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— On est marron, Gros. Maintenant notre compte est bon. On n’a plus que la satisfaction de caner dans la base que nous avions pour mission de découvrir.

— C’est maigrichon puisque personne ne le saura, remarque-t-il justement.

J’entends alors un léger sifflement. Sorti d’on ne sait où, un projectile en forme de soucoupe volante tournoie au-dessus de nos têtes et explose. Je rentre la tête dans les épaules, m’attendant à essuyer un jet de mitraille, mais non. Un gaz jaune poison, très dense, s’en dégage qui s’abat sur nous. C’est un truc mortel, pas de problème. On va éternuer notre existence dans la rizière. Que faire ! Ah ! San-A., comme tu es génial ! Quel cerveau complet ! Quelle présence d’esprit ! Quelle promptitude dans la décision ! Je dirige le canon de ma mitraillette contre le tube du périscope et je praline.

Le tuyau se déguise en harmonica. Maintenant la nappe de gaz n’est plus qu’à un mètre de nos têtes. La mort s’abat sur nous, lentement, majestueusement.

— Bouche-toi le nez et respire avec la bouche plaquée contre un de ces trous ! dis-je à Béru.

Moi-même, je lui donne l’exemple. Si vous nous voyiez, mes gosselines, vous vous fendriez le pébroque jusqu’au pubis tellement on est marrant, les deux, à jouer les Rémus et Romulus en tétant le tuyau (c’est Béru qui fait Rémus, ou plutôt Raimu).

Bientôt nous ne nous voyons plus. Nous sombrons dans un nuage opaque comme l’œuf du même nom. Nous voici au cœur de la mort. Que notre bouche dévie de son orifice, ou que nous ne nous bloquions pas hermétiquement les deux narines et c’est scié. Je tète le goulet à petites goulées goulues. Le strict nécessaire pour que nos éponges continuent de fonctionner.

J’ai le goût du métal dans la bouche. On ne bronche pas. On attend, vivant pour vivre, uniquement, n’ayant plus en tète que la farouche volonté de subsister encore, de durer un peu plus, désespérément.

Le nuage soudain se disperse chassé par la brise. Nous conservons notre position. Nous sommes rivés à cette mamelle de fer.

J’entends un glissement d’herbe. Deux silhouettes fantastiques s’avancent sur nous. Deux hommes vêtus de combinaisons spatiales en couillonium de soyépolihester marchent dans notre direction. Rageusement, en retenant ma respiration, je les braque avec ma seringue et je leur virgule une rafale très sèche. Ils s’abattent. Je n’ai pas le temps de revenir m’abreuver d’oxygène au tuyau, l’effort m’a obligé de respirer. Rien ne se produit. La nappe toxique est partie.

— Enfilons ces fringues en vitesse, sans nous relever, dis-je à mon ami. C’est la seule façon de passer inaperçu.

— Mais les périscopes ?

— Si nous demeurons à ras de terre ils ne nous verront pas et celui-ci est détérioré.

Dévêtir ces deux gugus n’est pas un mince travail, passer leurs combinaisons en est un autre aussi délicat. C’est plein de sang frais à l’intérieur.

— Faudra mettre des rustines ! dit Béru, en passant son doigt dans l’un des trous.

Nous coiffons nos casques, nous nous relevons et je me mets à suivre à contre-courant la foulée des deux gars, visible dans le riz haut (de Janeiro). Cette dernière nous conduit à une trappe ouverte dans le sol. Sur le couvercle de celle-ci, on a collé des tiges de riz artificielles afin de le rendre invisible. Diabolique je vous dis !

Un escalier de fer est là, qui nous invite.

Sans hésiter je m’y engage !

CHAPITRE SEIZE

Une vingtaine d’échelons nous conduisent dans une sorte de cabine cylindrique aux parois garnies de caoutchouc-mousse (pour que ça fasse plus champêtre). Deux boutons s’y trouvent en saillie (comme on dit dans les haras). Il y en a un rouge et un vert. J’appuie sur le rouge. Il se produit un petit frisson électrique mais rien n’arrive. Alors je me paie le vert. Du coup, là-haut, la trappe enrizée se rabat, une rampe lumineuse s’éclaire dans la cabine et celle-ci s’enfonce dans les profondeurs de la terre. Du Jules Verne, les gars !

La plongée est rapide. Derrière son hublot, le Béru badigeonné de jaune par les soins attentifs de Ko Man Kèlé m’adresse une grimace, cependant que sa main droite s’élève à la hauteur de mes yeux. Il oppose le pouce de sa dextre à ses quatre autres doigts groupés pour exprimer la trouille. Je dois dire que ma témérité insensée donne le vertige. Délibérément voilà que nous pénétrons dans cette fichue base, sans une pensée pour les dangers qui nous attendent en bas.

Je parviens à lever légèrement la tète. Ce que je vois me fait frémir. L’escalier et son couvercle se trouvent à plus de cent mètres au-dessus de nous et nous nous enfonçons toujours, à une allure incroyable. Si nous n’étions pas alourdis par nos scaphandres nous nous envolerions sûrement.

La plongée vertigineuse se poursuit pendant un temps qui me semble infini. On a rejoint l’éternité. À ce train-là nous allons arriver au noyau terrestre, c’est pas possible.

Ou alors, c’est le camarade Méphisto qui va nous accueillir. Enfin cela cesse. La cabine stoppe presque instantanément, mais sans secousse. Elle s’ouvre en deux, comme une cabine téléphonique cylindrique lorsqu’on fait coulisser la porte. Nous sortons et le spectacle le plus impensable se présente à nous. Tout ce qui a précédé n’est rien ! Broutilles, billevesées, gadgets ! Nous touchons au démesuré, à l’impossible (auquel pourtant nul n’est tenu), à la fantasmagorie, au surnaturel ! C’est à crier ! À pleurer ! À béer ! À prendre ou à laisser ! Nous venons, écoutez bien gentes dames et doux seigneurs, de DESCENDRE sur la lune ! Non, je ne suis pas fou ! Je ne suis pas drogué ! Je ne rêve pas ! Mais la réalité (qui dépasse l’affliction) est indiscutable. Ou alors Béru et moi ne sommes nous-mêmes qu’une double illusion, un projet de San-A. et de Béru non abouti !

Un leurre (à propos quel leurre est-il, j’ai oublié ma montre ?).

Nous mettons le pied quelque part dans la mer des Salacités, ou dans celle des Rapatriés, ne sais. Un sol mort, tout en cratères, s’étend sous nos pieds. Et, tout là-haut, inaccessible et toujours familière, la planète terre tournoie dans un ciel de velours noir, avec son continent américain, pareil à deux côtelettes superposées, avec son Afrique surmontée de son Europe. Son Asie, son Onasis, ses Oasis, ses sots assis ; avec la France, avec Paris et toutes les villes, et toutes les sous-préfectures : Mantes, La Tour du Pin, Louhans (en voiture, s’il vous plaît !), et tous les cafés où l’on boit si frais, les restaurants où l’on mange si chaud, les petits hôtels où l’on fait l’amour si bruyamment, sans crainte des voisins grincheux, avant de rentrer chez soi pour regarder le foteballe à la télé. Toute la terre, mignonne dans le fond, possédant une bouille d’amie sous toutes les coutures ! La bonne terre pleine de vivants par-dessus et de braves morts par-dedans.

Une sirène retentit, dont la voix caverneuse nous parvient, malgré le scaphandre. Nous avançons un peu, mais comme des fantômes ou comme des mannequins de plume car nous nous sentons infiniment légers tout à coup. Un bond et on s’élève de deux mètres. Le gars Béru rigole comme Lagardère derrière son hublot. On fait joujou ! Mais voici que nous tombons en arrêt devant une longue table de fer derrière laquelle sont assis trois autres cosmonautes. Ils semblent attendre. En nous apercevant, ils nous font signe de stopper et nous nous hâtons d’obéir. Quatre autres gars loqués comme nous radinent avec des bâtons. Tout de suite je crois que c’est quelque arme secrète, mais non, à deuxième vue il s’agit bel et bien d’honnêtes bâtons. Les quatre arrivants, de leur démarche supra-(ô combien) terrestre arrivent sur nous, bâtons levés. Tout de suite je pige leur intention : ils veulent briser la vitre de notre scaphandre pour que nous périssions asphyxiés. Car nous sommes dans une formidable coupole souterraine où ont été recréés l’atmosphère et le sol luniens. Béru, le premier toujours lorsqu’il s’agit de la castagne, fait front aux arrivants. Le duel le plus insolite jamais réalisé commence alors. À l’intérieur de nos scaphandres nous n’avons pas une grande liberté de mouvement, par contre la densité de l’atmosphère décuple la portée tandis que les deux autres me sélectionnent, moi. Et tout cela se déroule sous les regards fixes des trois mecs composant l’aréopage. Un grand attaquant me charge comme à la lance. Vous parlez d’un tournoi, messires ! D’ici que je morfle un manche à balai dans le lampion, comme Henri II, y a pas loin. Je me permets une esquive rotative qui lui oppose ma nuque et j’ai droit à un coup de goumi féroce. Ça me permet d’apercevoir des étoiles tout autour de la terre. Mais je récupère vite et je me mets à tourniquer comme une toupie. Ça me propulse entre les bras du grand qui n’a pas eu la présence d’esprit de prendre du recul. Je lui arrache son bâton et je le trouve étrangement lourd. Doit y avoir une tringle d’acier ou du plomb dans le milieu. D’un coup de dargif Charpiniesque je le fais reculer quand voilà le deuxième qui s’apprête à me casser le vasistas. Je n’ai que le temps de cloquer mon gourdin en travers, à la japonaise.