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Il est laminé au niveau de l’hypogastre…

Grozob s’occupe de sa dame qui vient de s’écroulaga, terrassée par l’horreur, cette chérie.

Un moment interminable s’écoule. Le gorille n’a plus la moindre réaction, vu qu’il est davantage mort que le cousin germain de Vercingétorix (celui qui avait du diabète). Et puis le laminoir continue de le laminer, et alors, extrémité de la nuit, apothéose de l’insoutenable, le corps se met à réapparaître, épais comme une tarte au citron, large et sanguinolent, et déchiqueté. Semblable à quelque odieuse silhouette humaine grossièrement découpée dans de la chair à pâté.

J’essaie de défrimer les assistants. Ils ne se signalent pas par la luisance de leurs pommettes, mais enfin, ils tiennent le choc.

Et voilà, le Gorille a disparu.

N’est plus qu’une flaque grotesque, de la viande à tartiner.

Le barbu s’approche de Grozob, et, écoute bien ; mais alors n’en perds pas une broque ou miette, l’artiste, c’est du sérieux, la finalité de la séance. Tu penses que le gorille laminé constituait seulement les amuse-gueule. Ce qui va suivre sera plus palpitant. Y a progression dans l’atroce.

L’homme à la pelisse parle à voix basse. Il chuchote presque, mais son organe grave et l’acoustique du local permettent de définir ses paroles.

Selon moi, et tu peux me croire, je me crois bien ! Selon moi, dis-je, il est en train de lui poser un marché joli. Style : tu me dis ton secret, et on vous embastille purement et simplement, ta rombiasse et toi, ou tu refuses de parler, et alors c’est mémère qui va avoir droit à la séance de pressing.

Je suis parfaitement cela sur le visage fou de détresse de Siméon. Aux regards éperdus qu’il pose sur sa moitié. Pas qu’elle soit laubée, la chérie, mais il y tient. Trente-cinq ans de conjugat. Des enfants, probable ; des cataplasmes, des chagrins affrontés en commun. Il l’a eue vierge, lui a fait gonfler le ventre. A subi sa méno. Des choses, la vie. Les habitudes sempiternelles. Elle fut sa confidente, le principal témoin de son action. Elle a su ses défaillances. A vécu ses espoirs. Elle a tremblé pour lui, s’est réjouie de sa réussite. A partagé les luttes, puis les honneurs. L’attelage, quoi ! Hue, cocotte !

Et voilà que son ancien compagnon, le barbu, infâme traître, Ganelon, Judas, lui pose ce marché effroyable.

Pour montrer que ça n’est pas du charre, il ordonne qu’on escalade la vieille[5] sur la passerelle. Elle est toujours évanouie. Cette fois, ils se mettent à nombreux pour la grimper, tant est roide l’échelle et inerte la victime.

Mais alors ? Attends, espère… Mais alors, me diras-tu, que devient le fameux Santonio dans ce circus ? Il fait quoi t’est-ce, le beau commissaire ? Simple témoin ? Il assure la retransmission et point à la ligne ? Pas dans son tempérament, ça, au noble fougueux. Ame d’airain, l’Antonio. Indomptable !

La situasse, il tente de s’y adapter. Faut qu’il va la dominer, comme dirait mon cher Bérurier, lequel est en train de pioncer, à l’hôtel Varna.

Et un élément intéressant le fascine, mister commissaire. Un détail pas négligeable dont il faut que je te relate.

Tout à l’heure, quand les deux vilains ont forcé le gorille à grimper, celui qui lui lardait le joufflu a lâché son ya, une fois là-haut, à cause d’un mouvement de cul de sa victime. Le couteau est tombé sur un cylindre d’acier, ensuite sur un autre, et commako jusqu’au sol où il a amorcé un traînard sur la droite. D’où je suis, je l’aperçois comme je te vois, à pas dix mètres de moi. Ce serait mignon de le récupérer, non ? Mais faut y aller molo, sans trop se faire retapisser.

Présentement, la position de chacun est quoi-ce ?

Nous avons : le barbu, six sbires, un ouvrier.

Quatre des sbires sont en train d’hisser mémère jusqu’à la loge présidentielle. Le barbu entreprend Grozob. L’ouvrier, aidé d’un flic, déménage le corps suraplati du gorille dans un grand rectangle de plastique. Le dernier sbire nous surveille.

Faudrait qu’il pense à autre chose, le gueux. Qu’il regarde ailleurs.

Barbu et Grozob discutent. Grozob, sa nature foncière l’empare, le domine. Il n’est pas de la race des gens qu’on réduit. S’il cédait au chantage, il n’aurait pas occupé ses hautes fonctions pendant tant d’années !

Sans doute qu’il dit « Va te faire mettre, camarade, quoi que tu fasses, je ne parlerai jamais », car le barbu crie aux autres de là-haut de filer Bobonne dans les rouleaux.

Ce qu’ils s’empressent de faire.

Moteur !

Ça tourne !

Laminage de Mme Siméon Grozob, première !

Pour la seconde fois, le monstre haletant se met en marche.

Ça réveille la daronne, espère ! On n’a jamais trouvé mieux pour arracher les gens au sirop, non plus que pour traiter les cors aux pieds.

Son cri ! C’est pas l’air de la Strada joué au piano punaise, crois-le !

— Arrêtez ! crie Grozob.

Le barbu répercute l’ordre. La machine-outil stoppe. La vioque a les deux pinceaux carbonisés et repart aux quetsches.

Alors, là, on se pointe carrément dans du Shakespeare de la belle année. Pour Stratford on Avon, en voiture siouplaît !

— Elle ne sait rien ! Personne d’autre que moi ne sait ! Et vous ne saurez jamais rien, bande de maudits ! hurle Siméon Grozob.

Il porte la paume de sa main à sa bouche et gobe quelque chose. Le temps de compter jusqu’à un, virgule zéro cinq, le voici qui tombe raide mort.

Confusion !

Le barbu est médusé. Là, il les a bités savamment, le secrétaire général !

Le sbire de garde se précipite, l’ouvrier rouquin idem.

Si bien que le très considérable Sana, jouant son va-tout avec brio, brioche et le reste, peut se couler jusqu’au couteau et s’en saisir.

Hélas, le barbu qui a l’œil à tout s’aperçoit de la chose.

Il me désigne en bulgarant à pleine vibure.

Et mes réflexes parlent.

Ça doit venir de la technique Alex Andri. J’ai été trop bon élève. Surdoué en tout, l’Antonio ; chez nous autres d’élite, on ne peut s’empêcher. L’instinct, c’est la fulgurance de l’individu. Le mien établit un rapport instantané entre le couteau ramassé, le tortionnaire qui me désigne à ses sbires et mes nouveaux dons de lanceur.

Pas à réfléchir, non plus qu’à décider : vzoum, c’est parti !

Et ça arrive.

A bon port.

A bon porc, puisque dans la brioche du barbu. Jusqu’à la garde. Sifflet coupé, tu penses ! Il ne porte même pas ses mains sur le manche du surin. L’étrangeté de la scène, c’est qu’il continue de rester debout, les pognes enfouies dans les vagues de sa pelisse. Je n’ai plus le temps d’admirer le panorama.

Un pour tous, moi pour moi. Il y a des moments, dans l’existence, où votre propre santé passe avant les vieilles dames et les paralytiques dans le métro.

Je pique un sprint de dessin animé à travers l’usine.

Dieu merci, ne se trouvait éclairée que la zone opérationnelle. Je fonce donc dans la pénombre à travers les gigantesques engins, sans savoir où je vais, mais foutrement pressé d’y parvenir.

Derrière moi, on tire des rafales de mitraillette. Ça glingue-glinge tout azimut. Pas le temps de réfléchir sur la conduite à suivre. Je file en louvoyant, contournant une machine, et une autre… Mes poursuivants ne mitraillent plus, mais galopent sur mes talons.

Je finis de traverser le gigantesque local. Me trouve face à un mur de briques. Et alors, l’Antoine de tes deux chéries, qu’est-ce que tu décides, mon bout d’homme ?

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Pas français, mais t’emmerde.