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— Hello ! dit Lang Fou Ré, on va quitter l’autoroute.

— Où nous dirigeons-nous ?

— Vers la ville de Chou Far Ci. Que faudra-t-il faire lorsque nous arriverons à l’hôpital ?

— Tu réclameras des infirmiers et tu abandonneras le camion devant l’établissement. Nous t’attendrons à quelque distance de celui-ci.

— O.K.

Béru me cligne de l’œil et dit en désignant la cabine :

— Tu vois qu’on a bien fait de l’emmener.

— Et comment, sans lui on était repassés ! Pourquoi était-il prisonnier ?

Le Gros secoue la tête.

— Figure-toi qu’il s’est fait rapatrier en Chine because il voulait revoir sa vieille môman. Elle est morte à son arrivée et il a voulu retourner à la Muette. Mais macache, les z’autorités n’ont rien voulu chiquer. Alors il s’est fait embaucher dans l’équipe de l’autoroute parce que celle-ci va en direction de la Russie. Il s’est dit qu’une fois chez les Popofs il s’arrangerait. Seulement un rapport a été dressé contre lui et par radio on a prévenu le chef de chantier pour lui demander de l’embastiller.

Béru se tait. Maintenant le camion tangue dans des ornières. Il roule doucettement. Les sirènes des motards reprennent, fendant la foule qui doit se presser alentour.

J’entrouvre la porte arrière. Nous roulons dans une rue étroite bordée de maisons typiques. Cette fois c’est bien la Chine millénaire que causent les pouettes. Bérurier qui m’a rejoint en prend plein les mirettes.

— Ça me rappelle une pièce de théâtre me dit-il. Sauf que dans la pièce, les Chinetoques n’étaient pas fringués en bleus de chauffe.

Le camion ralentit. Puis il pénètre sur un terre-plein où sont rangées des ambulances.

— C’est là qu’on prend la correspondance ! annoncé-je. Mettons-les avant qu’on nous pose des questions.

Et je me laisse aller à l’envers. Je me reçois bien, c’est à peine si je fais quatre pas en titubant un peu. Au tour de Sa Majesté, maintenant. Il prend la position idoine, seulement, au dernier moment, v’là son enfoiré de bélier qui s’élance et qui lui saute dans les bras. Le Gros va à dame avec le bestiau sur le placard. Étourdi il met du temps à se relever. Il est tout contusionné et il maudit son féal admirateur en termes qui n’ont rien de chinois.

— Écrase, enjoins-je. C’est pas le moment de nous faire repérer.

Seulement, Alexandre-Benoît, vous le connaissez ? Partout où il passe et quoi qu’il fasse, ça donne un numéro de cirque de bonne venue. Il me rejoint en boitillant, avec son foutu mouton sur les talons, qui bêle caverneux.

On s’éloigne de l’hosto. J’espère que tout se passera bien pour le camarade Lang Fou Ré et qu’il viendra vite à la rescousse. C’est angoissant de ne pas parler la langue d’un pays lointain. On s’y sent perdu ; on s’y noie, on y étouffe…

Nous nous trouvons à l’angle de deux ruelles ombreuses.

Je distingue le chauffeur occupé à parlementer avec les motards. Puis il pénètre dans l’hosto avec l’un d’eux.

Mes vœux l’escortent aussi. S’il fait une fausse manœuvre ou bien si l’alerte est donnée nous serons vite récupérés, tout de blanc vêtus, dans cette ville où tout le monde est en bleu !

— On ferait mieux de se débiner, réfléchis-je.

— Où veux-tu que nous allâmes ? objecte le Pertinent.

Il a raison. Jamais l’inanité de notre entreprise ne m’est apparue aussi formellement. Elle est encore plus évidente dans cette ville que dans le désert. La nature n’est jamais aussi hostile que les hommes. Jamais !

— Ça y est, il arrive, souffle mon compagnon.

Effectivement, le camarade Lang Fou Ré dévale le perron de l’hosto et se dirige vers nous d’un pas martial. Des infirmiers s’empressent autour du camion, des vrais qui vont embarquer le pauvre toubib vers des mains plus qualifiées que les nôtres.

— Mince ! soupire Béru, j’ai oublié mon morceau de parchemin dans le bide du client, tout à l’heure. Je m’en ai servi pour essuyer le sang, et puis je lui ai laissé mon message dans le baquet.

— Ça va être cocasse pour le chirurgien qui le rouvrira lorsqu’il trouvera un billet sur lequel est écrit « merde pour celui qui le lira » ! rigolé-je.

— Venez ! nous dit Lang Fou Ré.

— Il paraît décidé, ce petit gars. C’est bien le Bouddha qui nous l’envoie, vous avouerez.

— Où qu’on va ? demande le Béru.

— Chez un oncle à moi qui habite la ville. Cela fait des années que je ne l’ai pas vu, j’espère qu’il acceptera de nous aider…

Il nous entraîne dans un dédale de rues grouillantes. Il y a des types à vieux vélos, des pousse-pousse, des charrettes à bras. On se cogne contre des éventaires.

Le ventre du Gros gargouille de plus en plus fort, comme un torrent en crue dans une gorge resserrée.

Derrière nous, Cyprien suit, tête basse, la langue sortie. Il paraît harassé. De temps à autre Bérurier se retourne.

— J’espère qu’il acceptera de nous faire cuire un gigot, ton oncle, fait-il à notre mentor.

— Je doute qu’il ait un gigot à nous offrir, murmure Lang Fou Ré.

— Moi j’en ai deux, murmure Sa Majesté en montrant l’animal. Plus deux épaules de mouton et une tripotée de côtelettes. Avec du riz et de l’oignon frais, je te promets un repas de gala.

— C’est ici ! dit soudain le jeune homme en nous montrant une échoppe vieillotte pleine d’un bric-à-brac indéfinissable. Attendez-moi un moment, je vais tâter le terrain.

Il disparaît dans le magasin. Je commence à me sentir vraiment mal dans ma peau. Les gens se détranchent sur nous, furtivement. Ces deux infirmiers flanqués d’un mouton constituent une image par trop insolite. À la rigueur, moi avec ma bouille badigeonnée de teinture d’iode et mes lunettes noires je peux faire illusion, mais pas le Mastar dont la trogne enluminée et la bedaine n’ont rien de chinois.

Quelques minutes s’écoulent. Et puis Lang Fou Ré réapparaît dans l’encadrement de la boutique. D’un signe de tête il nous engage à le rejoindre, ce que nous faisons de grand cœur.

— Mon oncle est d’accord pour nous héberger quelque temps, dit-il.

L’échoppe est celle d’un brocanteur. On y trouve une foule de saloperies chinoises qui raviraient les standistes du marché Biron.

Un petit vieillard chenu se tient dans le coin le plus sombre, assis dans un fauteuil garni de coussins moisis.

Il est ridé comme une morille déshydratée et on dirait qu’il n’a plus d’yeux, tellement ses paupières sont plissées. Une barbiche blanche, longue et étroite, lui pend au menton, comme une queue. Il écarquille ses paupières et alors seulement, un peu d’humidité au fond des cavités semble indiquer qu’il nous voit. Lang Fou Ré dit des trucs. Le vieillard en dit d’autres. Il incline la tête dans notre direction. Je me casse en deux, cérémonieusement, sachant combien les Chinois sont sensibles à l’extrême politesse. Plus débonnaire, Béru lui tend une pogne large comme un siège de faucheuse.

— Salut, pépé, lui dit-il. C’est gentil de nous recevoir. Si vous auriez un petit coup de casse-grain pour ma dent creuse je vous enverrais une boîte de cigares dès mon retour à Pantruche.

Heureusement, le petit vieillard n’a pas l’heur de parler notre langue et je suppose que Lang Fou Ré lui fait une traduction très libre des paroles béruréennes.

Le marchand de chinoiseries hoche la tête et désigne un rideau de perles au fond de l’échoppe.

— Venez ! nous invite Lang Fou Ré.

Nous longeons un étroit couloir qui sent le musc[5]. L’endroit est garni de caisses et de pouilleries que nous sommes obligés d’enjamber. On débarque dans une pièce mal éclairée par une sorte d’espèce de vasistas. C’est la pièce commune. Elle est peu commune d’ailleurs. Des senteurs douceâtres nous picotent le pif. Il y a des nattes à terre (des nattes à gens et des nattes à chats).

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5

Quand on raconte une histoire qui se passe en Chine, ne jamais oublier de dire que ça sent le musc, ça fait plus vrai et le lecteur est content.