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— Ce serait de la folie, Vao, mon amour, je lui réponds.

— C’en serait une bien plus grande encore si vous partiez seuls !

J’hésite. Non, décidément, je ne peux pas accepter un tel sacrifice. Elle se condamnerait en faisant cela.

— Je ne veux pas, chérie, insisté-je en m’efforçant de rester ferme sur les prix. De toute manière, nous sommes perdus, alors à quoi bon vous entraîner avec nous dans la mort !

Bien dit, non ? On se croirait dans une tragédie antique.

— Vous cherchez à quitter la Chine si j’ai bien compris ? demande-t-elle.

— Oui, mais pas tout de suite, Vao.

— Comment cela ?

— Mettons que nous ayons un petit travail à y accomplir auparavant.

Elle fronce les sourcils.

— Un petit travail ?

— Heu, dis-je après m’être mordu la lèvre supérieure en m’aidant pour ce faire de ma mâchoire inférieure, un travail d’information. Nous sommes des journalistes français, mon petit cœur. Nous avons décidé de tenter une grande enquête sur votre pays…

— Si vous enquêtez trop longtemps, jamais vous ne pourrez publier votre reportage, prophétise la ravissante enfant. Avez-vous au moins des amis dans le pays, des endroits où vous pourriez vous réfugier en cas de besoin, des appuis ?

Je secoue la tête lamentablement.

— Hélas ! non, belle Vao, vous êtes, avec votre foutu cousin, les seules personnes que nous connaissions.

— Alors, vous voyez bien que vous avez besoin de moi, dit-elle d’une voix âpre.

Elle se lève, décidée, ardente, somptueuse comme une amazone.

— Allez chercher votre ami, mais surtout ne faites pas de bruit ; il faut que nous sortions sans réveiller Lang Fou Ré.

Je secoue la hure du Gravos après l’avoir saisie par le menton.

— Ohé, Grosse pomme, soufflé-je, rouvre tes jolis yeux sanguinolents.

Il obéit, lape à vide comme toujours en pareil cas et murmure d’une voix aussi fluide qu’un seau de goudron.

— On est déjà à Villeneuve-Saint-Georges ?

— Presque.

Il s’assied en geignant, se masse les lampions entre le pouce et l’index, ce qui produit un curieux petit bruit de girouette surmenée par le Mistral, et murmure :

— Je rêvais que je rentrais de la Côte d’Azur avec ma Berthe et qu’on se tapait un morceau de calendos dans le train…

— Viens, mec, tranché-je, c’est pas le moment de potasser la clé des songes, on les met !

— Qu’est-ce qui se passe ?

— Il se passe que ton ami Lang Fou Ré est un salopard et qu’il appartient aux services secrets chinois. Si on reste sous sa tutelle, d’ici pas longtemps et peut-être avant, on va se retrouver au paradis.

— Lui, t’es dingue, proteste Bérurier, toujours généreux dans ses sympathies. Y’a pas plus chouette que ce gars-là. Il nous l’a prouvé, je crois !

— Du bluff, Béru. Du bluff. C’est une manœuvre.

— Comment que tu le sais ?

— La cousine ! Je lui ai fait son gala de l’Union et ça l’a tellement chavirée qu’elle m’a mis au parfum ! Elle va essayer de nous sauver la mise. Alors si tu peux te déplacer sans casser la vaisselle ni renverser les tables, c’est le moment !

Il branle le chef.

— Pas d’accord. San-A., déclare-t-il. Si Lang Fou Ré nous double, je tiens à lui mettre mes poings sur les z’i avant de filer.

— Les représailles sont un luxe qui n’est pas dans nos prix, tranché-je. Allez, ouste, arrive !

On s’engage dans le roide escadrin. La belle Vao est en bas qui nous attend. Je passe le premier, Béru suit en soufflant fort. À mi-parcours, il rate un échelon et achève sa descente en chute libre.

Ça fait un bruit terrible. Un sac de farine tombant d’un troisième étage sur un plancher vermoulu. Les lames de bois peuvent pas résister et le Gros se retrouve déguisé en homme-tronc. Je l’aide à l’extraire de sa fâcheuse position. À cet instant, le camarade Lang Fou Ré surgit, les carreaux encroisillonnés de sommeil.

— Que se passe-t-il ? demande l’agent du Grand Poû La Gha.

En une seule enjambée je suis sur lui.

— Ça ! dis-je simplement.

Mon crochet au menton le décolle du sol. Il fait un vol plané et s’abat à la renverse, les bras en croix, plus K.O. qu’un cheminot venant de prendre une ruade de locomotive dans le tarin.

CHAPITRE NEUF

Je ne sais pas si les Chinois sont aussi impassibles qu’on veut bien le dire, en tout cas je puis vous assurer que certaines Chinoises, elles, le sont. Exemple, la resplendissante Vao Dan Sing qui regarde maillocher son cousin d’un œil indifférent.

Elle ressemble à une belle chatte siamoise qui regarderait se déchirer des matous pour ses beaux yeux bleus.

— Et maintenant partons ! fait-elle de sa voix unie.

La nuit est limpide comme un torrent de montagne. Les étoiles brillent comme des cailloux[8]. Vao Dan Sing marche devant nous, d’une allure souple et féline. Quelle belle bête il y a là, cré bon gu ! En voyant onduler ses hanches, ma parole d’homme, je remettrais aussi sec le couvert. Béru louche aussi sur le valseur de mademoiselle puisqu’il murmure à un certain moment :

— T’as pas dû t’embêter, gars !

— La chose revêtait effectivement un certain intérêt, phrasé-je.

— Elle a le baigneur monté sur roulement à billes, cette Miss Camomille ! Quand tu lui interprètes le grand air de Cavalleria Rusticana, tu dois avoir l’impression de courir le prix de Diane !

— Chasse tes idées salaces, Gros, l’heure n’est plus à la jambon’s party.

Vao nous drive avec beaucoup de sûreté dans des ruelles de plus en plus étroites et biscornues. Arrivée à un croisement, elle s’immobilise brusquement et nous fait signe de nous planquer sous un auvent. Deux policiers en uniforme patrouillent. Ils avisent notre cicérone et l’interpellent. Sans se départir de son calme, Vao s’approche d’eux et leur jacte des explications qui, vraisemblablement les satisfont puisqu’ils reprennent leur ronde.

— Que leur avez-vous dit ? murmuré-je après l’avoir rejointe, une fois l’alerte passée.

— Que j’allais chercher un médecin pour mon père malade.

— Où nous conduisez-vous ?

— Dans un entrepôt que nous possédons non loin d’ici. Vous vous y cacherez en attendant que je trouve une voiture.

— Une voiture ! m’exclamé-je.

— Une de mes camarades travaille aux Va Ghon Li Couk, c’est elle qui assure le service postal entre le rail et la grand-poste de Chou Far Ci. Je vais lui demander de me prêter l’auto de son service. À bord d’une voiture de l’administration nous serons en sécurité.

Quelques minutes plus tard, elle nous introduit (à charge de revanche) dans un vieux hangar pourri, couvert de toile goudronnée. Un capharnaüm plus lamentable que celui de l’échoppe du vieux magot s’empile dans le local.

— Pendant mon absence, vous allez rester dans l’obscurité, nous recommande-t-elle, il ne s’agit pas de signaler votre présence.

Je la saisis dans mes bras.

— Vao, mon cher amour ; vous êtes la fille la plus sensationnelle qu’il m’ait été donné de rencontrer, mens-je (vu que j’en ai rencontré d’autres).

Elle frotte ses petits seins contre ma poitrine. Dans le noir je cherche et trouve ses lèvres ardentes. Notre baiser passionné se prolonge, vachement fameux.

— Après vous s’il en reste, soupire Bérurier.

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8

Oui, je sais, mais il en faut pour tous les goûts, non ? C’est mon universalité qui assure mon succès.