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CHAPITRE HUIT

Pour ma part, ne possédant pas, hélas ! la sérénité du Gros, il m’est impossible de trouver le sommeil.

Dans le feu de l’action et devant les exigences de l’instant on perd de vue la gravité de la situation. Mais pendant une période d’accalmie, la réalité se dégage et montre son sale visage. Les périls blafards se dressent comme des spectres à la lueur d’un falot. Ils sont tous là, hideux, menaçants, funèbres, qui me défriment avec les trous noirs de leurs orbites vides. Comme je me sens perdu dans ce formidable pays, immense et surpeuplé, qui craque de trop de vie impossible à contenir et que l’on sent inflexible et dur. Depuis longtemps l’alerte a dû être donnée. On nous cherche. Notre piste sera facile à trouver, car nous avons été très remarqués dans les ruelles de Chou Far Ci…

Non, les gars, croyez-moi, cette entreprise est vouée à l’échec. Comment peut-on espérer passer inaperçu dans un pays dont les habitants n’ont pas la même couleur de peau que vous ?

Je suis en pleine moulinette farceuse lorsque j’entends s’ouvrir la trappe. C’est la ravissante, l’inoubliable Vao Dan Sing qui vient se coucher, la chère âme. Cette présence de choix me change un peu les idées. De noires, elles deviennent grises avec une légère pointe de rose sur les bords et le pourtour. Je me ferais bien un gala d’adieu avec elle, franchement. Le précaire, ça stimule les glandes, mes fifilles. L’homme qui vit à la seconde la seconde, il a besoin de jouir de la vie en totalité. Seulement cette môme ne m’a pas paru d’un accès fastoche et en ma qualité d’homme traqué auquel on a bien voulu accorder le droit d’asile, je ne peux pas me permettre des voies de fait. Gentleman avant tout, votre San-A., mes belles ! Tringleur ardent, ça oui, mais les belles manières avant tout.

J’entends la môme qui s’allonge sur sa couche. Je l’imagine dans la position horizontale, avec pas plus de fringues sur le dossard qu’au moment de sa naissance. Ça doit être du sujet de premier choix. Je passe en revue les grands trucs de mon répertoire, ceux qui m’ont valu des certificats de bonnes éconduites, des médailles d’or et des citations à l’ordre des bien armés. Ça me fulgure dans la gamberge toutes ces astuces plumardières.

J’en découvre des nouvelles, encore jamais appliquées. Je suis en état de grâce, quoi !

Comme dit l’autre, avec un jeu pareil, je ne peux pas me permettre de passer.

Doucettement je me lève et je gagne la pièce voisine. La gosse lit un rouleau de papier peint à la faible lueur d’une lampe à huile. En m’apercevant elle fronce les sourcils et, d’instinct, remonte jusqu’à son menton sa couverture de soie.

— Que faites-vous ? me demande-t-elle.

— Un peu d’insomnie, lui réponds-je. Ça vous ennuie de bavarder un instant avec moi ?

— Je suis couchée, objecte-t-elle.

— Ça n’a jamais empêché personne de parler, songez même qu’à l’Opéra dans Faust, Marguerite envoie son grand air couchée, vous savez : Anges purs, anges radieux.

Mais il n’est peut-être pas venu jusqu’en Chine le machin du père Gounod ?

Elle me regarde sans ciller, puis ses yeux se détournent.

— C’est gentil ce que vous faites pour nous, votre père et vous, chambré-je. Je voudrais pouvoir vous prouver ma reconnaissance un jour…

— Nous le faisons pour mon cousin, coupe-t-elle.

En voilà une, je vous jure que j’aimerais trouver son mode d’emploi ! Il est aussi vain d’espérer la séduire que d’espérer dénicher cette fichue base. Il doit y avoir une façon de baratiner les petites Chinetoques et je ne l’ai pas trouvée. Enfin quoi, dans un bled qui va sur son milliardième habitant, les nanas doivent pas rester vierges, ou alors le Saint-Esprit a installé à Pékin sa maison mère !

Dans les bouquins de mon enfance, les Chinois parlaient toujours avec des fioritures à chaque phrase. Des fois que je devrais essayer, non ?

— Vao Dan Sing, balbu-siège[7] avec ma voix mouillée pour pénombre rose avec accompagnement de guitares espagnoles en fond sonore ; Vao Dan Sing, depuis que j’ai ouvert les yeux sur le monde, jamais il ne me fut donné d’admirer beauté plus parfaite que la vôtre ! L’aube dont la brume s’irise, le cygne qui glisse sur l’eau verte entre les nénuphars, la rose emperlée de rosée, les cimes blanches et inviolées des montagnes dans la triomphale lumière du soleil, le mystérieux sourire de la Signora Mona Lisa, tout cela n’est que cendres grises à côté de votre éblouissante perfection !

J’attends en me demandant s’il est bon de lui en faire un paquet ou si elle va le consommer tout de suite. Alors la belle Vao éclate de rire. C’est la première fois et c’est beau. Ses dents nacrées brillent à la lueur de la loupiote.

— C’est dans votre pays qu’on s’exprime de cette manière ! pouffe-t-elle. Je n’ai jamais rien entendu de plus drôle !

Je suis un peu vexé, pourtant j’ai réussi à l’amuser et, je vous le répète dans chacun de mes chefs-d’œuvre, le rire est le plus sûr chemin qui conduise au dodo d’une nana.

La femme que vous faites rire vous appartient déjà un peu, car vous avez commencé à lui faire du bien ; or, les frangines ont la reconnaissance de la rate.

— Dans mon pays, attaqué-je vaillamment, on fait des choses absolument insensées.

— Par exemple ?

— Par exemple, quand un garçon comme moi rencontre une fille comme vous, il oublie séance tenante sa date de naissance et son numéro de téléphone pour ne plus penser qu’à elle.

— Vraiment ?

— Tout ce qu’il y a de vraiment. Vous êtes si sensationnelle, Vao, que vous méritez le voyage. Je me ferais bouddhiste pour obtenir un seul baiser de vous.

— Un quoi ? demande-t-elle.

— Ça, dis-je en posant mes lèvres sur les siennes.

— Mais c’est affreux, s’indigne-t-elle.

— Pas tellement, Vao. Faut s’y habituer, c’est comme l’opium. Quand on insiste, ça devient intéressant. Vous allez voir.

Elle essaie de me repousser, mais mollement, si bien qu’à nouveau je peux l’embrasser. Cette fois, je ne me contente pas du baiser de collégien pubère. C’est le grand mimi hydraté, avec contrôle des incisives, bouillon de culture interchangé et exploration de la membrane muqueuse.

Elle suffoque, pourtant mon petit doigt me chuchote qu’elle aime mieux ça qu’un flan à la vanille, Vao. Elle découvre le comportement occidental et ça lui donne des idées d’expansion. Je suis en train de précipiter le péril jaune, les mecs. Si la môme manque de discrétion, les friponnes petites Chinoises pousseront leurs guerriers à foncer nach l’Europe. Ils traversent l’Inde mystérieuse, le Pakistan, l’Afghanistan, la Turquie. Je le vois d’ici, l’itinéraire ! Ils couperont par la Bulgarie, histoire de vérifier si Loren est à Sofia, ils traverseront la Yougoslavie (et si Tito n’est pas content il en prendra pour son Belgrade). Ensuite, ce sera la chère Italie et, enfin la France, de bas en haut, de gauche à droite, la France réputée éternelle. Comment qu’elles s’engageront alors dans l’intendance, les filles du ciel, pour se faire grimper jusqu’au septième par les dégourdis de la VIe car vous pensez bien qu’on changera de slips (et de république pour la circonstance, vu qu’on se sera oubliés dans les uns et dans les autres).

Bref, pour vous en revenir à mon sujet d’élite, la voilà qui découvre the french becco et qui en redemande. Généreux de nature, je lui en redonne en lui consentant même une avance sur ses prochaines attributions.

Elle est fraîche comme la campagne, cette gosse. Et quel délicat parfum, quelle douce couleur de peau, quel velouté !… Je m’imagine avec elle à mon bras ou moi au sien à la terrasse du Fouquet’s. Faudrait un service d’ordre pour écarter les draguemen fureteurs. Y aurait tellement de regards brûlants braqués sur elle que j’aurais pas besoin de lui acheter un manteau de fourrure.

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7

C’est aussi joli écrit comme ça, non ?