Perspicace, non ?
Je lui résume les derniers événements, à savoir cette intempestive publication dans le baveux du morninge.
— S’lon d’après moive, conclut le Docte, ça correspond à un coup au bidon.
— C’est-à-dire ?
— Sept-à-dire que ça viendrerait de vot’ gusman soi-même personnellement, j’en s’rais pas surprille.
— Tu débloques, Gros ! Tu imagines un homme en fuite en train d’annoncer où il se trouve ?
Il se met en biais pour une loufe qui manque de fierté d’expression sur un coussin tendu de velours frappé.
— J’ sais, grand, j’ sais ; n’empêche qu’avec mon instincte, j’ renifle c’ genre d’ truc-bidule.
— T’as des ratés dans la pensarde, laissé-je dédaigneusement tomber.
Vexé d’être traité d’amoindri en présence d’une personne du sexe (personne qui aurait du mal à héberger le sien si le désir l’en prenait), le Gros se tait en grattant avec furia la broussaille qui lui pousse sur le devant de la scène. Il psalmodie d’une voix de muezzin du haut de son minaret :
— J’ vous dille qu’ vot’ gazier vous prend pour des pieds-nickelés, qu’ vous fussassiez franchouillards ou rosbifs, mes chéris.
Changeant de sujet, je lui demande en lui tendant le baveux du jour :
— Tu reconnais ce pèlerin ?
Il défrime la photo d’un air hostile, comme on considère le mec qui vient d’annoncer, en te regardant, qu’il y a un con dans la salle.
Et catégorique :
— Inconnu au bâillon !
— Nous l’avons vu une fois, cependant. Nous sommes allés l’interroger à l’Hôtel-Dieu après qu’il eut, en compagnie d’un complice, refroidi un diplomate chinetoque devant l’Élysée. Il était gravement blessé et n’a pas répondu à nos questions. Cela ne l’a pas empêché de jouer la belle quelques heures plus tard !
— C’tait pas c’ moudu ! affirme avec péremptoirité l’angieux-couennard.
Son affirmation aussi vive que spontanée me la sectionne au ras des poils pubiens.
— Comment peux-tu te montrer aussi catégorique ?
— J’ peuve ! répète sourdement l’homme qui réussit à faire avec son anus ce qu’une formule I fait avec ses pots d’échappement.
Il charpente son affirmation :
— Tu l’auras r’marqué, Sana, moive j’ai la mémoire des gueules. Un gonzier qu’ j’ai r’nouché à n’importe quelle occasion, il reste dans mon bocal comme dans un fichier. Le gus, pour l’histoire d’ l’Élysée, tu peux l’ déguiser en zouave ou en maradaja, il bronche plus d’ mes souv’nirs. Alors faut pas vouloir m’ fourguer du miel d’oreille pour du miel d’ Provence. Quand est-ce j’affirme qu’on n’a jamais rencontreré c’ t’ oiseau, j’en donne ma bite à couper. Je m’ fais-je-t-il bien comprend’ ?
Jusque-là, l’Anglaise était fascinée par le membre du Dinosaure, mais la déclaration catégorique de Dom Chibrac la détourne de son regardage.
— Vous comprenez le français ? je la questionne-t-il.
— Convenablement, répond-elle.
— Vous entendez ce que dit mon collaborateur ?
— J’en suis ébranlée.
— Quand j’ t’ébranl’rai avec mon zob, tu sauras plus quel jour qu’on est, ma poule ! promet le Facétieux. Note qu’on peut avoir des doutes, compte t’nu d’ ton gabarit. N’empêche qu’on a des bonnes surprises, parfois. J’ me rappelle d’Yvonne, un’ Laurentin du Vivier, près d’ Saint-Locdu-le-Vieux. L’était pas plus grosse qu’un’ pompe à vélo et é m’ cherchait. Si tell’ment qu’un day j’ lu fais, charitab’ ment : « Ma pauv’ môme, jamais t’auras la moniche capab’ d’ me rec’voir. Même av’c une euthanasie générale tu supportererais pas un engin comme l’mien. »
« N’alors vous savez quoi-ce ? J’ la reverrerai toujours, la Vonvon. On s’tenait dans la grange au Mathieu qu’était loin du village. E’ s’ met à furereter et s’ ramène n’avec une bett’rave sucrière dont on cultivait par chez nous.
« Prête-moive ton couteau, Sandre ! »
« J’y r’file mon Opinel, et ma gosse qu’avait d’ l’hygiénerie entr’ prend d’épelucher la carotte. Quand elle a eu fini, elle a ôté sa culotte sans jambage et s’est écarquillé le michier. E s’tenait kif un’ grenouille.
« Vise un peu, Sandre ! »
« Et la v’là qu’incinère la chénopodiacée dans sa figue. Douc’ment mais sûr’ment. Franch’ment, j’en reviendais pas. T’aurerais cru à d’la magie.
« Tu parles qu’ça m’a calmé les doutes ! Après c’t’ démonstration, y m’ restait plus qu’à entrer en scène à mon tour. C’ que j’ vous cause là c’est pour en reviend’ à vous, p’tite lady. V’s’avez beau avoir la taille comme un rond d’ serviette, j’ vous fous mon bifton qu’ j’emmène mon Popaul en randonnée dans vot’ foufoune pour peuve qu’on ait de l’oléagineux à disposance.
« Mais pou’ c’ qui est du brigand dont nous recherchons les uns et les autres, j’ prévoye un’ combine pas tristoune. C’est c’ malin qui a tout organisé. Vous savez-t-il biscotte ? Parce qu’il est au courant d’ not’ présence à tous dans le coinceteau : les connards, les Français, les Urugrainiens et toutim. M’sieur l’ brigand campe sur ses dispositions. Il a son plan, et si ça s’ trouve, il va nous baiser la gueule, j’ pressens, moi qu’ai des monitions dans les cas graves.
« Bon, c’est pas tout ça. J’ sens, ma p’tite lady bioutifoule, qu’ mon braqu’mard v’s’intéresse. Ça vous direrait d’y faire un gros mimi su’ l’ casque, en signe d’affectuosité ? »
CAPITULO CUATRO
— Mon nom est Ramirez y Ramirez, m’informa le lieutenant de police, mais appelez-moi seulement Ramirez ; entre confrères on ne va pas faire de manières.
C’était un beau grand con long d’un mètre nonante, diraient mes amis helvètes. Il disposait d’un visage aristocratique de garçon coiffeur de banlieue, portait des rouflaquettes de danseur argentin, un regard charbonneux ombragé (comme on dit puis en littérature de haut niveau) par des cils qui doivent faire pâmer toutes les serveuses de bar de la ville et de sa périphérie. Ajoute à ce portrait enchanteur un nez légèrement busqué, dix-huit dents éclatantes, deux pourries et douze manquantes, une cicatrice de coup de couteau à la joue gauche et, au-dessus de la lèvre supérieure, le liseré de moustache le plus foutrical de l’hémisphère Sud, et t’auras un aperçu approximatif du personnage.
Une carafe de clerico (sorte de sangria) attend sur une table basse. Il en emplit deux verres et m’en tend un.
— Très désaltérant, par ces chaleurs ! me dit ce ténébreux de la Rousse uruguayenne.
Je prends le verre, lui porte un toast. C’est bon, avec un léger goût d’épices. Nous buvons cul sec.
Puis il me brusque :
— Que puis-je pour vous, señor director ?
Je dépose l’El Dia devant lui.
— Vous n’avez pas pu manquer cet article, lieutenant.
— Naturellement. Quelqu’un a abusé de la bonne foi du journal pour le faire publier.
— L’individu dont il est question vous serait-il connu ?
— Nous avions reçu auparavant des renseignements occultes sur cet homme. Il s’agirait d’un terroriste entré clandestinement en Uruguay.
— C’est difficile à réaliser comme prouesse ?
— Oui, si l’on emprunte une ligne aérienne internationale ; beaucoup moins si l’on arrive d’un pays limitrophe avec un groupe de touristes.