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Comme je me tais, le zigomuche demande, derrière son chiftire noir :

— Et les Britanniques ?

— Rien !

— C’est-à-dire ?

— Wait and see ! Ils ont flanqué une péteuse dans les bras de mon collaborateur, lequel est très porté sur le sexe, et ont attendu que je sorte les marrons du feu, selon leur bonne habitude.

— Maintenant, expliquez ce que vous faites à Dayman.

— En fouillant dans les tiroirs de Vogel, j’ai trouvé ses relevés téléphoniques. J’ai constaté qu’il appelait parfois quelqu’un habitant cette localité.

— Vous avez découvert son correspondant ?

— Non !

— Vous mentez !

L’exclamation a jailli avec une telle spontanéité que j’en suis bobet, comme on dit à Fribourg.

Je sourcille, ma mâchoire se crispe et mes sphincters condamnent hermétiquement mon issue sud.

— Je déteste qu’on me traite de menteur, monsieur Medialunas ! grondé-je.

Du coup, le mec sursaille comme lorsque tu t’assieds sur un boa constrictor que tu as pris pour un pouf biscotte il se tenait lové.

À peine ai-je lâché ce nom que je m’en mords les dents. Oh ! l’imprudent Sana !

— Hein ! qu’il éructe, le loup-garou uruguayen.

Et bibi, au lieu de chercher à écraser le coup, se met à plastronner :

— Élémentaire, mon cher Watson : en installant ces chaises, l’un de vos hommes a prononcé votre nom. À voix basse, certes, mais j’ai l’ouïe fine.

Il doit pousser une expression plutôt sinistre, le gusman. La manière dont il défrime fixement ses manars donne à penser qu’ils ont d’ores et déjà un bel avenir derrière eux !

Un silence épais comme une soupe de gruau s’abat sur nous. Je l’à-profise pour bien prendre les mesures de la situation. Ayant l’avantage spectaculaire de posséder un cerveau en comparaison duquel celui de Blaise Pascal aurait ressemblé à de la mayonnaise tournée, je tire de promptes conclusions de ce que je viens d’apprendre.

Medialunas a su que nous nous trouvions à Dayman. Il a illico pigé que nous recherchions la relation épisodique de Kurt Vogel que lui connaît. Alors il veut nous intercepter. Pour cela il lui suffit d’établir une planque près de la maison de cure fréquentée par le (ou la) correspondant(e). Piège simpliste qui fonctionne à tous les coups, c’est le B.A.-BA de la police.

Poussant plus avant mon raisonnement, je décide que la personne recherchée se trouve dans la troisième maison de cure que j’ai visitée. Mais il ne saurait s’agir de la vénérable nonagénaire qui…

Putain d’Adèle ! Le grand flash, mec ! Plus intense qu’une aurore boréaleuse. J’ai l’éblouissante révélation. Pleins feux sur mon génie ! L’être auquel le terroriste téléphonait, parfois, dans cette ville, ce n’était pas un complice. Non : c’était sa mère ! Je me concassais le caberluche à imaginer mille coups tordus, et la vérité s’avérait d’une simplicité spectrale. Ce grand méchant tueur portait une plaie sous sa cuirasse, ainsi qu’il est dit en littérature reliée pleine peau (de zob) : sa vieille mother. Nonobstant sa vie galéreuse, il veillait sur elle. Lui avait trouvé une résidence en Uruguay où elle soignait son psoriasis dévastateur. Il l’appelait, temps à autre, pour garder le contact. Peut-être espérait-il la prendre un jour chez lui pour qu’elle eût une fin d’existence sereine ? Va-t’en connaître les dédales (y en a qui emploient « dédaux ») de l’âme !

Je reviens au chef inspecteur Medialunas.

— Vous penserez ce que vous voudrez, mais je comprends seulement à la seconde, lui affirmé-je. En sortant du dernier établissement, je croyais avoir fait « chou blanc », comme on dit en France, cela parce que je cherchais un complice. En réalité, le correspondant de Dayman, c’était sa mère ! Très tôt, Vogel avait réalisé qu’elle constituait son talon d’Achille. Alors il lui a fait quitter l’Europe et l’a installée discrètement en Uruguay. Il avait décidé que ce pays serait celui de sa retraite.

Le poulardin arrache son loup d’un geste brusque.

— Je ne pensais pas vous supprimer, me dit-il, mais vous êtes au courant de trop de choses, n’est-ce pas ?

— Naturellement ! admets-je d’un ton plaisant.

Il a une très sale gueule, l’officier de police. Je le préférais avec son chiftire noir sur la frime. Ça lui donnait un petit air romantique à la Zorro qu’il est loin de posséder.

Il lance à ses concertistes :

— Faites-lui une piqûre. Ensuite vous irez le jeter dans le fleuve, convenablement lesté.

Il se penche sur sa muette compagne et se met à chuchoter à son oreille ; sans doute lui demande-t-il ce qu’elle pense de sa décision. La bougresse ne doit pas la juger conforme car elle dénègue. Il insiste puis, impatienté, l’entraîne vers la sortie.

Déjà, l’un des trois péones prend une petite boîte chromée dans sa poche pour procéder à la « fatale injection ».

Putain que c’est con ! Je déteste la manière dont ça tourne court. Ils ne vont pas me liquider aussi sec ! J’ai encore beaucoup à faire, des pages à écrire, des dames à baiser ! Me faut trouver quelque chose, n’importe quoi.

— Dites donc, Medialunas…

Il atteignait la porte, s’effaçant pour laisser passer la femme.

— Vous êtes un peu hâtif dans vos décisions, amigo, dis-je. Quand on veut se débarrasser d’un gêneur, on s’assure auparavant qu’il n’a plus rien à vous apprendre.

Il revient sur ses pas et se plante à un mètre de ma pomme, l’air vindicateur.

— Qu’entendez-vous par là ?

Je soutiens son regard faisandé.

— Vous aimeriez savoir où se trouve votre valeureux chef, le lieutenant Ramirez ?

Il abasourde.

— Vous le savez, vous ?

— Peut-être. Mais faites-moi donc ôter ces saloperies d’entraves qui ne sont pas dignes de nous.

— N’y comptez pas !

— Très bien, alors je vais emporter mon secret dans la tombe. Bonne continuation, collègue !

Je me mets à fredonner un succès d’Aznavour, imprimé sur papier d’Arménie.

CAPITULO VEINTISEIS

Le self-control, qu’on le veuille ou non, ça paiera toujours. Combien de gars sont morts violemment pour avoir bédolé dans leur bénoche au lieu de désinvolter ? Je te l’ai mille fois seriné : le pleutre provoque les sévices, alors que le gazier sans faiblesse impose le respect.

Dans mon cas, c’est la dame qui fléchit ; peut-être ma séduction opère-t-elle ? Je sais d’expérience que les moukères, qu’elles soient tendrons ou vieilles guenuches, réagissent à mon sex-à-poil (dit Bérurier). La voilà qui chope ce gredin de Medialunas par une anse et l’entraîne à l’écart : brève jactance. Ils reviennent.

À contrecœur, le chef drauper me fait libérer. Puis il essaie de goguenarder, histoire de démontrer qu’il n’est pas ma dupe.

— Qu’avez-vous à m’apprendre au sujet du lieutenant ? dit-il.