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C’est effroyable comme situation. Demander à l’intéressé de traduire de telles paroles ! N’avoir que lui qui puisse les traduire ! Ah ! je vous jure que dans cette affaire je serai allé jusqu’aux limites du soutenable.

Je file un coup de pompe dans la lourde. Ça déclenche un concert. Quelques minutes s’écoulent, et puis le judas coulisse. Naturellement, il y voit ballpeau, le gardien. Il a beau coller son œil à l’orifice, on lui joue « Purée de Goudron dans le Tunnel  » en vistavision.

Il demande des trucs. Un de nos compagnons lui répond. Alors, le gardien quitte le judas et parlemente avec d’autres gardes que j’aperçois par le guichet resté ouvert. Ils sont deux, en effet. L’un a une mitraillette. Il ôte la bretelle de son épaule et la prend en main.

J’entends le verrou coulisser. J’ai observé qu’il y en avait deux. C’est celui du haut que le gardien actionne en premier. Je me baisse, le fil dardé. Grâce à la clarté tombant du judas, j’y vois un tantinet. Je repère les rivets fixant le verrou du bas. Pour que mon truc marche, il faut jouer sur des fractions de seconde. Je dois brancher le jus après que l’homme a tiré le verrou, mais avant qu’il n’ait lâché la poignée. Je retiens ma respiration. La petite fourche que composent les deux fils n’est qu’à quelques millimètres du rivet. Ça grince… Je devine le geste du gardien, je l’accompagne de l’autre côté du panneau. Soudain je devine que la tige de fer a quitté sa gâche.

En avant la musique. Je plaque les fils dénudés contre le rivet. Pendant un instant, c’est comme dans un rêve, lorsqu’on tombe dans un gouffre mystérieux et sans fin. Pas un mot, pas un cri, pas un mouvement. Le monde est devenu une abstraction monstrueuse. RIEN NE SE PRODUIT !

Je me demande si le courant a passé et s’il est assez fort pour provoquer une réaction !

— Mate un peu par le judas ! enjoins-je au Gros.

Il se détranche à bloc, Béru, plaquant son mufle dans l’ouverture à s’en faire gicler la gobille à l’extérieur.

— Il est à genoux, dit-il. Il ne bouge plus.

— Et les deux autres ?

— Ils attendent. Ah ! en v’là un qui sourcille… Il commence à se demander à quoi que joue leur pote.

Le Gros commente sobrement, très vite :

— Il se baisse aussi. Il veut secouer son petit camarade. Coincé ! Il bascule sur lui. Oh ! pardon, c’est pas du jus de chic qui roule dans ces fils ! On est branché sur la force dans l’hostellerie de « Couche-misère ». Peut-être même sur l’haute-tension ! Reste plus que le troisième qui entrave que pouic à ce circus !

— L’homme à la mitraillette ?

— Yes.

— Pourvu qu’il ameute pas la garde !

— Non, c’est une vraie truffe ! Il se penche ! Il avance la pogne ! Pris ! C’est gagné !

Je me relève et je tiens le fil très haut levé pour éviter un accident à l’intérieur de la cellule.

— Sortez ! crié-je, et sans bousculade. Ramassez les armes et les clés, ouvrez les autres cellules.

— T’occupe pas du chapeau de la gamine ! fait dans l’obscurité la voix du nyctaglotte.

Le premier il pousse la porte.

Et il sort le premier !

Bravo, Béru !

CHAPITRE TREIZE

— Il semble que vous ayez réussi le début de votre folle entreprise, mon fils ? fait le vieux.

— Il semble, effectivement. Dites-moi, grand-père, vous avez entendu parler des rizières du Poû Lo Pô ?

— Approchez !

Je m’agenouille devant lui tandis que dans le couloir le branle-bas prend de l’avancement et devient général.

— Si vous parvenez à sortir d’ici, essayez de gagner la bourgade de Fou Zi Toû distante d’une vingtaine de kilomètres des rizières en question. Là-bas vous demanderez la maison de Ko Man Kèlé, rue du Caméléon-doré, il s’agit d’une de mes anciennes élèves qui est embaumeuse. Vous lui direz que vous venez de ma part et, pour le lui prouver, vous prononcerez les paroles suivantes : « Si tâbo bopr’ an d’lasprô ». Alors, elle vous aidera.

Je serre la main décharnée du vieillard.

— Merci, grand-père, aussi longtemps que je vivrai, votre souvenir restera gravé dans mon cœur.

— C’est un cœur généreux, dit le mourant, puisse-t-il battre longtemps encore !

Sur ces belles paroles, je sors. Une foule hurlante grouille dans le couloir. Ça déboule des autres cellotes. Béru, armé de la mitraillette (pas folle la guêpe) tient en respect trois gardes placés de l’autre côté de la grille barrant le couloir, tandis que le petit dégourdi jaune de notre cellule essaie les clés récupérées sur les gardiens foudroyés.

Il ne s’énerve pas et son calme porte ses fruits puisqu’il parvient à ouvrir.

C’est la ruée. Un torrent humain s’écoule.

Le tac-tac d’une mitraillette retentit. Puis un second joint sa voix crachoteuse au premier. Le Gros me retient par la manche.

— Nous pressons pas, fait-il, on a fait le plus gros, aux autres de se farcir les premières bastos.

La horde des prisonniers s’écoule par la grille en hurlant avec une rare sauvagerie. La fusillade continue dans les couloirs. Drôle d’émeute ! Bientôt nous sommes seuls, le Gros et moi, et alors seulement nous nous aventurons dans la rotonde du poste de garde. Celui-ci est jonché de cadavres. Maintenant c’est au-dehors que ça pétarde. Les prisonniers foncent vers la sortie. Ils tombent, fauchés par les balles des surveillants, mais leur nombre leur donne provisoirement un sentiment d’invincibilité.

Il doit bien y avoir une autre issue, marmonné-je. La vie appartient à ceux qui la vivent à contre-courant. Voyez plutôt ce qui passe dans les gros centres urbains, chez nous. Vu l’horrible négligence des urbanistes, la monstrueuse inconséquence des ponts et chaussées qui vous foutent cinquante centimètres d’autoroute par semaine, on ne peut plus remuer. Seuls se déplacent encore ceux qui voyagent la nuit ou pendant midi. Ceux qui vont à Paris pour le week-end et non pas à la cambrousse, ceux qui prennent leurs vacances en mars et non en août. Puisque les pauvres et provisoires évadés se ruent vers l’entrée principale, cherchons, nous, l’entrée de service. Efforçons-nous de sortir par la porte étroite !

On voit une lourde ouverte et on l’emprunte à trois pour cent d’intérêts payables à la souscription. Elle nous fait accéder à une partie des bâtiments réservés aux logements des gardes. C’est plein de dames et de mouflets en chemise de nuit qui jacassent sur leurs seuils. Béru leur montre sa mitraillette, et aussitôt ces chères madames et ces mignons bambins se claquemurent.

On fonce toujours, au petit bonheur, c’est encore le guide le plus sûr. Nous parvenons dans une cour bordée de hangars sous lesquels sont remisés une foule de machines servant à l’exploitation de la mine. Il y a là des cribles thermo-fiduciaires, des introspecteurs à longue durée, des fouinasseurs à ondes courtes, des stratagèmes géants montés sur chenille, des amalgameurs de fréquence à moulinette perforée, des conjonctivites traceuses, des prostateuses lentes à boule kère, des enfigourées électriques (les meilleures) et des coltineuses de périphrases à syntaxe superposée. Mon choix se porte immédiatement sur une autochenille. Nous ne demandons qu’à la transformer en papillon !

Je saute au volant et je tripatouille le tableau de bord. C’est une Smig modèle 61, par conséquent, je n’ai aucune difficulté à la mettre en marche[13]. Béru bondit à mon côté, féal compagnon des folles entreprises ! Tout dans la volée, mes filles ! L’exercice grâce et souplesse continue ! On a faim, on a soif, on a sommeil, on n’est pas rasé, pas lavé, on est vidé. Mais le fabuleux tandem Béru — San-A. n’interrompt pas pour autant ses démonstrations de haute voltige.

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13

Et si vous n’êtes pas contents, allez vous faire empailler ! Je connais un bon naturaliste spécialiste dans le chimpanzé.