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— La Suisse ! dit-il… Avec une jolie croix… La montagne… Vous matez, mon pote ? C’est montagnard comme dessin, hein ? V’là même le soleil par-dessus pour faire plus gai… Et puis, mes camarades…

L’officier de police se dresse, regarde le dessin et gifle Bérurier à toute volée. Il arrache la feuille de papier, la roule pour en faire une boulette et, tordant le nez du Gros pour le forcer d’ouvrir la bouche, il lui enfonce le papier dans le clapoir. Après quoi, il donne des ordres à ses sbires. Les soldats ramassent mon pauvre pote et le rembarquent dans son wagon cellulaire. Cric crac, ils filent un tour de clé au fourgon et vont à la cantine rejoindre les copains.

Pour le coup, votre San-Antonio se dit qu’il ne faut plus attendre. C’est tout de suite ou jamais qu’il va risquer le pacson.

Après l’incendie partiel de mes fringues, il ne m’est resté en poche qu’une seule chose : mon petit sésame. C’est plein de mecs autour de moi. Des zigs en bleu avec leur gamelle. Ils ne s’intéressent pas à mes faits et gestes. Très décontracté, j’enfonce la pointe du sésame in the hole of the serrure et je tournicote. C’est la première fois qu’il s’en prend à une serrure chinoise, ce chérubin, j’espère qu’il saura la séduire. Il y a un peu de réticence au début, mais le pêne ne se donne plus la peine de résister.

J’ouvre et j’entre. Il y a deux mecs à l’intérieur : Béru et un Chinois. Le Gros est enchaîné à la cloison de même que son compagnon. Une énorme boucle de fer leur enserre le cou. Le Mastar est tout congestionné, le pauvre trésor. Sur l’instant, il ne me reconnaît pas, mais tandis que je m’approche de lui, son regard se pose sur ma main tenant le sésame et c’est ce délicat objet qui lui permet de m’identifier.

— San-A. ! souffle-t-il, malgré la poire d’angoisse qui lui obstrue la bouche. Ça, alors, t’as pas traîné ; j’eusse cru que tu attendisses la nuit pour tenter la délivrade.

J’examine la fermeture du collier de fer. Là encore le sésame triomphe.

Au moment où la chaîne tombe contre la paroi du fourgon, le Gravos balbutie :

— Manque de bol, rev’là ces deux bédouins !

Effectivement, on me virgule une question en chinois. Au lieu de me retourner, je fais signe d’approcher. Si pendant cinq secondes encore les deux soldats veulent bien admettre que je suis le docteur, rien n’est perdu.

Ils s’approchent. Je me retourne. Faut faire vite. Heureusement ils apportaient la bouffe aux prisonniers et ils tiennent chacun une assiettée d’eau sale. D’un même geste des deux mains je leur projette le contenu des récipients dans le portrait.

Et tandis qu’ils s’ébrouent, je les fulgure, le premier d’un coup de savate dans la bonbonnière, le second d’un crochet à la pointe du menton. Ils s’écroulent.

Un coup de saton dans la nuque de chacun d’eux et c’est le silence, la tranquillité et le repos. Je m’empresse de refermer la porte du fourgon. Rapidement, je défais les liens de mon ami.

— On va essayer de déguerpir, dis-je. Ça ne va pas être commode.

— Délivre aussi ce petit mec, me fait la bonne âme bérurienne en me désignant son compagnon, il est sympa comme tout.

J’hésite. Mais une idée me vient. La générosité de Béru peut nous sauver. Vite, je désenchaîne le second prisonnier et je lui désigne l’un des soldats qui gît sur le plancher.

— Enfilez son uniforme, lui dis-je en anglais.

— Te fatigue pas à déballer ton capital Berlitz, ricane Béru, il cause français comme toi et moi !

— Pas possible, bée-je.

— J’ai été pendant dix ans pédicure à la Muette, me révèle le prisonnier.

Je passe outre ma stupeur.

— Fringuez-vous en soldat, mon pote. On va essayer de jouer la Fille de l’air, version chinoise avec sous-titres français !

Il est habile, ce petit jaune. En moins de deux il a revêtu le déguisement prescrit. Il boucle le ceinturon et demande :

— Et maintenant ?

— Vous allez conduire mon ami jusqu’au camion blanc stationné non loin d’ici. Si on vous adresse la parole en cours de route, répondez qu’il est malade et que vous le menez à l’infirmerie, pigé ?

— Pigé !

— Alors en route !

Et, courageusement, je sors le premier !

CHAPITRE SEPT

Ce sont les coups les plus osés qui réussissent le mieux. J’en ai fait souventes fois la remarque. Les hommes n’osent pas voir grand et c’est ça qui les rabougrit. Ils n’essaient, la plupart du temps, que des petits coups foireux. Alors, parce qu’ils sont foireux, ces petits coups, fatalement ils foirent !

D’un pas net et tranquille nous nous dirigeons tous les trois vers le camion-infirmerie. J’ouvre la porte arrière et je fais monter le Gros et son camarade. Pourquoi éprouvé-je l’assez sotte certitude d’être en sécurité à l’intérieur de ce véhicule ? C’est utopiste comme sensation, vous ne trouvez pas ? Pourtant, une fois la lourde fermaga, je respire plus à l’aise.

— Où que t’as péché ce camion ? s’informe le Gros.

— Je te raconterai tout ça plus tard, pendant les longues veillées d’hiver, lui promets-je. Pour le moment on a autre chose à fiche.

— Quoi donc ?

— Demi-tour… Si on pouvait mettre les adjas sans donner d’explications…

Le Gros tortille le bout de parchemin que le policier du camp lui enfonça dans la bouche. Il le montre à notre compagnon.

— Dis-moi, gars, fait-il, j’aimerais bien savoir pourquoi t’est-ce le zig qui m’a interrogé m’a taloché le museau en voyant ça !

Le faux soldat examine le papier.

— J’ai fait le drapeau suisse, la montagne, et des copains, commente le Gros, d’accord j’ai pas le coup de crayon de Dubout, mais c’est tout de même visible.

L’ex-prisonnier ne peut retenir un rire jaune.

— Ça ressemble à des caractères chinois, explique-t-il, et ça signifie « Merde pour celui qui le lira ».

— Oh ! je vois, y a eu méprise, dit Béru, soulagé. Alors v’là que sans le savoir j’écris le chinetoque !

— Tout comme M. Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, tranché-je, mais c’est pas le tout, faut se remuer, sinon on va découvrir votre évasion et ça bardera pour notre matricule.

Je frappe l’épaule du copain.

— Quel est ton nom, camarade ?

— Lang Fou Ré ! se présente-t-il.

C’est vrai qu’il est sympa. C’est un garçon assez jeune, la trentaine environ, avec un regard pétillant d’intelligence et un très beau sourire patronné par Colgate.

— Tu sais conduire un camion ?

— J’ai pas mon permis poids lourd, mais je dois me défendre…

— Alors va prendre le volant et déhotte. Si on te demande quelque chose, tu dis qu’il s’agit d’une urgence et qu’on emmène un chef à la ville la plus proche.

— Entendu.

— Du self-control surtout ! Pas de panique !

— Je ferai au mieux !

Il sort. Juste comme il descend du véhicule, Lang Fou Ré est bousculé brutalement et tombe à la renverse. Une masse sombre bondit dans le camion. Il s’agit du bélier de Bérurier, à nouveau échappé. Son amour pour les nougats du Gravos a été le plus fort. Il a voulu rejoindre Sa Majesté.

— Cyprien ! s’écrie le Mastar, ému. T’es plus fidèle qu’un clébard, mon gamin !

— Vous gardez cet animal ? demande Lang Fou Ré.

— Oui, c’est pas la peine de se donner en attraction, démarre !

Pendant les premières minutes on a coquette en cale sèche, moi, je vous le dis. Au cours de la manœuvre de dégagement, je m’attends qu’on nous stoppe. Mais rien ne se produit. C’est le chauffeur du camion surtout que je redoute, s’il voit filer son véhicule il va ameuter la garde, le vilain. Faut croire qu’il est en train de tortorer à la cantine ou de se payer une petite ronflette car il ne se manifeste pas.