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Nos trinques se heurtent. Vlan. Je réussis un croque-en-quille à l’archer number two et il se met à l’équerre, battant des deux bras pour récupérer son équilibre compromis.

Je lève le bâton arraché au précédent, et pof ! Je l’assène sur la lucarne du zig. Son hublot éclate et il choit, foudroyé. Au premier de ces messiers, maintenant ! Je me retourne mais je n’ai pas à m’occuper de lui car il est à terre, avec le pied de Béru sur le hublot du scaphandre, de Béru qui s’est déjà nettoyé ses deux antagonistes, de Béru, triomphant et altier comme le gladiateur vainqueur !

Lors, les trois hommes de l’aréopage se lèvent et viennent à nous. Quelle est cette comédie burlesque ? Les voici qui nous mettent la main sur l’épaule et qui hochent tant bien que mal la tête comme pour nous complimenter. Celui du milieu nous entraîne le long d’une série de cratères qui font penser à une photographie démesurément agrandie d’Eddie Constantine.

La sente sinueuse que nous suivons laborieusement s’arrête devant une porte fermée à l’aide d’un grand volant d’acier. L’un des compagnons du chef actionne le volant. Nous pénétrons dans un sas circulaire. La porte est refermée, une autre est déverrouillée, de l’autre côté du sas ! Cette fois-ci, nous pénétrons dans une grande salle où l’atmosphère est redevenue normale. Des gars sans scaphandre, mais en cottes bleues s’y affairent silencieusement. Une musique douce savamment diffusée par des baffles invisibles, donne au local une ambiance légèrement surnaturelle. On nous ôte nos scaphandres avec précautions, on nous fait étendre sur des lits de repos, dans un box fermé par des rideaux.

L’ahurissement du Gros fait mal à voir. Il paraît avoir des végétations. Ses yeux lui tombent sur les joues comme à une poupée de cire trop longtemps exposée au soleil.

— Tu as une idée de ce qui vient de se passer, me demande-t-il.

— Approximative, Gros. Nous nous trouvons donc dans une base souterraine absolument phénoménale où l’on a recréé les conditions de vie sur la Lune. Les futurs cosmonautes y subissent un entraînement impitoyable. On leur enseigne à lutter pour leur vie. Nous avons été pris, à la faveur de nos combinaisons pour des gars de la base, et…

Je la boucle car des zigs radinent avec des instruments barbares. On reste allongés, chiquant les athlètes triomphants. Les messieurs en question nous palpent, nous températurent, nous chronomètrent, nous vérifient, nous vaselinent, nous talquent, nous choient, nous massent, nous stéthoscopent, nous abreuvent, nous électrifient… Tout cela en silence. Le mutisme semble être de rigueur dans cet univers, pire qu’à la Trappe.

À la fin de nouveaux types aux faces jaunes amènent deux combinaisons plus importantes que les précédentes, avec des tuyaux branchés partout : dans le masque, dans la poitrine, le dos, le prose et la braguette. Ils nous les passent avec des gestes automatiques, prévus, répétés. Des gestes étudiés qu’ils pourraient accomplir les yeux fermés au millième de seconde près. Le Mahousse me virgule un regard de détresse. Toute sa bouille cireuse crie S.O.S. en béruréen. Il en a plein le dos (et moi donc !) de cet attirail barbare. Il voudrait retrouver ses vieux maillots de corps à trous, ses caleçons à fleurs et ses bardes fleurant bon la pomme de terre frite. Ça commence à lui galoper sur la prostate les chinoiseries chinoises. Mais nous devons nous soumettre. Depuis trois jours notre vie ne tient qu’à un fil de plus en plus ténu.

Nous nous poursuivons grâce à une incroyable (d’ailleurs qui vous demande d’y croire) succession de miracles improvisés à chaque seconde.

Je remarque que, non seulement, les gars ne nous parlent pas, mais qu’en outre ils ne se parlent pas entre eux. La musique ambiante fait partie de l’univers particulier où tout ce monde vit. Ces gens n’appartiennent plus à la surface de la terre. Pareils à des termites, ils préparent en son sein l’assaut du ciel.

Lorsque nous sommes bien harnachés, ils nous entraînent à leur suite dans ce labyrinthe secret, un peu comme une équipe de soigneurs escortent deux boxeurs jusqu’au ring. On passe des portes blindées, des pas blindées, des à volant, des à loquet, des à verrou, des à glissière, des à deux battants, des en bois, des en fer, des basses, des hautes, des dérobées ! Enfin on nous stoppe devant un énorme tube percé d’une ultime porte. À l’intérieur du tube se trouvent deux sièges bizarres et une foultitude d’appareils. Cette fois je glaglate sérieusement. On va passer à l’entraînement technique et ils vont découvrir que nous n’y connaissons que tchi[21] à leurs bidules, que nous sommes deux hideux imposteurs, deux fumistes, deux analphabètes cosmiques et caustiques, deux rigolos, deux va-de-la-gueule, deux plaisantins, deux paumés. Derrière sa tabatière, le Gros roule des agates de plus en plus désespérées. Il a envie de crier pouce (ou plutôt pousse-pousse puisqu’on est en Chine). Mais, imperturbables, des Chinois-verts nous bloquent dans des sangles, nous connectent, nous branchent, nous tuyautent, nous enferment et nous abandonnent. J’ai un bruit dans les oreilles. Un bruit de beignets dans la friture bouillante. Je comprends qu’il s’agit de la respiration du Gravos. Nous sommes en liaison par un des tubes acoustiques.

— Ohé, mec ! appelé-je.

Je le vois sourciller en deçà de son bitos vitré.

— C’est toi que tu me causes ? demande-t-il.

— Yes, mon pote.

— Ça se gâte, hein ? fait-il.

— Un peu, mon neveu.

— Qu’est-ce qu’ils nous maquillent ?

— Exercice de pilotage, Béru. On l’a in the Laba car je ne suis pas foutu de savoir à quoi correspondent un seul de ces boutons, une seule de ces manettes !

Un sifflement métallique m’interrompt. Puis une voix nasillarde remplace celle de Béru. Elle scande des mots d’une syllabe au rythme des secondes et je pige qu’on joue à la phase de décollage habituelle, au compte à rebours. Effectivement, la dernière syllabe a été jetée avec plus de force.

Le tube dans lequel nous sommes bouclés reste immobile. Et puis il est parcouru d’un profond frémissement et j’ai l’impression qu’il retrouve aussitôt son immobilité. Mais soudain tout chavire, tout chancelle et me voici plongé dans le plus atroce cauchemar de tous les temps, car nous sommes tout à coup au sein d’une radieuse lumière. Cette lumière est celle du jour !

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21

Que tchi : expression chinoise signifiant ballepeau.