on peut dire, et je lui tire ma révérence.

L’oreille basse (la queue, c’est impossible), je quitte l’établissement thermal. À cent mètres de là, le Gravos m’attend. Ces dispositions ont été arrêtées par moi à la suite de l’appel reçu à l’hôtel. Il faut ouvrir en grand les yeux de devant et les yeux de derrière. C’est pourquoi nous sommes convenus que Sa Majesté « me couvrirait » de loin, pour si des fois y aurait un « tour-d’à-l’œil », disait grand-mère, ce qui pourrait se traduire dans le langage d’aujourd’hui par « coup fourré ».

Alors bon, le Sana, penaud comme Jules Renard qu’une poule aurait emballé, se met en branle pour rejoindre son péone, lui avouer le cuisant échec qu’il vient d’encaisser.

Je ne suis qu’à six pas de lui lorsqu’un véhicule du genre grande Jeep capotée, débouche à tombeau ouvert et freine en portant ses tambours à l’incandescence.

Deux hommes en tenue vaguement militaire jaillissent de la guinde, me bondissent sur le paletot avant que j’eusse un mouvement des sourcils, m’estourbissent d’une matraque caoutchoutée et m’alpaguent.

Envapé, enveloppé, emporté, je me retrouve dans la Jeep, au côté de l’un de mes ravisseurs, en moins de temps qu’il n’en faut à une péripatéticienne marseillaise pour transformer sa babasse en tirelire.

Au volant de la tire l’est un gusman coiffé d’une casquette de toile qui ne s’est même pas retourné. Il décarre à fond la caisse et je te prie de croire qu’il sait se servir d’un volant et d’un accélérateur.

Ma tronche fait un peu la toupie ronfleuse. Le toton, qu’on disait jadis. Plus exactement, ma matière grise tourbillonne dans ma boîte crâneuse.

Le gazier ayant pris place auprès de moi m’a passé des menottes sans que j’en eusse conscience sur l’instant. Donc, il s’agirait de perdreaux ? Je ferme les yeux pour essayer de réprimer la gerbe qui m’empare. Pourvu qu’ils m’aient pas défoncé la coquille ! On dit que ça flanque la nausée, une fracture.

Je pense à mon Béru, laissé pour compte sur la voie publique. Privé de moyens de locomotion, il n’aura pu filocher mes ravisseurs. D’autant qu’il n’y a pas de taxoches à Dayman, du moins à ma connaissance.

On roule, roule. Je dodeline, line. Mes douleurs crâneuses, loin de se calmer, deviennent plus intenses. Tu paries que ces salauds m’ont fracturé la caberle ?

Autour de moi, ça s’opacifie à toute vibure. Me semble être prisonnier d’une porte-tambour qu’on ferait girer de plus en plus vite. Alors un grand détachement m’isole de l’univers. Me sens dominé par un total fatalisme. Ma tempe entre en contact avec l’épaule de mon voisin de parcours ; d’une bourrade brutale, il m’envoie à dache. Mais je déclare forfait avant d’y parvenir.

CAPITULO VEINTICUATRO

Ça pourrait être pire.

Mais c’est mieux.

Magine une pièce blanchie à la chaux, éclatante, comme toujours dans les pays du sud d’influence ibérique.

Une fenêtre aux montants peints en bleu king. Sur le sol fait de vieux carreaux de terre cuite, un tapis de style péruvien. En fait de meubles, une sorte de commode-burlingue de bois clair, une table aux pieds tournés, deux chaises espagnolisantes à haut dossier doré, plus le lit également ibérique sur lequel je gis, dûment entravé.

Le lieu est paisible, presque romantique. En d’autres circonstances, j’y ferais volontiers étinceler une pécore, n’importe sa race et la couleur de ses poils pubiens. Mais je souffre trop de ma coupole pour vagabonder dans le stupre, le mysticisme ou l’engagement politique. L’homme qui a mal à soi-même n’est guère bon qu’à pleurer sur son sort, et le reste de l’existence naufrage dans les improbabilités.