Выбрать главу

Ma poitrine incandescente ne se refroidira jamais. Et pourtant, Dieu sait qu’il ne fait pas chaud dans ce tracteur. Je suis engourdi au bout de dix minutes. Continuant d’haleter et d’essayer de réorganiser ma respiration. Tout mon corps grelotte de dénuement extrême. Jamais je n’ai ressenti une telle fatigue, du moins, cela fait au moins cinq ou six polars que ça ne m’était point arrivé.

Je reste coincé entre les pédales du tracteur et les montants métalliques du siège. Ça pue le fumier et le caoutchouc pourri. Mes pinceaux privés de chaussures deviennent (Autriche) de marbre ; marbre de sépulcre plutôt que marbre à garnir les salles de bains.

Je reste blotti, n’ayant que ma propre chaleur pour me réchauffer, que ma vitalité pour me récupérer. J’écoute, mais ce que je reçois, en fait de son, est perdu dans l’espace, comme illusoire ; en tout cas ne semble pas me concerner. Merde, tu parles de coriaces, ces mirontons ! Charogne, ils en veulent, quand ils traquent un gusman ! Tu parles d’une chasse à courre. Et l’Antonio jouait le rôle de renard. Heureusement qu’ils n’avaient pas de chiens à disposition !

Le cadran lumineux de ma tocante marque 3 heures 10. Décidément, la soirée a été longue et rude ! Je poireaute encore un quart de plombe, captant toujours la rumeur indécise venue de l’espace. Mes poumons ont retrouvé le chemin salvateur de l’oxygène. Par contre, je ne me sens plus mes panards.

Va me falloir aviser. Je dois avoir trouvé une planque sérieuse avant le jour, qu’autrement sinon, ce sera l’emballage immédiat.

Avec moult précautions, je redescends de la cabine. Tout est infiniment tranquille. Les bâtiments s’allongent en sinuant géométriquement. L’odeur insistante du lait tourné et le nombre des camions-citernes me donnent à penser qu’il s’agit d’une fruitière. En boitillant, je pars en repérage. Tout spontanément, j’ourdis un plan qui vaut ce qu’il vaut, mais si tu as mieux à me proposer, adresse-moi tes suggestions en double exemplaire, écrites très lisiblement, en joignant pour le retour une enveloppe timbrée à ton adresse.

A musarder, dans le froid, sous les tourbillons de neige, je finis par dégauchir ce que je cherche, à savoir les bureaux de l’entreprise. Bien que ce soit rédigé en bulgare, je décide que cette annexe moins sinistre et copieusement vitrée constitue le P.C.

Une porte vitrée munie d’un volet. Je la crochète. Débarque dans une petite salle de réception, carrelée comme un labo, et limitée par un long guichet de bois verni. Enjambe ce comptoir. Des bureaux de fer, gris, très fonctionnels sont alignés. Ils supportent des machines à écrire et des piles de carnets à souches. J’ouvre l’un d’eux. Ce que j’espérais y lire s’y trouve. Manque plus que deux éléments assez complémentaires : un appareil téléphonique et un annuaire.

Je dois fracturer une deuxième porte et pénétrer dans un burlingue destiné au camarade-chef-d’entreprise pour les dénicher.

Je m’installe dans un fauteuil pivotant. Ouf ! c’est bon de déposer son baigneur dans quelque chose conçu pour le recevoir. J’allonge mes cannes et me renverse un instant, les bras noués derrière la nuque.

Allez, au turf, mon gros canard. Songe que des femmes en peine d’amour se languissent de toi dans l’hexagone, à commencer par ta Félicie. Je feuillette l’annuaire. Sofia. Hôtels. International, ce mot. Je découvre aisément l’hôtel Varna. Plus qu’à composer le numéro.

Ça grésille un bon bout. Le concierge de nuit doit en concasser, à moins qu’il n’y en ait pas dans cet établissement. J’insiste, insiste. Rares doivent être les appels tubophoniques à une heure aussi induse.

Enfin, une voix se met à faire pareil que quand tu bats des œufs pour confectionner une omelette.

— Do you speak english ? je l’interromps.

— Nein !

— Deutsch ?

— Ja.

Tant pis. Concentrant ma bochophonie, je lui réclame d’urgence la chambre de Herr Bérurier. Le gars tergit le verse un instant, voulant savoir le pourquoi-ce du comment-t’est-ce : mais je me fous à gueuler Polizei tellement fort qu’il s’hâte de me donner satisfaction avant que j’aie réveillé tout l’hôtel.

Là encore, ça carillonne un fameux bout avant que l’organe pour chiottes bouchées du Gros ne défèque un peu amène :

— C’qui m’fait chier la bite à c’t’heure-là, merde, bordel ? On est p’t’ét’ chez les communiss, mais y roupillent z’aussi, les communiss, non ?

— Ta gueule, manche à burnes ! m’emporté-je.

Et, in petto je pense que Dieu est loué qu’on n’ait pas encore arrêté Mister Queue d’Ane.

En quelques phrases, je lui brosse un papier de la situasse. Il y a de quoi écrire sur la table, lui dis-je, et tu trouveras du faf à en-tête de l’hôtel pour noter. Munis-toi, je vais te dicter l’adresse où je suis.

J’épelle avec l’application requise par l’analphabétise d’un individu de cet acabit. Après quoi, je lui enjoins (juillet, août, septembre) la chose suivante :

— Saboule-toi, Mec, prends tous les fafs, ta fraîche, et la photo de ta Morue si tu l’as amenée avec toi. Cherche quelque chose qui puisse te servir d’arme, je sais que tu es ingénieux, tu trouveras. Ensuite, descends à la réception, réveille le pipelet de noye s’il s’est rendormi, et demande-lui de t’appeler un taxi. Je suppose qu’à pareille heure, ça doit être coton et qu’il faut un motif solide, en ce cas, dis que tu dois te rendre à l’hôpital où l’on vient de conduire ton frère dans un état grave. Quand tu disposeras d’une bagnole, ordonne au conducteur de te piloter à l’adresse que je viens de te dicter. Gaffe-toi bien, ça se trouve à une vingtaine de bornes de Sofia, sur l’Ouest. Il s’agit d’un complexe laitier, très bas, avec des toits de tôle verte. Si le mec refuse, menace-le : il faut, et je le souligne en te parlant, il faut, et je le resouligne en le répétant, que tu viennes m’arracher avant le jour. Fais au mieux, mes vœux t’escortent. De toute manière, il est grand temps que tu évacues tes bas morcifs : je m’étonne qu’on ne soit pas encore allé t’emballer.

Là-dessus, je raccroche.

Ouf !

Pas tant que ça, mon pote !

Je reprends mon « ouf », et le coule pour une meilleure occasion dans le tiroir du dessous de mon slip.

Parce que, dans le mouvement que je fais pour m’éloigner du téléphone, je découvre un canon de fusil.

De l’autre côté du canon, se trouve une dame plutôt pas mal, quoique son expression manque d’aménité.

Elle est en chemise de nuit. Mais elle a enfilé un manteau par-dessus et chaussé des bottillons.

Je m’avise très tout de suite que son index droit repose sur la détente de l’arme.

Elle me fixe farouchement. Je me demande si elle n’aurait pas envie de défourailler sans explications, histoire de se défouler un brin.

J’essaie de lui placer mon charme nocturne, goût bulgare, pour dame de trente-cinq armée jusqu’au sein droit.

— Navré de vous importuner, chère madame, soyez pleinement rassurée quant à la pureté de mes intentions.

Elle m’interrompt d’une interjection que je ne saurais te traduire sans un dico franco-bulgare, mais qui devrait signifier : ta gueule !

Je la boucle.

Elle ponctue d’un mouvement ascendant de son arme.

Je me lève.

Et à présent.

Elle me parle.

J’y réponds dans mon français gazouilleur, à mélodiance bivalente, que je ne pige pas, alors que j’ai parfaitement compris qu’elle me demande de sortir en levant les bras.