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— Vous paraissez préoccupé ? me remarque Ramirez.

— Je réfléchis à cette affaire, mon cher confrère.

Il respecte ma méditation. Je gode langoureusement dans mon bénoche. La Chevrolet ralentit et attaque une rampe. Route en lacet, bordée de lauriers des deux côtés. Elle gagne un petit terre-plein où sont aménagés des bancs de bois et des longues-vues fixées sur un socle. Tu glisses quelques pièces dans la fente et ça te grossit un coin d’univers pendant quelques minutes. Mon presque ami s’empare d’un des appareils d’optique, le braque sur la collinette voisine, le règle, le fixe et me fait signe d’apporter mon œil préféré jusqu’à l’objectif.

J’ai alors en gros plan la maison de mes rêves. Imagine une construction d’un blanc immaculé sur le bleu nuit du ciel. Les formes en sont hardies dans leur désinvolture. Cela fait vaguement penser au château de sable d’un gamin doué. Y a une tour carrée en son centre, de fausses échauguettes un peu partout et, sur sa partie la plus haute, une étrange sculpture, également blanche, inspirée de Miró. Les fenêtres asymétriques sont dépourvues de volets, ce qui confirme l’aspect « citadelle d’amour » voulu par l’architecte, lequel ne doit pas être un croûton routineur, mais un gonzier soucieux de faire évoluer le schmilblick.

— C’est là qu’habite notre homme, révèle mon lieutenant de police.

— Seul ?

— Rigoureusement. Il dispose d’une servante payée par l’agence qui lui a loué cette habitation.

— Il sort beaucoup ?

— Le soir seulement. Il se rend au restaurant, fait un bon repas, et va boire des verres dans des boîtes à filles. Il lui arrive de monter avec l’une d’elles pour une passe assez brève. J’ai questionné certaines de ses compagnes d’un moment. Elles le trouvent plutôt gentil et généreux. Ce n’est pas un type à « manies ». Il fait l’amour le plus simplement possible sans témoigner d’exigences particulières.

— Il ne reçoit personne à la casa ?

— Jamais.

— Il téléphone ?

— Très peu, et en tout cas ne reçoit aucune communication.

Je visionne la maison, œuvre d’art singulière sous la lune. Une lumière brille au rez-de-chaussée. Je distingue une bagnole sur un parking abrité par des parois florales : une Mercedes blanche qui n’est pas de la première jeunesse.

— L’auto lui appartient ?

— Non, elle est louée avec la maison.

— Donc, l’homme a un contrat de location et je suppose qu’il a dû verser une caution pour pouvoir disposer de cette ravissante demeure ?

— Exact. L’agence lui a demandé vingt-cinq mille dollars qu’il a réglés en espèces.

— Ce qui est plutôt rare ?

— Unique.

— Quelle explication a-t-il donnée ?

— Aucune. C’est pas le genre d’homme qui parle beaucoup, selon les gens qui ont affaire à lui.

— Son passeport ?

— En règle.

— Il est sujet allemand ?

— Par naturalisation ; son pays d’origine serait la Roumanie.

Un moment de silence nous unit davantage que toutes les blablateries envisageables. En fait nous sommes deux flics provisoirement liés par un même problème plus ou moins bien posé. Des chiens de chasse, tu piges ?

Le chauffeur demande s’il peut allumer une cigarette. Ramirez, bon prince, lui accorde cette permission.

Puis il consulte sa montre.

— Je pense qu’il est inutile que nous nous attardions, fait-il ; d’autant que l’individu est sous surveillance et que ses moindres faits et gestes me sont rapportés. S’il manifestait l’intention de quitter l’Uruguay, il serait intercepté sous n’importe quel prétexte et j’en serais immédiatement informé.

— C’est vous qui décidez ! dis-je avec un enjouement qui lui plaît.

Il pose sa main de poulet manucuré sur ma manche d’alpaga.

— Si c’est moi qui décide, je vous emmène dîner à la maison. Ma femme réussit le churisca comme personne. Il faut dire que son père était l’un des meilleurs restaurateurs de Montevideo ; elle a été à bonne école !

— J’accepterai avec joie, lieutenant, à condition que vous veuilliez bien m’arrêter auparavant chez un fleuriste, car en France il n’est pas question de se présenter sans fleurs chez une maîtresse de maison.

Il m’a arrêté devant la plus sublime boutique de la ville. Je ne connaissais pas les noms de la plupart des merveilles qui approfusaient en ce lieu embaumé. J’ai commandé une « présentation » telle que Marilyn Monroe n’en reçut jamais. Pendant qu’on me préparait de quoi fleurir tout l’Élysée un jour de réception de la couine d’Angleterre, j’aperçus, à travers la vitrine, Ramirez qui téléphonait à sa gerce pour prévenir de notre arrivée.

CAPITULO CINCO

Mon nouvel aminche habitait une délicieuse villa immaculée, entourée d’un jardin dont les fleurs étaient tellement abondantes et pimpantes que je me sentis sous-con avec ma gerbe à grand spectacle dans les bras. J’avais l’air du gonzier apportant les végétaux de la victoire à une tenniswoman venant de remporter des internationaux.

Une bonniche au pedigree évasif vint ouvrir. À première vue, on ne pouvait déterminer la nature de son métissage. Très brune et très frisée, le teint olivâtre, la lèvre en rebord de lavabo, elle paraissait être née pour sourire.

J’eus droit à un gazouillis de sa part. Je notai que sa robe de service s’ouvrait sur le devant et que les six dernières boutonnières n’avaient pas été utilisées, ce qui découvrait sa culotte bleu ciel et la sonnette d’alarme de son Tampax.

Le lieutenant l’effaça d’une bourrade galante et m’introduisit dans un salon des plus modernes, meublé en teck clair. Les murs crépis de blanc, les rideaux et les coussins composant un camaïeu de bleus délicats, les peintures d’avant-garde et une profusion de livres reliés faisaient de cette pièce un endroit élégant et chaleureux.

— Asseyez-vous ! me dit Ramirez. Maria del Carmen nous rejoindra un peu plus tard.

Il me proposa un apéritif. Il y en avait quantité sur une table roulante. J’optai pour un Campari-soda. Par les baies donnant sur le jardin, je découvrais, au-delà de celui-ci, les lumières de Montevideo et l’étendue sombre du Rio de la Plata, à gauche, qui allait se fondre dans l’Atlantique. C’était insolite et très beau.

Les loupiotes du livinge, disposées avec art, mettaient des zones de clarté sur les objets intéressants, laissant d’habiles pénombres partout ailleurs.

En considérant cet intérieur de qualité, je me dis qu’en Amérique du Sud, le métier de poulardin doit être beaucoup plus lucratif qu’en Europe ; mais peut-être que Ramirez avait hérité d’un oncle d’Amérique du Nord ?

Nous bûmes en devisant boulot. Mon confrère se montrait curieux de nos méthodes. C’était décidément un garçon d’avenir qui irait loin.

À un certain moment, comme disent les grands écrivains soucieux de précision, il cessa de parler, regarda vers le fond de la pièce et se dressa kif si le président de la République venait d’entrer. Je me retournis et me levis à mon tour, hébété de surprise.

Moi, l’épouse d’un flic uruguayen, je me figurais une dondon boursouflée. Le genre de gerce, quand tu appuies ton doigt sur sa cuisse, ça laisse un trou blanc pendant quelques secondes. Je la voyais un brin barbue, la dame, avec des grains de mocheté plus gros que des framboises, et de même couleur. Des bajoues, ça compte-z-y, du nichemard de cartomancienne atteinte de plein fouet par la ménopause. Je lui garantissais un regard de vache, frangé de longs cils englués de khôl comme des pattes de mouches enlisées dans le papier collant. Et puis d’autres fantaisies, je subodorais : ça allait du strabisme divergent à la plaie variqueuse, de la tache de vin sur le cou à l’odeur de culotte rance. Nous autres, les imaginatifs, on ne se contente pas des laideurs dont la vie nous cerne. On en rajoute, en invente d’atroces ; on a sans cesse des calamités au four en cas de besoin ; on n’est jamais pris à la dépourvance par les coups foireux, à force d’en concevoir de très pires.