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« Qu’est-ce v’voudriez savoir ? C’qu’on fout t’ici, moi et Sana ? Juste tenter d’essayer d’y voir clair av’c l’œil d’verre à Siméon. Connaître l’bon grain d’l’ivresse, quoi. Qu’on n’a rien trouvé d’dans, au labo d’Pantruche. Alors mon pote y a rendu un faux, comme si qu’ ça srait l’vrai. Si le gars réagira, ça veut dire qu’le vrai z’œil est bien ce qu’on croive qu’il est, sinon, on s’s’ra gouré, y a pas d’mal. M’man m’disait toujours qu’y a qu’le Pape et les cons qui se trompent jamais.

« Quoi, l’vrai n’œil ? Vous pensez bien qu’on n’est pas glandus au point d’le charrier av’c nous autres, merde ! Prudence est mère d’la sûreté, comme y disent au Quai des Trois Orfèvres.

Et le Gravos de pouffer.

Rassuré et déconfit, je le laisse éponger la drogue qu’on lui a injectée afin de le rendre loquace.

Voilà qu’il a craché le morcif, Alexandre-Benoît. Maintenant le commando sait tout.

J’écoute le cœur de mon pote : il cigogne à peu près correctement. Maintenant, il s’agit de savoir si les quatre dégourdoches sont des gens à Grozob, ou bien s’ils travaillent pour le compte de quelqu’un d’autre. Dans la seconde alternative, de qui ?

Maussade, je retourne me pieuter.

Je sourcille en constatant que ma chambre est plongée dans l’obscurité alors que je suis bien certain d’avoir laissé les loupiotes éclairées en la quittant pour visiter Bérurier.

J’actionne le commutateur.

Décidément, les surprises ne manquent pas dans ce pays.

Sur mon plume, je trouve ma Mystérieuse de Venise. Elle porte une somptueuse robe de chambre de soie orangée grande ouverte. Ses mains sont croisées sous sa nuque, ses jambes repliées, et plus écartées encore que les pans du kimono. Vue rigoureusement imprenable sur la baie des Anges ! L’opération coup de fouet, j’espère ! Mon sang bondit pour la grande marée d’équinoxe ! Et l’amiral Canari se met droit sur sa dunette.

Ainsi « elle » est venue, la divine salopiote ! Elle est de nouveau dans mon lit, l’ineffable nymphowoman ! Avide de moi, son piège à bite armé, prêt à m’happer !

Que pouvais-je rêver de mieux ?

Je me déharde du peu que j’avais passé pour vadrouiller dans le couloir. Hypnotisé, je m’avance vers la source enchanteresse, comme l’écrivait le cardinal Daniélou, peu avant de finir tragiquement d’un accident de la circulation.

La première fois, avec Ninette, ce fut le rut ! Je décide qu’à présent on va jouer « Voluptas au service de la France ! » C’est pourquoi, avant toute chose, je pique une tête dans sa fourche d’accueil. Besoin de discuter le coup avec son trésor à crinière avant de lui poser d’autres questions à l’étage supérieur.

Elle raffole ! O, les divins soupirs ! O, le balancement de gondole à l’amarre de ses hanches conçues et réalisées par Stradivarius ! La manière imprégnante dont je batifole de la menteuse dans son delta enchanteur ! Suave ! Antichambre du bonheur complet ! Fol émoi ! Folle, et toi ? J’en perds la tête ! Mon camarade Mandrin en traverse le matelas !

Tyrolienne fabuleuse ! Je suis le pâtre des monts de Vénus lalala itou, lalala itou !

Toc, toc, toc !

— Vous permettez ! fait une vilaine voix.

Dedieu, le con ! Je n’ai pas pris le temps de donner un tour de clé !

J’abandonne ma tarte angora et me retourne.

Le type au manteau de cuir vert qui me conduisit à Siméon Grozob se tient dans l’encadrement, son vilain bitos à la main. Pas un muscle de son visage ne bouge et son regard reste impénétrable.

Il regarderait deux pommes dans une assiette, ses yeux auraient la même inexpression.

Tu crois que ma Mystérieuse s’affole, toi ? Pas le moins. Elle quitte le lit, se drape dans sa robe de chambre dont elle noue posément la ceinture, loge ses deux mignons patounets dans deux mules de soie noire et se dirige vers la lourde. Manteau-verdâtre s’efface pour la laisser sortir.

— A plus tard ! égosillé-je.

Mais elle n’est plus là.

Le Bulgare murmure :

— Désolé de dérange vous, mais il faut viendre tout de suite !

C’est à cet instant que je comprends plusieurs choses importantes.

Primo : le véritable faux œil de Siméon Grozob recèle bel et bien un secret.

Deuxio : il est vraisemblable que les quatre mousquetaires de la perquise n’ont pas agi sur l’ordre du Secrétaire.

Troisio : il va sûrement nous arriver, à partir de très bientôt, des choses encore plus vachardes que précédemment.

SANS CE MÉMORABLE CHAPITRE SEPT, CE LIVRE NE SERAIT PROBABLEMENT PAS REMBOURSÉ PAR LA SÉCURITÉ SOCIALE.

Cette fois-ci, nous ne nous dirigeons pas en forêt, comme disent certains cons que je connais ; mais dans le quartier pseudo-résidentiel.

Le verdâtreur stoppe devant la grille d’une propriété début de siècle, à la façade tarabiscotée.

M’invite à descendre.

Ce dont.

Deux factionnaires factionnent de part et d’autre du portail. Le bout de leur pif rouge reste pointé sur la ligne bleue des Carpates au moment où je passe. Ces deux messieurs ne daignent même pas me regarder en biais, comme le font les gardes de Buckingham Palace, qui pourtant sont anglais, donc dépourvus de toute curiosité.

Je franchis une cour semée de graviers, escalade un perron moussu flanqué de vasques hautement merdiques et suis accueilli par un gonzeman à carrure de gorille, coiffé à la gorille, avec des yeux, un museau, et un front de gorille. Il est sobrement vêtu d’un futal de velours à grosses côtes et d’un pull de laine dont le col roulé bâille comme la moniche d’une vieille pute marseillaise.

Cézarin, espère, il est pas chef du protocole à manger de la tarte. Tu le verrais traîner des lattes sur le parquet, et garder une main dans sa poche ! Et tu l’entendrais tousser gras ! Sans compter la manière dont il glaviote au sol, en écrasant le résultat sous la semelle de sa pantoufle. Tu mords le genre ?

D’un signe, il m’a ordonné de le suivre. Et il me guide en direction du premier étage.

On gravit donc un escalier à rampe forgée et on débouche dans un couloir où un mec est assis, impavide, une mitraillette sur les genoux. Le gorille va frapper à une porte. Il annonce que je me voilà, m’indique qu’il me faut entrer et se retire.

Curieux endroit. Imagine une pièce d’assez vastes dimensions tout en longueur. Le fond est aménagé en chambre à coucher. Une grande tenture peut, si on la tire, isoler cette partie du reste de la pièce, sorte de bureau-salon, garni de livres, de revues, d’appareils enregistreurs. Une table ancienne surchargée de paperasses. Un canapé avachi, un fauteuil, un immense poste de téloche. Tout de suite, ce qui me frappe, c’est de constater que les fenêtres ont été murées et qu’à l’emplacement de ces anciennes ouvertures, on a peint d’autres fenêtres en trompe-l’œil, encadrées de rideaux, comme si c’était des vraies. Cet aménagement insolite confère à la pièce quelque chose d’intensément déprimant.

Siméon Grozob est assis à la grande table. Penché dans un rond de lumière jaune, il écrit fiévreusement, et en bulgare, ce qui n’est pas à la portée de tout le monde !

— Asseyez-vous ! me jette-t-il sans relever sa tête grisonnante d’homme d’action fatigué.

Je choisis le canapé, ce qui me permet de l’admirer complètement.

Il garde ses deux pieds bien à plat sur le tapis pendant qu’il écrit, ce qui dénote le calme du bonhomme.

Quelques minutes s’écoulent à prix de faveur, la porte s’ouvre, et une grosse vachasse en peignoir se pointe. Elle a des bigoudis, une trogne de femme de ménage polonaise veuve à varices, une fine moustache bien taillée et un bide en rupture de corset qui la précède de cinquante centimètres partout où elle va.