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J’entends un claquement. Puis je subis une secousse dans les épaules. Je lève des yeux fervents vers le ciel : la blanche corolle d’un parachute me l’intercepte. Celui du Gros n’a pas enrayé l’épanouissement du mien. Bravo, San-Antonio, cela s’appelle la baraka. J’étreins maintenant Sa Bérurerie à deux bras. Nous voilà enlacés farouchement pour le meilleur et pour le pire. Sa trogne me surplombe légèrement.

— T’as pas de crampe, mec ? me demande-t-il.

Je suis frappé par le calme de sa voix.

— Non, ça ira, fais-je. Mais l’atterrissage risque d’être sévère, because le pébroque n’est pas à deux places.

— Quand on sera à un mètre du sol t’auras qu’à me larguer, je finirai le reste à pied, dit-il.

Croyez-moi si vous voulez, mais j’éclate de rire.

— Replie tes flûtes, Béru, on approche du terminus.

Effectivement, l’horizon s’abaisse lentement. Une plaine inerte se précipite sur nous. Je vois des roches, une herbe pelée.

— C’est là que les matelas Simmons devraient nous prêter leur concours, fait Béru. T’es sûr au moins qu’il n’y a pas de ligne à haute tension dans le secteur ?

— Certain.

— Pas de clocher, pas de paratonnerre ? Déjà que j’aime pas les suppositoires…

— Tout ce qu’on risque, c’est un bath rocher, Gros.

Je n’ai pas le temps d’en dire plus. Le sol est là. Je me mets dans la position recommandée par les manuels.

Béru, aussi, qui a senti l’arrivée imminente. Je me prends un coup formide dans les talons. Il me semble que mes cannes me rentrent dans le buste, comme le trépied à coulisse d’un appareil photo. Je tombe à la renverse et le Gros roule sur moi. Nous sommes submergés par la toile des parachutes. Et puis tout devient merveilleusement solide et immobile. Nous nous dépêtrons de la toile et des suspentes. Nous nous retrouvons assis face à face, un peu terreux, un peu contusionnés sans doute, mais en parfait état de marche.

— Eh bien ! dis donc, murmure le Mastar, tu m’as drôlement fait passer mon examen de repêchage ; sans toi, j’allais avoir la silhouette limande !

Il étanche de la manche le sang qui lui pisse des naseaux.

— Ces parachutes, fait-il, on dira ce qu’on voudra, mais c’est pas très au point. T’as vu qu’une de mes ficelles restait accrochée au zinc ? J’eusse pas z’eu mon ya sous la pogne j’allais ressembler à un sauciflard suspendu au plafond !

— Plutôt à une andouille ! fulminé-je, tu le savais donc pas que c’était le système commandant l’ouverture de la toile, hé ! ballot.

Il est penaud.

— Pas la peine de m’houspiller, mec, proteste-t-il. J’ai fait mon service dans les tirailleurs sénégaloches, pas dans les paras !

Je me remets sur mes cannes, je sors une lampe électrique de ma poche et je virgule un signal au zinc qui tournique au-dessus de nous pour l’informer que nous sommes bien arrivés et l’inviter à parachuter le matériel.

— Alors, comme ça, on est en Chine ? s’extasie le Gravos en matant le pourtour et les alentours.

— Yes, on est, fais-je. À deux pas du Cachemire pour plus de précision.

Il hoche la tranche.

— Du Cachemire, fait-il, si je savais, j’enverrais un pull à Berthe…

— Je ne crois pas que ça soit le moment, dis-je sans m’emballer.

Une blanche corolle[1] vient de s’épanouir au-dessus de nous.

On la regarde osciller dans le ciel et descendre majestueusement. Une jeep est suspendue après les ficelles du pébroque, elle tournique lentement et, vue d’en dessous, ses quatre roues semblent toutes bêtes.

— C’est la première fois qu’on me livre une bagnole de cette façon, se marre la Dorure.

— Ça se fait rarement, conviens-je.

— J’espère qu’ils ont pas oublié de joindre la carte grise et la vignette, se tourmente l’inquiet, m’est avis que les poulardins d’ici doivent chinoiser…

— T’inquiète pas, y aura même l’allume-cigare, Gros ; les Amerlocks ont le sens du camping.

On court dans une lande aride, caillouteuse où s’étalent çà et là des plaques d’herbe rêche, afin de se porter sur le point d’atterrissage de la chignole. Elle se pose bien sagement sur ses boudins et disparaît sous le linceul blanc du parachute. Le bruit de l’avion décroît. J’ai alors une brutale notion de notre solitude. Maintenant, c’est râpé, nous voilà coupés de notre univers. Nous appartenons à un monde provisoirement hostile.

— Tu n’as rien perdu, Gros ? Au cours de la descente : tu as tes fafs ?

— Yes, monsieur, fait-il en se palpant.

— Et pas d’objets compromettants susceptibles de trahir ta véritable nationalité ?

— Tu sais bien qu’on nous a cloqué des fringues en provenance de Berne !

— Montre un peu, exigé-je, malgré ses affirmations.

— On passe à la fouille ! C’est charmant, ricane Sa Majesté en levant les bras. J’ai l’impression que je viens de me faire alpaguer dans une rafle à la Goutte-d’Or !

Je fais l’inventaire de ses poches et j’ai la désagréable surprise de mettre la main dans un truc fondant et malodorant. J’extirpe l’objet en question et je découvre qu’il s’agit d’un camembert en pleine pâmoison. Son étiquette indique qu’il arrive de Normandie comme la plupart des camemberts normalement constitués.

— T’es pas louf ! glapis-je.

— Ben quoi, s’insurge le Boulimique, les Suisses clapent du calandos aussi malgré leur gruyère. Seulement eux, ils le bouffent quand il est encore guindé alors que nous autres, on se le paie au moment où qu’il s’abandonne !

Je balance le frometon révélateur, mais Béru s’indigne.

— Espace de vandale ! Un nectar pareil !

Il cavale le ramasser dans la poussière et le déguste séance tenante pendant que je dégage la jeep de sa housse improvisée.

À l’intérieur du véhicule il y a un réservoir de deux cents litres d’essence, une tente et tout un matériel d’alpinisme. De quoi becqueter aussi. Ces différentes denrées sont unanimement suisses.

Je consulte ma boussole. C’est une boussole truquée dont l’aiguille indique l’Est au lieu d’indiquer le Nord. Lorsque inévitablement nous serons arrêtés, elle contribuera à renforcer nos rôles d’alpinistes égarés.

— En route, Gros !

Il a encore la bouche pleine. Il se la torchonne du coude et grimpe à la place passager.

— Ce coup de camembert, fait-il, ça vient de me doper le mental, gars. J’aurais un petit litron de Juliénas à mettre par-dessus, je me sentirais tout à fait Zorro.

Nous partons. La voiture tangote sur les cailloux. À perte de vue ce n’est que caillasse et encore caillasse.

Béru lève les yeux et fait de l’œil à la lune.

— C’est poilant, dit-il, j’ai l’impression qu’on se baguenaude sur la lune et que c’est la terre qu’on voit briller tout là-haut !

CHAPITRE QUATRE

— C’est pas folichon, grommelle Sa Majesté au bout d’une heure de tape-séant. Pas étonnant qu’ils veulent s’expanser, les Chinetocks, s’ils ont que la mer de sable d’Ermenonville en guise de potager ! Où qu’on va au juste ?

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1

Cliché très courant lorsqu’il est question de parachutage dans un article de presse.