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La chenillette fait un boucan du diable. Illico des bouilles apparaissent aux fenêtres. Je fonce en direction d’un portail fermé. Il est verrouillé au moyen d’un énorme cadenas, mais il est en bois. À quoi servirait cette chenillette si elle devait se laisser impressionner par un pareil obstacle ?

Je bombe dans le double vantail. Ça fait vrrang et ça cède ! Il faut toujours céder les uns les autres !

Nous débouchons sur une large esplanade baignée de lune où sont parqués d’autres engins dont, pour ne pas surmener vos cellules atrophiées, je m’abstiendrai de dresser l’inventaire. À l’intérieur du pénitencier c’est la grande fournaise : Douaumont, le Chemin des Dames ! Un vrai massacre ! Maintenant les mitrailleuses de miradors se sont mises de la partie et pralinent follement, tandis que les puissants projecteurs volent au secours de la lune !

— On a été vachement géniaux de libérer les autres camarades, me dit le Gros. Ça détourne l’attention !

— Pas tellement, réponds-je en montrant deux puissantes bagnoles lancées à nos trousses.

Est-ce par osmose ? Toujours est-il que Béru se met à rire jaune depuis qu’il est en Chine !

— Mince, dit-il, en modifiant les trois lettres du milieu de ce mot passe-partout, j’avais pas remarqué.

Une grêle de balles crépitent contre la carrosserie de notre charrette.

— Baisse ta ruche, les frelons volent bas ! crié-je à mon ami.

Il se palpe le lobe, Bérurier. Sa main est toute poisseuse. Il a morflé une dragée au bas de l’étiquette droite.

— Bouge pas, rouscaille-t-il, je vas te leur faire déguster une compote de prunes de ma fabrication.

Je le stoppe.

— Molo, tu n’as qu’un chargeur de disponible, comme ils ont l’air de nous rattraper tu seras toujours à temps de défourailler à bon escient.

— Tu sais pourquoi qu’ils nous rattrapent ? interroge Sa Rondeur.

— Parce qu’ils vont plus vite que nous, lapalissé-je.

— Non, parce que t’as une autochenille et que tu roules connement sur une route au lieu de bomber dans la nature !

Si mes pieds n’étaient pas sollicités par les pédales du véhicule, parole of man, je me flanquerais des coups de savate dans le valseur !

Comme le pépin de mitraillette continue de crépiter sur notre voiture, je braque tout à gauche, défonçant une barrière de ciment armé, et je continue sur terrain accidenté. Du coup, les voitures suiveuses ne suivent plus.

— J’espère qu’on ne va pas se payer une nouvelle promenade sur champ de mines ! lamente mon ami. À force de taquiner le sort, tu verras qu’on finira par se retrouver avec coquette collée au pare-brise et les joyeuses dans le pommier d’en face !

Je ne pense pas que ce funeste présage soit fondé car nous nous déplaçons sur une ancienne carrière mal remblayée par les fouilles des nouvelles. Le grand problème du monde moderne, c’est l’évacuation de ses résidus.

Ce qui a manqué à l’univers, c’est le trou de départ, une poubelle naturelle où déverser la matière des trous à venir. Et maintenant, avec les bricoles radioactives, ça se complique salement. L’homme s’auto-contamine. Il a créé la vérole pour les autres, mais c’est un boomerang qui finit par lui revenir dans le calbar. Les déchets ne sont plus évacuables. Ils pourrissent la mer, donc le poisson, donc celui qui le mange. Ils pourrissent la terre, donc les plantes et donc ceux qui les broutent ! C’est la grande, l’intégrale chetouille ! La destruction en profondeur. La lente désagrégation (moi je m’en fous : je suis pas agrégé, je suis que licencieux) de la matière. On se détruit à qui mieux mieux, en bouffant, en respirant ! La vérolerie est partout, ambiante, endémique ! Choléra suprême ! la grande crève universelle ! Sapant tout ! Envahissant, rongeant, érodant, défigurant ! Oui, défigurant ! Et c’est ça surtout qui les emmouscaille, les bonshommes. Ils font le complexe de Ney ! Le cœur, d’accord, tant pis, ils acceptent d’être les forçats du myocarde. Mais pas la frite ! Oh ! non, par pitié, épargnez leurs jolies gueules de raie, leurs belles bouilles d’abrutis, de bellâtre, de pédants, de pédés, de pédiatres, de pédagogues, de pélagiens, de pélicans-lassés-d’un-long-voyage, de parnassiens, de pharmaciens, de bourgeois de Calais, de recalés, de caléchiers ! Prenez-leur la vésicule, bouffez-leur la rate, cisaillez-leur le foie, dégonflez-leur les éponges, déburnez-les, même, au besoin, mais ne dérangez pas leur coiffure !

Ne touchez pas à leur nez ! N’entamez pas leurs pommettes ! La pomme de terre en robe de chancre, c’est ça qui les terrifie. C’est quand ils auront des figures en cul de singe qu’ils s’arrêteront peut-être de déconner, de désastrer ! Dans leur glace ils l’apercevront le ravage, lorsqu’ils verront la photo de la lune à la place de leur ancienne image ! Alors là, oui, y aura déblocage au sommet, la réunion des galeux ! Des pelés ! Lambaréné à tarif unique ! Tous les bien-nés sans nez ! Je veux pas rater ça ! Messieurs de la pelade rouge-eczéma, cratérés de partout, avec des joues comme des morilles, les ratiches effeuillées, les gencives en pâte molle, les breloques fanées, un trou de balle à la place du naze et des membres revus et corrigés par la thalidomide ! Oui, je demande à voir, je sollicite de la bienveillance de Monseigneur le Très-au-dessus-de-la-moyenne, le privilège de me délecter abondamment d’une humanité devenue résiduaire pour avoir eu trop de résidus !

— On a l’air bonnards ! me dit le Gros. La chenillette, c’est le salut du fugitif.

Une fois de plus, son élan optimiste est étouffé dans la coquille. L’ancienne carrière ne fait que rejoindre la nouvelle et le tout est cerné par les fortifications barbeleuses que vous savez. On peut faire une partie de cache-tampon, mais s’enfuir, que non point ! On tourne en rond, en grand rond, mais en rond ! Ah ! haïssons bien fort la circonférence lorsqu’elle est close !

— Vise sur la droite ! clame le Gros, y a une caserne !

— Une caserne ? m’étonné-je.

Il me désigne une vaste excavation dans la falaise taillée.

— Tu veux dire une caverne !

— Caserne ou caverne fonces-y du temps qu’on est z’hors de vue.

Me fiant à ses impulsions j’obéis. La chenillette disparaît dans le sein de la terre nourricière. Il fait noir comme en un four dans cette grotte artificielle. La chaleur de la journée n’y a pas pénétré et nous bénéficions d’un brusque bain de fraîcheur.

— Il va leur falloir un bout de temps pour nous dénicher, assure le Vaillant. De nuit, malgré la lune, c’est pas commode de repérer ce trou noir !

Je hausse les épaules. Une fois encore nous ne faisons que reculer l’échéance. Dès que la mutinerie sera jugulée ils se mettront tous à nos chausses et nous arquepinceront[14].

— Je sais à quoi que tu penses, me dit Béru, d’accord, on s’est évadé à l’intérieur d’une cage pour ainsi dire, mais reconnais qu’on est mieux ici que dans la cellule de tout à l’heure.

— Profitons-en pour roupiller un peu, conseillé-je, nous sommes morts de fatigue !

Il est de cet avis, le Mastodonte. Le temps mort déguisé en sommeil n’est pas du temps perdu.

On se pelotonne dans la chenillette, la mitraillette entre nous deux, et on en écrase.

Pas longtemps. J’en suis à la période de ce lent balancement de l’intellect qui précède la dorme lorsqu’un vrombissement énorme me fait sursauter. Je m’avance à l’orée de la grotte et qu’aperçois-je ? Je ne vous le fais pas deviner parce que ça nous prendrait trop de temps, je préfère étancher votre curiosité tout de suite. Je vois descendre du ciel un gigantesque hélicoptère tout illuminé. Il se pose à cent mètres de notre refuge, sur le terre-plein bien découvert.

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14

C’est bon de se vautrer dans l’argot de Vidocq. S. A.