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Qu’aussitôt dit tôt fait, l’entraîneuse officielle ramasse sa centrale, essaie d’en réparer le désastre et vient rajuster sa HiFi à ma table. Le champagne est dry comme du sirop de grenadine. Bouchon de plastique. Contrairement au champagne français, la petite muselière de fil de fer ne sert à pas à contenir le bouchon, mais à le maintenir. Lorsqu’elle est ôtée, t’as qu’à saisir celui-ci entre le pouce et l’index et à le retirer comme tu agirais avec celui d’une carafe.

— J’te demande pardon, grande follette, dit le Mastar en promenant sa main sur la cuisse de sa camarade de valse, j’voulais pas t’causer d’avarice de machine. J’espère qu’la bande son est toujours valab’ ?

Notre compagne le rassure. Elle explique qu’elle doit enregistrer toutes ses converses avec ses cavaliers. A la fermeture, elle remet la cassette au concierge de l’hôtel qui la tient à la disposition de la police.

Sa chute n’a pas réprimé les ardeurs du Mammouth.

— Tu voyes, me dit-il, cette fille, c’est textuel mon genre de femme. Le gabarit, les loloches, sa gentiliesse, sa frimousse…

Il se penche sur la dame et dépose dans son cou un mimi gluant qui la trémousse.

— Tu serais d’accord pour un p’tit coucher fripon ? lui demande-t-il.

Elle répond que oui, moyennant une subvention de cinquante dollars.

Marché conclu.

Sans plus attendre, le Magistral entraîne l’entraîneuse, ce qui est assez paradoxal.

Le champagne sucré me porte au cœur. Je réclame une bière pour me décamoter le tuyau de vidange. Sur ces entrefesses, quatre personnes radinent au bar. Deux couples. Gens de l’Ouest, ça se retapisse Frédéric dare-dare à leurs fringues. Ils viennent s’installer dans une stalle pomponneuse, éclairée par des chandeliers. Moi, sans hésiter, je visionne les deux dames, histoire de vérifier si elles sont comestibles. Toujours bon à savoir. J’aime bien qu’une dame de mon environnement soit baisable, ça la rend plus humaine. Ce coup de périscope se termine par un seau d’eau froide sur le cervelet. Il y a de quoi. Magine-toi que l’une des deux personnes n’est autre que l’aimable jeune femme rencontrée à Venise et qui vint si obligeamment — et sans mot dire, qui mieux est — se faire caramboler à mon hôtel.

Elle porte une robe noire, décolletée, avec une étole de renard (ou autre mammifère) blanche. Son maquillage est parfait. De longues boucles d’oreilles en chaude-pisse-la-julie, comme dit le Gros, parfaitement harmonisées à son regard d’azur, tremblent à ses lobes.

Elle rit. Elle est belle. Et, à la vue de ses dents blanches, une monstre trique m’empare ; avant même de me demander ce qu’elle branle à Sofia, ni pourquoi elle s’y trouve en même temps que moi. L’érection est un phénomène spontané qui correspond à des normes mal établies. Si j’ai un conseil à donner aux heureux bénéficiaires de cette fougue sensorielle, c’est de ne se poser aucune question et de profiter de l’aubaine.

Elle se trouve en compagnie du type amateur de livres anciens et d’un ménage de gens plus âgés, ayant belle allure, bon maintien, bonnes bouilles.

Au bout de peu de temps, le type qui n’est pas son époux invite ma Mystérieuse (c’est ainsi que je la nomme dans le secret de mon joli petit cœur aimant) à gambiller. Ça musique un tango égyptien. La fille accepte et se laisse empoigner par le gonzier. C’est un fort beau quingénaire grisonnant, svelte, avec une moustache façon Homard Shérif et des manières vieille France. Le voici qui fend la gonzesse d’une jambée impec, argentinesque, olé ! Et qui se met à la danser comme si elle avait l’entrejambe posé sur le genou de son cavalier.

Deux ou trois circonvolutions et le couple se pointe devant ma table. La nana m’aperçoit ; son visage se crispe. Feint-elle ou est-elle réellement déconcertée par notre rencontre ? Toujours est-il qu’elle se reprend et continue de tangoter avec le génaire, un bras passé au col d’icelui, à se laisser jamber de première comme pour une démonstration d’école de gambille.

Dès lors, pas une fois mon regard ne parvient à accrocher le sien. Le tango fini, le gus la remercie et la reconduit à leur stalle ; mais au lieu de reprendre sa place, la fille cramponne son sac et s’excuse. Direction toilettes. Est-ce une invite ?

Je décris un arc de cercle, pas donner l’éveil à ses compagnons, et je trace pour la rejoindre. Elle est déjà bouclarès chez les gerces. Je me recoiffe devant le lavabo des julots en l’attendant. Comme elle tarde, je me fais les ongles. Puis je brosse mes pompes avec du papier. Enfin, la revoilà. Sublime.

Je me précipite. Son regard bleu se pose sur moi sans s’arrêter, comme si j’étais de verre.

— Le hasard est grand ! je murmure niaisement.

Elle ne réagit pas et s’éloigne déjà.

— J’occupe la chambre 819 ! ajouté-je, éberlué.

La Mystérieuse a disparu.

Indécis, je regagne ma chambre, me demandant ce qu’est cet étrange personnage muet, indifférent en apparence, et qui vint se faire enfourcher avec une sorte de noire fureur passionnée.

Depuis le couloir pater austère peint en vert olive, je perçois un solo de violon crincrinesque. Ça joue un truc de Centre Europe, avec des langourances coupées de brusques galopades.

Plus je m’approche de ma piaule, plus la musique s’amplifie, à croire qu’elle provient de chez moi. La chose me déconchose d’autant plus mieux que je ne me rappelle pas avoir aperçu de poste de radio dans la turne.

J’entre et un flot de zizique et de stupeur m’entortille illico.

Tu juges.

Quatre personnes occupent mon appartement. Trois hommes et une dame. L’un des hommes joue du violon, assis sur le bord de mon plumard. La dame et les deux autres matous se livrent à une fouille minutieuse des lieux. Quand j’use du terme minutieux, c’est pour cerner la vérité au plus juste. Ce joyeux trio a complètement défait mes bagages et ratisse chacune de mes fringues centimètre après centimètre, n’hésitant pas à découdre certains ourlets, voire certaines doublures, décortiquant les montants de ma valoche, bref, mettant tout à plat avec une application révélatrice de leurs capacités en la matière.

Les quatre ont des bouilles pas plaisantes, la gonzesse pis encore que les mectons. D’ailleurs, elle paraît diriger le commando (mot d’origine portugaise).

Le plus abracadabrant de l’affaire, c’est ce violoniste qui scie des csardas danubiennes pendant que ses potes s’activent.

— J’espère que je ne vous dérange pas ? demandé-je.

Mes « visiteurs du soir » m’accordent des regards sobres, dénués d’expression.

La fille me désigne un fauteuil.

— Asseyez-vous ! me dit-elle.

— Trop aimable.

Je dépose mes objets précieux sur le velours flétri d’un siège avachi.

— C’est le travail en musique ? fais-je en montrant le violoneux.

Ils continuent de s’escrimer scientifiquement. Je les regarde avec intérêt, cherchant à déterminer leurs intentions secrètes à mon endroit, mais ces gens savent conserver leurs pensées dans les replis de leur citron.

Le musico a fini son morcif et entame un autre air, plus allègre. Je l’accompagne en frappant dans mes mains. Il me décoche un embryon de sourire derrière son gigot verni et met davantage de cœur à son exécution.

Les trois fouineurs finissent par s’avouer bredouilles, car ils stoppent leurs recherches. Ils sont vêtus très sobrement, dans les teintes passe-muraille pied-de-poule beigeâtre, polo marron, imperméable trop cradoche pour qu’il soit possible d’en déterminer la couleur initiale.

Deux des hommes portent des chapeaux de feutre récupérés dans des poubelles, le musicien est nu-tête, avec des cheveux longs dans le cou et un beau début de calvitie sur le devant. La fille est affublée du tailleur mal bâti cher aux pays de l’Est. Comme unique bijou, elle porte un grain de beauté au cou.