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La voilà qui pousse un curieux petit soupir. J’en prends de l’émoi dans tout l’hémisphère austral. J’aime bien les gonzesses sonorisées, moi, elles portent à l’incandescence. Les silencieuses, ça plonge dans l’indécision. On a toujours l’impression, au plus fort de la chasse à courre, qu’elles se demandent si elles ont bien fermé le gaz avant de venir. Tandis qu’une expansive, une qui fait le point au fur et à mesure et qui assure la retransmission en direct, ça vous survolte le transistor à tête chercheuse.

Les mademoiselles-dents-serrées-à-laine-fraîche sont trop préoccupantes pour qu’on s’abandonne carrément.

Vao Dan Sing re-soupire.

Un vieux proverbe de Félicie assure que « Cœur qui soupire n’a pas ce qu’il désire ». Immediatly, je décide d’envoyer une commission d’enquête sur place pour s’assurer des aspirations de Vao. Au premier contact, je m’aperçois qu’elles sont grandes. Sans plus tergiverser, j’entreprends mon travail de propagande et de propagation. Je lui fais : la chenille processionnaire, le médius caverneux, le contre-écrou inversé, le plissement alpin, la pelle-bêche-tête-bêche, le pointillé langoureux, le bourgeon sensoriel, le grand hypoglosse surmené, les fingers en gold, le petit excavateur télescopique et, pour conclure, l’homme de gros mognon. J’évite la brouette chinoise par prudence, cette fifille pouvant fort bien l’avoir expérimentée avec un technicien du cru. Elle en oublie son anglais, Vao Dan Sing ! Elle interjectionne et onomatope plus qu’en chinois. C’est une frénétique dans son genre. Une goulue ! Y a ramdam monstre dans la soupente ! Je suis promu Ka tsa no va donneur par exclamations ! On m’acclame ! On m’élit ! On met l’eau ! On m’accapare ! on m’exclusife ! Bravo, San-Antonio, ça c’est de la prouesse ! Merci pour l’Europe unie ! Vive la France ! Et la fête continue. Défilé aux lampions, chandelles romaines, feu d’artifesse, oh ! la belle bleue ! Vive Monsieur le maire !

Quand j’actionne les rétrofusées pour l’alunissage, la môme Vao ne sait même plus qu’elle est chinoise. Elle a le regard en lanterne, la bouche en ouverture de boîte à lettres, les membres flasques et le système nerveux au rechapage. Bien entendu, les âmes chagrines vont encore prétendre que j’en remets, que j’exagère, que je tricolorise du radada. J’ai lu accidentellement la prose (je trouve pas d’autres qualificatifs) d’une ulcérée de la jarretelle qui, dans un article (je continue à ne pas trouver d’autres mots) publié par un bulletin (c’est pourtant vrai que j’exagère puisque j’appelle ça un bulletin) extrêmement confidentiel déclare que j’en remets pour rassurer le lecteur sur sa propre virilité. Textuel !

Je crois qu’elle ferait mieux d’analyser ses urines plutôt que mes écrits, la Madame Pudeur en question. Et pour lui prouver que mon vocabulaire n’est pas indigent, je tiens à lui dire qu’elle est une ratée de sommier, une refroidie du rez-de-chaussée, une virtuose du solo de mandoline, une passée-outre, une pas-réussie, une chagrineuse, une punisseuse, une embêcheuse de paiser en rond, une déglandée, une courroucée, une sèche, une qui voudrait qu’on l’inculque en couronne, une pionne à toute faire, une patibulaire, une pas tubulaire, une… Oh ! et puis, flûte, de quoi je m’occupe, laissons donc les araignées tisser paisiblement leur toile sur le siège de sa vertu.

Donc, Vao Dan Sing est apparemment satisfaite de ma démonstration. Après un long temps d’immobilité, elle se met à me caresser les cheveux de ses longs doigts effilés. Sa petite poitrine bien drue s’apaise.

— Vous êtes un grand fou, murmure-t-elle, tout comme la première midinette venue.

Elle se penche au-dessus de moi et enfouit sa tête dans le creux de mon épaule.

— J’ai bien peur de ne plus pouvoir vous oublier, chuchote-t-elle.

J’aimerais lui roucouler des gentillesses, mais en anglais, c’est pas possible ! Dans la vie, y a deux sortes de frangines : celles à qui l’on dit qu’on a un rendez-vous urgent après l’amour, et celles avec lesquelles on recommence. Vao Dan Sing appartient à la seconde catégorie. Ce que je ne peux lui dire en français, je le lui fais en français. Elle est d’accord. Une passionnée, les gars ! Ce vertige ! Cette culbute dans les abîmes de la passion ! À la fin (la vraie), elle se met à pleurer d’émotion. Chez les Chinoises paraîtrait que c’est plutôt rarissime. Elle sanglote, elle hoquette et me bredouille des délicatesses dans sa langue maternelle (que je commence à bien connaître de l’intérieur). Et puis, tout de go, elle se jette sur moi, me prend la tête à deux mains et murmure :

— Oh ! my darling, il faut que vous partiez très vite cette nuit même…

C’est si peu en rapport (même sexuel) avec l’instant de qualité que je viens de vivre que j’en écarquille les châsses comme des bouches d’égout. Enfin quoi, je vous fais juges, mes petites poules. Quand on vient de faire vibrer une mademoiselle depuis Dunkerque jusqu’à Tamanrasset et qu’elle a les yeux bordés de reconnaissance, on s’attend plutôt à ce qu’elle vous retienne par les basques de votre slip, non ? Au contraire, ma Chinetoque bien fourbie (au point que j’ai l’impression d’avoir fait les cuivres) me demande de calter.

— Mais, tendre trésor de la Chine millénaire, que je lui rétorque, si nous partons maintenant nous allons nous faire cueillir par la première patrouille venue. Vous voulez donc notre mort ?

— Au contraire, susurre la douce enfant, je veux vous sauver.

— Expliquez-vous, ma belle déesse citronnée.

Elle hésite, son sourire a disparu, ses yeux en virgule sont devenus fixes.

— Vous couriez un grand danger, mon cousin Lang Fou Ré n’est pas l’ami que vous supposez.

Je fais la grimace.

— Sans blague ? m’exclamé-je en anglais.

— C’est un agent du Grand Poû La Gha. Comme il parle français, on l’a enfermé avec votre gros ami afin de lui tirer les vers of the nose

Je comprends tout. Y compris pourquoi nous nous évadâmes sans trop d’encombres.

— Pourquoi cette ruse, les moyens de pression ne doivent pas manquer pour faire parler un homme ? m’étonné-je.

Vao secoue sa belle nuque fine et souple comme une tige d’arum.

— On a craint sans doute que vous ne parliez pas ou que vous ne disiez pas tout ! Vous comprenez pourquoi il faut partir ?

Je serre les poings. J’avais déjà refilé toute ma sympathie à Lang Fou Ré, plus un début d’amitié.

— Quel salaud ! dis-je en français, parce que vraiment il n’y a que dans la langue de Cambronne qu’on puisse exprimer certains sentiments très intenses.

« Merci du tuyau, ma jolie, reprends-je en lui octroyant la galoche de la reconnaissance à titre posthume. Je ne sais pas trop ce que nous allons faire, mais nous allons le faire !

— Je pars avec vous ! décide-t-elle dans un élan.

C’est du fanatisme ou je ne m’y connais pas, admettez ! Les tourmentés de la ceinture de chasteté que je vous causais un peu plus haut pousseraient une frime contrite, marrie et ronchonneuse s’ils étaient là !

Elle veut racheter la vilenie du cousin, Vao. Elle en a honte cruellement qu’il appartienne au Grand Poû La Gha, le camarade Lang, et qu’il joue les faux derches avec nous. Elle se donne totalement cette fifille. Pas de demi-mesure : la ferme et les chevaux en même temps que la vertu, voilà comment qu’elle est !