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— Asseyez-vous ! engage Lang Fou Ré.

Il défait sa veste militaire avec une évidente satisfaction.

— C’est du pot que t’aies z’eu un tonton dans le patelin, respire Béru en s’avachissant sur une natte. Il est bonne pomme dans son genre le dabe, t’es certain qu’il est pas en train de bigophoner aux matuches ?

Lang Fou Ré fronce les sourcils.

— Vous insultez ma famille, fait-il.

— Pas du tout, j’hypothèse pour causer, rétorque le Mastar. Il risque gros, ton magot de tonton en nous hospitaliant.

Le rideau de perles fait entendre son cliquetis soyeux. Un froissement ! Et une fille pénètre dans la pièce. Oh ! pardon, cette merveille ! Vive la Chine, les gars ! Vive l’Asie ! Surtout quand elle est mineure ! L’arrivante est âgée (si l’on peut dire) d’une dix-huitaine d’années. Elle est grande, mince, flexible (comme une liane, diraient des collègues à moi dont les bouquins ressemblent à des albums de photos tellement ils contiennent de clichés). Elle a un beau visage, aussi régulier que le cours de la Loire. Ses yeux sont noisette pâle, elle possède de longs cils et au contraire de minces sourcils. Sa peau a la couleur de l’ambre[6]. Ses pommettes sont à peine saillantes, atténuées par une légère touche de fond de teint qui leur donne du velouté. Elle est coiffée court et a un serre-tête d’écaille blonde dans les cheveux. En voyant entrer ce bel objet, le cœur de votre San-A. fait tilt, ses lampions pavoisent en toute hâte et il sent que sa merveilleuse moelle épinière tourne en crème fouettée.

Lang Fou Ré s’approche de l’arrivante, frotte son nez contre le sien et se retourne.

— Je vous présente ma cousine Vao Dan Sing ! dit-il.

Congratulations. Le Béru en oublie sa faim.

— C’est pas possible que ça soye le vieux kroumir du magasin qu’ait fait ce sujet, murmure-t-il, il a dû avoir recours à la main-d’œuvre étrangère !

Miss Vao Dan Sing (mais appelons-la Vao tout court pour la commodité de la controverse) se met à nous préparer une collation substantielle : pâté impérial, pousses de soja au trou fi gnon, riz cantonnais et « litchi » dans la cendre. Le tout arrosé de thé, ce qui démoralise beaucoup le Gravos.

— Dis voir, Lang Fou Ré, pleurniche-t-il, ta cousine aurait pas dans un recoin une petite boutanche de Juliénas.

Hélas, la plus belle fille du monde (et elle se trouve à portée du regard) ne peut donner que ce qu’elle a. En l’occurrence elle n’a pas de vin.

Lorsqu’il a décrassé la tortore à tonton, Lang Fou Ré émet quelques-uns de ces rots bruyants dont les Chinois et les grumeurs d’eau Perrier ont le secret.

— Et maintenant, dit-il, si vous me racontiez ce que vous faites en Chine ?

— Tu ne lui as pas dit ? m’étonné-je à l’adresse de Béru.

Le Mastar me virgule un coup de tatane dans les molletières par-dessus la natte.

— Bé si, je lui ai raconté comme quoi on s’est gourés en redescendant les pentes du Tibet homicide. Et comment qu’on s’est payé le versant chinetoque au lieu de prendre çui qui surplombe le lac Léman ! Tout le monde peut se mettre le piolet dans l’œil, hein ? D’autant plus que notre boussole était en froid avec le Nord… Une boussole qui dit merde au Nord, ça facilite pas les excursions en montagne.

Il parle en ponctuant des clignements d’yeux, lesquels signifient : « Je ne suis pas le genre de type qui se confie au premier prisonnier venu. La méfiance est la mère de la Sûreté et de la P.J. réunies. »

Le gars Lang Fou Ré émet une nouvelle salve bicarbonatée et hausse les épaules.

— Des alpinistes qui se retrouvent dans le désert de Sin-K’iang parce qu’ils n’ont pas de boussole, moi je veux bien, les gars, seulement faut publier ce genre de conte dans les journaux d’enfants…

— C’est pourtant l’exacte vérité, tranché-je.

Il n’insiste pas. Les Chinois savent mettre leur mouchoir par-dessus leur amour-propre.

— Vous avez sommeil ? demande-t-il.

— Un peu, mon neveu, d’autant plus que ton thé des familles m’a calorifugé le système nerveux, dit le Gros. Si on voudrait bien nous montrer nos appartements…

Le pédicure discute du problème avec sa cousine. Plus je regarde cette gosse, plus je me sens énervé du bulbe. Cette petite déesse jaune, telle que vous me connaissez, je lui flanquerais volontiers les doigts de pieds en bouquet de violettes ! Comment que je te lui projetterais la grande scène du Viol sur écran large, interprétée par toute la troupe !

Elle nous considère pensivement, puis, sans le moindre sourire, et tout en conservant farouchement sa figure de divinité asiatique, elle murmure :

— Do you speak english ?

Ce qui signifie « parlez-vous anglais », la plupart d’entre vous plus quelques-uns auront déjà pigé je pense ?

Je m’empresse de répondre que « Yes Miss » et je me réjouis de pouvoir converser avec cette pin-up jaune. Les muets diront ce qu’ils voudront, mais la parole aide à l’échange des rapports culturels et sexuels. Sans attendre je déclare donc à notre jeune hôtesse qu’elle est unique en son genre et que ce genre, précisément, est tout à fait le mien. Cette prise de position la laisse froide comme un pif de clébard. Pour lui célébrer son culte de la personnalité, j’ai idée qu’il doit falloir se lever de bonne heure et avoir des feintes-à-Jules plein sa malle arrière.

— Suivez-moi, me dit-elle.

On repasse par le magasin. Là, elle tire sur une corde pendant du plafond et une échelle à contrepoids s’abaisse. Elle grimpe, ce qui, malgré l’étroitesse de sa jupe, me dévoile un paysage sublime. Parvenue au sommet de l’échelle, la voici qui pousse un trappon et qui nous fait signe de monter.

Je suis.

— T’entends pas, murmure Béru, le regard brillant d’émotion.

— Quoi donc ?

— Le mouton ? Il est resté dans la rue et il m’appelle, ce pauvre biquet !

— Qu’il aille se faire tondre ailleurs, c’est déjà beau que tonton Lang Fou Ré nous accueille, on ne va pas lui imposer ton zoo en supplément tout de même.

Le Gros n’insiste pas et gravit les échelons. Nous arrivons dans une soupente basse de plaftard. Elle est divisée en deux parties.

— Vous dormirez sur les nattes du fond, recommande-t-elle.

— Et votre cousin ? Je suis curieux.

— Il couchera dans la pièce du bas avec mon père vénéré.

— Et vous, illumination de mon séjour en terre chinoise ? poétisé-je dans le style du cru.

Elle montre une natte à lit dans la première partie de la soupente.

— Depuis que mon très honorable père souffre de rhumatismes, je couche ici car il ne peut plus gravir l’échelle.

J’essaie de ne pas extérioriser la big satisfaction que me procure ce voisinage.

— Dormez bien, dit-elle !

La voilà qui redisparaît par l’ouverture. Le trappon se referme. Nous sommes seuls.

— Jusqu’ici fait Béru en s’abattant sur une natte, on peut pas dire que ça se soye mal passé.

— Non, conviens-je, seulement je ne crois pas que cette première journée en terre chinoise ait fait avancer notre mission.

— Bast ! me console le Flegmatique, y a temps pour tout, mec.

Et sur ces fortes paroles il se met à ronfler.

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6

C’est comme le musc. Ne jamais oublier l’ambre dans un ouvrage traitant de la Chine, fût-ce une san-antoniaiserie !