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Un truc, pourtant, auquel je suis sensible, c’est l’abeille qui erre sur les carreaux de la croisée. Comme elle est à l’intérieur, j’espère qu’il ne lui viendra pas le fâcheux caprice de me butiner la frime ! De temps à autre, l’insecte s’énerve de ne pas trouver d’issue et bourdonne rageusement. Et puis il se calme et poursuit son errance stérile.

Curieusement, malgré ce que j’endure, j’ai les crocs. Je boufferais volontiers une platée de « chili con carne » comme il y en a dans toute l’Amérique du Sud. Je la voudrais bien pimentée avec, pour l’accompagner, une boutanche de vin chilien. Donc, je ne suis pas à l’article de la muerte. Un mourant n’a pas faim, généralement.

Parfois, j’ai une pensée pour Elephant Man qui doit remuer son gros cul à me chercher. Mais comment saurait-il y parvenir dans ce pays dont il ne parle pas la langue ?

Franchement, la situation manque de confort. J’ignore ce qu’annonce mon horoscope du jour, mais s’il fait dans les tons azur, c’est qu’il est bidon.

Dans ce genre de narration, une chose est chiante, c’est de vouloir donner au lecteur la notion du temps qui passe. Pour ce faire, t’uses de palliatifs : tu dissertes sur des lieux communs creux comme un programme politique, t’évoques ta première communion, ta première chaude-pisse, ton premier coït, ton dernier turlute. Tu parles de Zanzibar, des îles Sous-le-Vent, des bites-sous-le-ventre, de la rouquine Fergie dont les poils de la chatte ont pris feu au cours de sa dernière baisance (par mesure de précaution, elle ne peut plus se faire tirer désormais qu’au bord d’une piscine). Bref, tu biaises. Dommage : t’as l’air de pratiquer le remplissage organisé, alors que mézigue, au contraire, j’ai jamais suffisamment de place pour tout raconter, tellement j’abondance.

Mais enfin, bon, les heures tournent. Une monstre envie de licebroquer me tend les bretelles. Ça, plus les crocs et un début d’ankylose, fait que je suis fadé. Ma vessie prend le pas sur mes autres préoccupations. Qu’à la fin, tant mal que bien, suis contraint de la vider sur la descente de lit.

Au moment que le jour décline, je perçois du bruit de l’autre côté de la lourde. Celle-ci s’ouvre et les lascars qui m’ont kidnappé se pointent. C’est alors que je vois le chauffeur de face. Une brutale médusance m’assèche quand je reconnais Alonzo Troquez, le gazier que j’avais saucissonné dans la grange délabrée, près de Montevideo. Il semblerait que son ange gardien lui soit venu en aide, non ? Curieusement, au lieu de me glavioter à la frite, il feint de se désintéresser de moi, ce qui ne laisse pas de me troubler, comme me disait l’autre soir le bon M. Pasqua, Premier ministre par contumace.

Ces sortes d’archers amènent deux chaises avec eux, qu’ils placent à droite de mon plumard, face à moi. N’ensute, dirait Béruchol, ils attendent, avec une infinie patience, la venue de personnages que je suppose considérables, si j’en juge aux préliminaires.

L’un d’eux fait observer aux autres que ma braguette bée, comme une craquette de bourgeoise devant mes jeux de mots.

Effectivement, si j’ai pu me dégrafer à l’aide seulement du pouce et de l’index disposés en pince à cornichons (disons à concombres, pour mieux cerner la vérité), il ne m’a pas été possible, vu mes liens d’acier, de procéder à l’opération inverse.

Courte palabre à voix chuchoteuse du trio, puis celui qui a remarqué ma négligerie, se risque à la rectifier.

Sur ces entrecouilles, deux personnes font leur entrée. Un couple. Les arrivants portent un loup de velours noir. La femme a des cheveux blonds, des gants d’automobiliste et une paire de loloches qui te donneraient envie d’être exclusivement nourri au lait de dame. Son compagnon est enveloppé, sans être vraiment corpulent, il a le front dégarni, avec une cicatrice en forme de trèfle au-dessus de l’oreille gauche, consécutive, je gage, à une balle déviée par le pariétal.

Le tandem s’assied sans un mot et se met à me frimer à travers les trous des masques d’étoffe.

Bibi, l’homme qui pense plus vite qu’il éjacule[11] se dit : « Ces grands inquisiteurs n’ont pas l’intention de me supprimer, sinon ils se montreraient à visage découvert ». C.Q.F.D., non ? Du coup, l’espoir revient dans mon camp et, bon gré mal gré, ce que je ressens pour les deux arrivants relève de la tendresse qu’on porte à ses vieux parents fêtant leurs noces d’or.

À tout hasard, je leur souris.

— Si je ne vous suis pas totalement antipathique, de grâce demandez qu’on desserre un peu mes liens, leur fais-je. Je suis à ce point engourdi que je crains fort de ne jamais pouvoir remarcher !

J’ai parlé en espagnol de faculté ; mais ils doivent l’avoir compris, car le presque chauve enjoint à ses sbires de délier mes jambes et de remplacer les dures entraves par de simples menottes aux chevilles.

Les gardes font droit à sa requête.

Mon sang met du temps avant de circuler convenablement dans le complexe réseau que m’a fignolé Félicie. J’ai davantage mal, maintenant qu’on m’a libéré des fils d’acier et j’éprouve d’effroyables brûlures dans tous les muscles. Mes souffrances sont si vives que je ferme les yeux.

— Navré, fais-je, mais la douleur est intolérable !

La femme s’incline vers son compagnon et lui chuchote quelques mots. Alors le type opine. Il ordonne à l’un de ses pieds-nickelés de me masser, à un autre, de me servir un verre d’alcool.

Dis, ça paraît baigner pour ma gueule. Voilà que j’ai la cote, à c’t’ heure !

Comme quoi, dans la vie, tu vois, Éloi, faut jamais désespérer !

CAPITULO VEINTICINCO

Une fois ma circulation jambière à peu près rétablie, le chauve-à-la-cicatrice me demanda si je voulais bien que nous eussions une conversation « libre », lui et moi. Je lui répondis que tel était mon vœu le plus coûteux ; il parut satisfait par cette réponse sans ambiguïté et me tint à peu près ce langage :

— Je crois savoir que vous dirigez une très importante section de la Police parisienne. Vous êtes quelqu’un de haut placé et de particulièrement estimé.

Irrité par ce préambule plein d’ampoules, je l’interrompis pour le prier d’enclencher la vitesse supérieure, ce dont il.

— Señor director, j’ai trois questions à vous poser.

— En ce cas, révélez-les, lui ai-je-t-il conseillé avec une courtoisie qui celait mal mon agacerie.

Pourquoi ce chauve-cicatrisé me courait-il sur la grosse veine bleue, alors qu’il s’efforçait à la bonhomie ? Un je-ne-sais-quoi dans sa personne me contristait. Sa voix ? Son odeur ? Un poulardin est un animal, dans son genre ; un chien qui réagit au fumet de ses interlocuteurs. Des fragrances sourdaient de lui, plus ou moins ténues, qui me flanquaient moralement la gerbe.

— J’aimerais savoir, reprit ce gonzier bizarre, primo, ce que vous trafiquiez avec Vogel, ou du moins pourquoi vous l’avez recherché jusqu’en Uruguay ; secundo, ce que sont vos relations avec les Services secrets britanniques implantés à Montevideo ; tertio, ce que vous êtes venu chercher à Dayman.

Il se tut, croisa ses mains en potelance sur son début de ventre et me darda d’un regard ombreux à travers les trous de son loup.

La femme qui l’escortait gardait le silence. Des questions me trituraient la coiffe, à son propos. Qui était-elle ? Quel rôle jouait-elle dans ce sac d’embrouilles ? Sa silhouette me donnait à rêvasser.

Jugeant politique de répondre aux questions du type, je le fis avec clarté et une totale franchise :

— Vogel était un terroriste international qui a beaucoup sévi en Europe, notamment à Paris où il fut blessé au cours d’un de ses méfaits. J’ai eu à m’occuper de l’affaire. Je l’ai, cela dit, fort peu connu car il s’est évadé presque tout de suite de l’hôpital. Récemment, les Services secrets britanniques, ayant su qu’il séjournait en Uruguay, m’ont proposé de m’allier avec eux pour le débusquer et participer à sa capture. En arrivant à Montevideo, j’ai eu la surprise de constater que la police uruguayenne connaissait parfaitement sa retraite et qu’elle le tenait à l’œil. Pour une raison que je ne comprends encore pas, le lieutenant Ramirez a ordonné qu’on abatte l’homme pendant que je me trouvais chez lui et a fait accuser mon assistant. J’ai pu déjouer ce plan quelque peu machiavélique.

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11

Dieu merci !