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Nous nous séparons, elle et moi, à regret, la bouche blasée.

— Dans quelle région de Chine souhaiteriez-vous aller ? s’inquiète Vao.

— Je n’en sais rien, lui répondis-je.

Je ne vois pas son regard, mais à sa voix je le devine bourré d’incrédulité.

— Vous faites un drôle d’enquêteur !

— À vrai dire, ma chérie, je sais ce que je cherche, mais j’ignore où cela se trouve. Probablement dans une région désertique.

— Si vous me disiez ce dont il s’agit, peut-être pourrais-je vous orienter ?

Il est des circonstances dans la vie où l’agent le plus secret doit se confier. Je me dis que ça n’est pas en jouant Motus (pièce en trois actes de Vivendi) d’une façon systématique que j’arriverai à dégauchir cette saloperie de base.

— Votre pays s’amuse à balancer des satellites, révélé-je. Ce sont les plus gros engins jamais propulsés dans le cosmos. Pour réaliser ce tour de force, il faut de l’espace, ce n’est pas depuis la terrasse du Pékinois Libéré qu’on peut opérer des shoots de cette ampleur !

— Nous devons donc longer la limite du Sin-K’iang, assure-t-elle résolument.

Son « nous » me va droit au cœur. Elle n’a pas froid aux châsses, ma nouvelle conquête. Je dois l’avoir particulièrement bien réussie pour qu’elle abandonne tout et affronte les pires dangers. On ne chantera jamais assez l’abnégation des femmes.

Elle part. Nous nous asseyons (à tâtons) sur des ballots (ce genre de sièges convenant admirablement au Gros) et nous attendons. Le silence est profond. Mais voici que, tout à coup, un frôlement se fait entendre contre la porte du hangar.

— V’là de la visite, chuchote le Mastar dont l’ouïe est fine quand il ne dort pas.

Le frôlement se fait plus insistant. La porte bouge. De toute évidence quelqu’un la tripatouille.

— Qu’est-ce tu crois qu’il s’agit ? demande Bérurier.

— Peut-être un cambrioleur, supposé-je.

— Ce serait le comble, il pourrait pas venir à un autre moment !

— Tu sais, même en Chine, ces messieurs font plutôt équipe de nuit !

On tâtonne dans l’ombre à la recherche d’un truc contondant qui nous permettrait d’infliger au visiteur du soir l’accueil qu’il mérite.

Mais à cet instant, un bêlement lamentable éclate dans la nuit étale.

— C’est Cyprien ! s’exclame le Gros. Tu parles d’un féal, çui-là !

— Inconditionnel à part entière, renchéris-je. Il a retrouvé ta trace…

« Il est vrai, ajouté-je, que pour un animal possédant l’odorat surdéveloppé, elle doit être facile à suivre.

— On lui ouvre ?

— À quoi bon, on ne va pas l’emmener avec !

— Mais s’il gueule encore longtemps comme ça, il va finir par attirer l’attention !

— Tu as raison, ouvre-lui !

La joie de ce bélier est indescriptible. Il se frotte au Gravos en poussant des soupirs pâmés. Il est enamouré, en transes, fou de bonheur. Généreux, le gars Béru se déchausse afin de récompenser comme il se doit le fidèle animal.

Une petite heure s’écoule. Le calme est revenu dans le quartier silencieux. Béru somnole contre la laine de Cyprien. Je commence à redouter que Vao n’ait eu des ennuis lorsque je perçois un ronflement de moteur. Le bruit grandit. Une voiture stoppe devant la porte du hangar, mais sans que son moulin s’arrête de tourner.

Le pas léger de Vao retentit, je le reconnais. Effectivement, le vantail s’écarte et sa merveilleuse silhouette se découpe dans le rectangle de clarté.

— Ne bougez pas ! recommande-t-elle, je vais entrer en marche arrière, car il y a des policiers non loin d’ici.

Nous la laissons manœuvrer. Elle pilote une camionnette rouge comme une bagnole de pompelards sur laquelle sont peints en noir des caractères chinois.

Le véhicule pénètre à reculons dans l’entrepôt. Brave petite Vao ! Je crois que c’est la Providence qui l’a mise sur notre route ! Maintenant elle est devenue notre ange gardien. Un ange gardien qui n’a pas froid aux yeux et qui, moralement, a du poil au cœur !

Elle redescend, fait basculer le plateau arrière de la camionnette. Nous nous avançons pour prendre place à l’intérieur. À cet instant, un projecteur s’éclaire dans le véhicule, qui nous frappe en pleine poire. Je cligne des yeux, je détourne la tête, ébloui. Ça grouille dans le camion ! Ça glapit ! Mettant ma main en écran pour me protéger des ardeurs du projo, j’aperçois quatre poulagas en uniforme, dont l’un est assis derrière une mitrailleuse également braquée sur nous. Pour une surprise, c’est une stupeur, mes fils ! J’en ai la rate qui fait le grand écart, le sang qui se fluidifie, les poumons qui se contractent et les nerfs qui se foutent en pelote.

Désillusion ! Faillite ! Abîmes insondables ! Culbute dans l’amertume ! Chute libre dans le néant ! Dépression ! Dur impact avec la non moins dure réalité ! Nous avons été flouzés, blousés, feintés, brossés, cocus. Vao Dan Sing n’est pas l’amazone éperdue d’amour que je croyais ! Elle n’est pas la Cavalière Elsa annoncée à l’extérieur ! Vao Dan Sing est une garce ! Vao Dan Sing est une judasse ! Vao Dan Sing est une salaude !

— Pas un geste ou vous êtes morts ! s’écria-t-elle en s’avançant.

Bérurier qui revient de sa stupeur comme on remonte des fonds marins, en effectuant des paliers de décompression, murmure :

— Elle est bath ta sauveuse, pauv’ cloche ! Comment qu’elle t’a pigeonné, la Miss réglisse !

Ma commotion est trop forte pour que je puisse répondre.

— Les mains en l’air ! clame la fille.

Nous obéissons. Elle a un sourire maléfique, on sent qu’elle prend son panard plus intensément que tout à l’heure.

— Vous êtes un imbécile, mon cher, me fait-elle rageusement. Lang Fou Ré, ma crapule de cousin, jouait franc jeu avec vous. L’idiot a été mal inspiré en venant à la maison, car je suis présidente de la Section des Dragons Rouges du Kremlin Bi Sètre.

— Bravo, murmuré-je, vous avez magnifiquement manœuvré, et d’une façon très agréable, Vao. C’est un ravissement que d’être arnaqué dans de pareilles conditions !

Je biaise, car j’ai la rage au cœur. Et voici que le fichtre me prend. J’agis sans le vouloir, sans le savoir, impulsivement. Elle est devant moi. J’abats mes bras levés sur elle, je la plaque contre ma poitrine, d’une étreinte irrésistible. Un littérateur moyen dirait que je m’en fais un vivant bouclier. Elle a beau gigoter, cette vipère lubrique, je la cramponne ferme.

Le mitrailleur poussa un cri terrible. Ça doit signifier : « Lâchez-la sinon je défouraille ». Il a eu tort de glapir si fort. Cyprien a horreur qu’on fasse du suif dans son espace vital. Il fonce sur la camionnette, d’un bond léopardien, il bondit sur le plateau et culbute la mitrailleuse et le mitrailleur en filant des coups de boule à la ronde. Les quatre flicards s’évacuent en vitesse.

Ils sont mauvais ! Ça commence à canarder. Je sens Vao toute molle dans mes bras. Elle vient d’effacer la première rafale. Bien fait pour elle ! C’est alors que j’assiste à du grand spectacle. Un super-gala signé Béru.

Au moment où les poulets ont sauté de la camionnette afin d’esquiver les charges forcenées du bélier, le Gros s’est payé le luxe d’en cueillir un par le ceinturon. Il le fait tourner à bout de bras, lui fracasse le bol contre un montant du véhicule et le propulse dans les cannes d’un second. Et puis sans perdre un quart de seconde il bondit dans le camion, relève la mitrailleuse et arrose au pied du plateau.

— Barre tes os, San-A. ! exhorte le Magistral !