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— Tu as des robes riches. Donne-m’en quelques-unes.

— Voyons, maman, dit Michel.

— Si elle ne peut pas me les donner, qu’elle m’en fasse faire. Je veux la bleue et la rose.

— Elles ne t’iraient pas, dit Michel en riant.

— C’est mon affaire. Si ta femme a des robes riches, je pense que ta mère a le droit d’avoir des robes riches.

Et elle fixa sur Tania un regard de hibou, rond et glacé, qui fit frissonner la jeune femme.

— Je vais vous donner ces robes, dit Tania.

Marie Ossipovna accrocha la robe bleue et la robe rose dans son armoire. Elle les contemplait et les touchait en souriant avant de se mettre au lit.

À partir de ce jour, elle se commanda les mêmes robes que Tania. Elle ne les portait jamais. Mais, tous les samedis, ses deux femmes de chambre les sortaient, une à une, les repassaient et les présentaient à leur maîtresse. Et Marie Ossipovna, vêtue de noir, les épaules couvertes d’une mantille de vison, hochait la tête et répétait :

— C’est bien… Ces robes sont riches… C’est très bien… Allez les remettre en place…

Elle voulut aussi acquérir le même tableau – une marine – que celui qui décorait la chambre de Tania. Elle fit convoquer le peintre. C’était un ami des Danoff.

— Il me faut la même chose, exactement.

— Mais, madame, dit l’artiste, je ne saurais pas recopier mon œuvre. Cette toile est unique. Elle est le résultat d’une certaine lumière, d’une certaine inspiration, d’une certaine chance.

— Tu ne peux pas faire la même chose ?

— Je ne serais pas un artiste, si je travaillais en série. Voulez-vous une autre marine ? J’ai un paysage de Crimée qui…

— Je veux la même chose.

— C’est impossible.

— Alors, va-t’en !

Après cette visite, Marie Ossipovna déclara à son fils que « les marchands moscovites étaient des impertinents et des paresseux ».

Lorsque les Danoff recevaient des amis, la porte du salon s’entrebâillait parfois sur une silhouette noire et cassée.

— Entrez donc, maman, disait Tania.

— Qui est-ce qui est avec toi ? Ah ! C’est encore ceux-là ! Non, je m’en vais.

Et elle refermait la porte. Les invités éclataient de rire.

— Ma belle-mère est une originale, disait Tania en rougissant un peu.

C’était Volodia, surtout, dont Marie Ossipovna ne pouvait souffrir la présence.

— Il est encore venu ? Qu’est-ce qu’il demande ? disait-elle, comme si elle eût parlé d’un mendiant.

— Mais rien, c’est notre meilleur ami, disait Michel, tu le sais…

— Un ami ? Hein ! Quand on a une jeune femme, il ne faut pas qu’il y ait d’amis dans la maison. Tu devrais le faire mettre à la porte par le Tcherkess.

En fait, les visites de Volodia devenaient de plus en plus rares. Les préparatifs de son voyage avec Olga Varlamoff l’occupaient beaucoup. Il achetait des cravates et des chapeaux aux nuances tendres, des mouchoirs assortis à ses chaussettes et des cannes d’un style inédit. Cette agitation superficielle le détournait un peu de son grand souci. Olga Varlamoff, très habilement, l’aidait de son côté à ne pas trop réfléchir aux décisions qu’il lui faudrait prendre avant de revenir à Moscou. Elle lui affirmait que son choix s’imposerait à lui en dehors de toute contrainte. Même, elle lui conseillait de fréquenter d’autres femmes, afin d’éprouver la valeur de son attachement pour elle. Mais Volodia, quelle que fût l’insistance de sa maîtresse, répugnait encore à la tromper. La grossesse d’Olga Varlamoff l’avait amené, singulièrement, à envelopper toutes les femmes dans une même compassion, teintée de répulsion physique. L’idée que ces corps gracieux n’étaient au fond que des sacs de muqueuses, où se développait peut-être un germe bourgeonnant, suffisait à tuer en lui l’envie élémentaire de les posséder. Olga Varlamoff devinait bien la baisse de désir dont Volodia souffrait par sa faute, mais elle savait se contenter de son affection et ne désespérait pas de le reconquérir totalement dès qu’elle serait délivrée.

La veille de son départ, Volodia rendit une dernière visite à Tania, en l’absence de Michel. Il était plus sombre et plus nerveux que jamais.

— Avez-vous décidé quelque chose ? demanda Tania.

— Non. Elle ne le veut pas. Elle préfère que j’attende d’être seul à Goursouf, avec elle.

— Elle n’est pas bête, dit Tania.

— Pourquoi ?

— Parce qu’elle sait bien que, loin de vos amis, vous finirez par lui céder.

— Ne m’avez-vous pas recommandé vous-même de l’épouser ?

— Je ne pouvais tout de même pas vous recommander de faire passer l’enfant ! dit Tania avec humeur.

— Mais votre conviction intime est que…

Tania se troubla :

— Je n’ai pas de conviction intime.

— Si vous étiez à ma place, qu’auriez-vous fait ?

— Si vous étiez à la mienne, qu’auriez-vous conseillé de faire ?

Volodia baissa la tête :

— Je crois que nous sommes d’accord.

— Sur quoi ?

— Je dois rompre ou…

Tania éclata de rire :

— Vous ne romprez pas, et elle n’acceptera pas le : « ou ».

Le regard de Volodia se chargea de colère étincelante. Ses mains tremblaient :

— Bref, vous me prenez pour une loque, un lâche…

— Un bon garçon, simplement, dit Tania.

— Je ne suis pas un bon garçon. Je suis un salaud, dit Volodia.

Tania eut envie de lui sauter au cou. Elle palpitait. Elle était heureuse.

— Nous verrons, dit-elle. Au revoir ou adieu…

— Pourquoi adieu ?

— Parce que, si vous l’épousez, vous ne viendrez plus ne voir.

— Mais si, je reviendrai.

Elle fit une grimace :

— Bonne chance, Volodia. Faites mes amitiés à… à votre femme.

Volodia ne prit pas la main que lui tendait Tania et sortit le la pièce en claquant la porte.

Tania demeura un instant interdite. Un sentiment de honte et de laideur l’envahit. Elle n’osait plus réfléchir, par crainte d’avoir à se juger. De toutes ses forces, elle tentait le maintenir dans sa tête une vacance reposante. « Je n’ai rien dit de mal… On ne peut rien me reprocher… Il ne s’est ren passé… » Son corps devenait moite, sans qu’elle eût ait le moindre mouvement. Toute sa peau brûlait.

Lorsque Michel rentra du bureau, il trouva sa femme étendue sur le canapé du boudoir, avec une compresse fraîche sur le front.

— Ne t’affole pas, dit Tania. J’ai eu un vertige. C’est assez normal dans mon état.

Michel vint s’asseoir à son côté et lui prit la main. Elle s’écarta brusquement.

— Laisse-moi, dit-elle.

— Bon, bon. As-tu vu Volodia, au moins ? Il m’a dit qu’il passerait te faire une visite d’adieu en sortant du bureau.

— Oui, il est venu, murmura Tania.

— Il n’a pas l’air plus heureux que ça de partir avec Olga Varlamoff.

— Volodia ne sait pas ce qu’il veut, dit Tania d’un air faussement détaché. Je ne comprends pas, d’ailleurs, que tu l’autorises à prendre des vacances en plein mois d’octobre…

— Pour ce qu’il fait au bureau ! dit Michel en riant.

Au repas du soir, Tania se montra irritable et distraite.

Marie Ossipovna, qui dînait avec ses enfants, respirait par le nez entre chaque bouchée. Michel faisait trop de bruit en avalant son vin. Tania s’étonnait de n’avoir pas remarqué plus tôt qu’il aimait à tourmenter son lien de serviette.

— Mange des légumes, disait-il. C’est très bon pour toi.

Marie Ossipovna déchiquetait, du bout de la fourchette, une boulette de viande hachée.