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— Non… non, reprit l’homme. Ils attendent depuis deux heures. Ils sont dans le salon. Je leur ai servi du thé pour les réchauffer.

— Mais qui est-ce ?

Le valet de chambre ouvrit la bouche pour répondre, mais, déjà, une porte claquait au premier étage et une voix annonçait gaiement :

— C’est moi, c’est nous, mes amis !

— Lioubov ! s’écria Tania. Ça par exemple !

Elle se lança dans l’escalier, suivie de Michel. Lioubov les accueillit au seuil du boudoir.

— J’ai voulu vous faire une surprise, dit-elle en leur tendant les mains.

— Le fait est que, pour une surprise, c’est une surprise, dit Michel. Votre mari aurait pu nous télégraphier…

Lioubov se mit à rire très fort et secoua la tête.

— C’était trop lui demander, dit-elle.

Elle s’effaça devant Tania et Michel pour les laisser entrer. La pièce était plongée dans la pénombre. Près de la fenêtre, un homme se tenait debout. Tania poussa un petit cri étouffé.

— Ne t’affole pas, ma chérie, dit Lioubov. Je vous présente Sacha Prychkine, ma sœur, mon beau-frère.

L’inconnu s’inclina dans un salut profond.

— Votre mari n’est pas là ? demanda Michel.

— Non. Mais asseyez-vous et soyez raisonnables, je vous en prie ! dit Lioubov. Je suis éreintée et j’ai tant de choses à vous expliquer !

— Où est votre mari ? reprit Michel.

— À Mikhaïlo, dans la propriété.

— Et ce monsieur ?…

Lioubov eut un sourire angélique et murmura :

— C’est mon amant.

Michel eut un haut-le-corps :

— Vous dites ?

— Je dis : mon amant, répéta Lioubov avec douceur.

Tania regarda son mari et s’effraya de sa pâleur subite.

Elle lui prit la main et chuchota :

— Du calme, Michel, du calme…

— Mais oui, dit Lioubov, du calme, pour l’amour du Ciel ! Je n’ai tué personne, que je sache ! Mon mari est au courant de ma liaison avec Sacha. Un jour, je lui ai dit que je voulais quitter la maison et comme il a les idées larges, il m’a donné sa bénédiction pour la nouvelle vie.

Michel croisa violemment les bras sur sa poitrine. Le bal, le souper l’avaient épuisé. Il avait envie de dormir. Et cette idiote l’ennuyait avec ses histoires de coucheries.

— Est-ce que vous êtes tous devenus fous ? cria-t-il soudain d’une voix enrouée. Est-ce que je suis dans une maison de fous ? Comment avez-vous pu, Lioubov, tromper votre mari, trahir votre serment ?…

— Mais j’aime Sacha ! dit Lioubov.

— Et votre mari ?

— Il m’a autorisée à partir. Vous n’allez tout de même pas être plus rigoureux que lui à mon égard ?

— C’est vrai ça, dit Prychkine.

— Vous, monsieur, je ne vous parle pas, dit Michel. Au Caucase, autrefois, quand une femme trompait son mari…

— Nous ne sommes pas, Dieu merci, au Caucase, cher monsieur, dit Prychkine, et je me permettrai de vous faire remarquer que…

— Est-ce qu’il va se taire, celui-là ? hurla Michel.

— Michel ! Michel ! dit Tania en joignant les mains. Ne t’emporte pas. Après tout, leurs affaires ne nous regardent en rien.

— Alors que viennent-ils faire chez moi ? Que venez-vous faire chez moi, je vous le demande ?

Lioubov pleurnichait et se tamponnait les narines avec son mouchoir :

— Cet accueil… Ces injures… Ah ! je n’oublierai jamais…

Prychkine lui tapotait le genou d’une main molle.

— Ma chérie, ma chérie, marmonnait-il.

— Voulez-vous m’expliquer, une fois pour toutes, votre présence dans ma maison à cette heure indue ? demanda Michel.

Prychkine rectifia sa cravate, passa un doigt léger sur le grain de beauté qui marquait le coin de sa lèvre.

— Cher monsieur, dit-il, ainsi que Lioubov vous l’a laissé entendre, nous avons quitté Mikhaïlo avec le consentement d’Ivan Ivanovitch Kisiakoff. Notre première idée a été de partir pour l’Italie, où j’ai déjà joué lors de quelques tournées retentissantes.

— Joué ?

— Oui, je suis acteur, dit Prychkine en battant des paupières. C’est d’ailleurs au cours d’une série de représentations à Ekaterinodar que j’ai eu le plaisir de rencontrer celle qui est présentement ma compagne. Je suis venu quatre fois en quatre ans, à Ekaterinodar. Et, la quatrième fois…

Il s’arrêta un moment pour échanger avec Lioubov un regard de tendresse humide. Puis, il reprit dans un soupir :

— Je vous disais donc que nous avions décidé de partir pour l’Italie. Toutefois, Lioubov n’avait pu recevoir aucun subside de son mari pour ce long voyage et mes économies personnelles étaient assez maigres. Nous avons donc résolu de limiter notre escapade à Moscou. Une fois à Moscou, il était bien naturel que Lioubov cherchât à revoir sa sœur. Elle s’attendait, la pauvre chérie, à une explosion d’allégresse. Ce sont des menaces qui l’ont accueillie sous votre toit. Je vous fais juge de sa surprise et de son chagrin légitimes.

Michel marchait de long en large et accrochait du genou les meubles qui gênaient son passage. Il s’arrêta enfin et s’appliqua une grande claque sur le front.

— Je crois rêver, dit-il.

— Nous aussi, dit Prychkine avec politesse.

— Ainsi, vous vous imaginez, dans votre inconscience monumentale, que je vais recueillir sous mon toit ma belle-sœur et son amant ?

— Oh ! Oh ! gémit Lioubov. Ne nous défends pas, Sacha. C’est inutile. Il nous chasse. Eh bien, partons ! Allons mendier dans les rues ! Allons coucher dans la boue ! Mais Dieu voit tout ! Dieu entend tout ! Et Dieu jugera les bons et les mauvais !

Tania, subitement touchée par le désarroi de sa sœur, se rapprocha d’elle et la baisa au front.

— Lioubov, ma petite, ne pleure pas, dit-elle. Tu as fait une folie ! Mais il ne sera pas dit que nous aurons la cruauté de te repousser…

— Non ! Non ! Maintenant, je ne veux plus rien savoir, geignait Lioubov.

Tania tourna vers Michel un regard mouillé de larmes :

— Michel, aie pitié d’elle !

Michel mordillait sa moustache et tiquait nerveusement tic la jambe.

— Il est trop tard, dit Prychkine d’une voix sépulcrale.

— Oui, il est trop tard, hoqueta Lioubov.

Michel assena un coup de poing sur la table.

— Silence, tous ! dit-il. Ma décision est prise. Vous ne resterez pas chez moi. Mais, s’il vous faut de l’argent pour loger à l’hôtel, je vous donnerai de quoi vivoter une semaine. Après quoi…

Et il fit le geste aérien de balayer des miettes.

Prychkine baissa la tête :

— On nous lance une aumône !

Michel tirait son carnet de chèques. Lioubov pleurait toujours et bafouillait entre deux sanglots :

— Oh ! Oh ! Quelle humiliation !… Jamais encore !… Ma propre sœur !… Et voilà !…

Puis, elle releva le front et soupira :

— Tu as une bien jolie robe de bal, Tania. Mais ce piquet de plumes bleues flanque tout par terre ! Oh ! Oh !

Tania berçait sa grande sœur en la tenant serrée contre sa poitrine. Sans doute, elle était indignée par la conduite de Lioubov. Mais elle ne savait pas la condamner avec la même rigueur que Michel. Elle ne pouvait s’empêcher de penser qu’il y avait une poésie audacieuse dans cette fuite, dans ce renoncement au confort de la vie conjugale. En fait, Kisiakoff était une brute. Lioubov avait eu raison de l’abandonner. Était-il possible que Michel demeurât indifférent à l’attrait romanesque de la situation ? Il était si droit, si sévère, Michel, qu’il en devenait un peu obtus par moments. Elle balbutia :