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Gentilhomme, Antonio. Fair play (et bosse). Je me remets dans le sens des aiguilles d’une montre et dépose un baiser sur chacune de ses paupières.

Est-elle sensible à cette marque de sympathie ? Toujours est-il qu’elle soulève ses stores. Je ne puis voir ce que contiennent ses yeux, étant donné la pénombre.

— Alors, la môme, je murmure, tu admettras, je l’espère, que c’est beau, la France, non ?

CHAPITRE IRRÉVOCABLEMENT DIXIÈME, PLEIN DE SUSPENSE ET D’AGRÉMENT.

Les heures qui succèdent sont indécises. Tu vas comprendre pourquoi, avec le bout d’éponge racorni qui te tient lieu de cerveau. Une femme à qui tu viens de pratiquer la vocalise parisienne a droit à des égards ; d’autre part, malgré ma séance de langue au chat, je ne suis pas certain des bons sentiments de l’heureuse bénéficiaire. La prudence exigerait que je la ligotasse ; mais la galanterie me l’interdit. Or, Santantonio a toujours prouvé que les mots flic et gentleman n’étaient pas fatalement irréconciliables. Voilà pourquoi il opte pour un moyen bâtard, à savoir que je laisse à la chérie la liberté de ses mouvements, sans toutefois la perdre de vue.

Nous sommes assis face à face dans le bureau. Elle connaît quelques mots d’allemand, moi aussi, et l’emmerde c’est que ce ne sont pas toujours les mêmes. J’essaie de la rassurer par de la pauvre salade teutone. Invente une piètre histoire de panne, et comme quoi ayant vu la fruitière, je me suis permis d’y venir téléphoner. J’attends un ami. Je suis ravi de cette occasion de lui faire la connaissance. Je la trouve belle et délectable, ce qui est presque vrai. Elle est jolie, sensuelle je m’en suis rendu compte, malheureusement, on constate chez elle une certaine dureté d’expression.

La chère petite n’est guère causante, tout ce qu’elle consent à m’apprendre, c’est que je me trouve dans une fabrique de yogourt dont son mari et elles sont les gardiens ; mais son bonhomme est à l’hôpital pour y soigner un mal dont je n’arrive pas à saisir l’identité, ce qui n’est d’aucune importance, étant donné que son mec, je m’en tambourine les jumelles. Je viens de faire ce que j’ai pu pour lui porter chance ; là-dessus, mes vœux l’accompagnent.

Une grande torpeur s’insinue, contre laquelle j’ai grand mal à lutter. La môme se lève soudain de son siège et annonce qu’elle va préparer du café. Je lui réponds que l’idée est déjà fumante (avant le caoua) et je l’escorte jusqu’à son logement. Ce dernier n’est pas chouillard : deux pièces. Une cuisine à vivre et une chambre à coucher. Mon hôtesse s’active autour d’une cafetière émaillée qui me rappelle des souvenirs de grand-mère à la cambrousse. Elle a une silhouette intéressante, et une gueule que j’aimerais confier à la maison Carita pour qu’elle lui donne l’éclat qu’elle mérite.

Bientôt, une odeur ragaillardissante se répand dans l’humble logis. La poupée sort deux bols, du sucre jaunâtre, des cuillers d’étain.

Je louche sur ma tocante. Bientôt cinq plombes ! Il en met un temps, le Gravos ! Je crains que ça n’ait foiré à son niveau. Nous ne sommes pas dans un pays où il est aisé d’obtenir un sapin à pareille heure. Sa requête aura mis la puce à l’oreille du concierge de nuit, lequel en aura informé les autorités… Tout est à redouter.

Je récapitule les événements de cette nuit tragique. La fin de Siméon Grozob, celle beaucoup plus atroce de son garde du corps. Et le gros barbu que j’ai lardé à distance ? Est-il clamsé ?

Le café n’est pas de first quality, pourtant il me dope un peu. Je vais branler qui ou quoi, moi, si Sa Majesté ne vient pas ? Où me planquer ? Ici ?

Tu parles ! Dans quelques plombes, les ouvriers de la yogourterie vont radiner et je serai marron. Car, je le sens intensément, je ne puis faire confiance à cette femme et lui demander asile. Pas le genre de la maison. Y a que dans mes autres bouquins qu’on peut lire des conneries du genre : la ravissante nana qui planque le beau fugitif, au péril de sa vie simplement parce qu’il l’a bitée de première.

Je souffle sur le breuvage, comme on le fait toujours au cinoche dans ces cas spéciaux. Un homme, une femme, la nuit, tête-à-tête silencieux. Ils se regardent à la dérobée. Monosyllabes. Soupirs. On souffle sur le café. En plus y a le tic-tac d’une horloge, mais ici, c’est une pendule électrique avec une lumière aiguille rouge qui s’en va toute seule autour du cadran, semblant dire merde à l’éternité entière.

— Quel est votre nom ? je lui questionne doucement.

L’idée me vient que si le Mastar n’apparaît point, je vais entreprendre une nouvelle fois ma donzelle, lui chiquer le grand jeu, avec toutes les brêmes. La grimper royale, parcours intégral : bas en haut, emplâtrage-maison, pile-face, avec arrêts-buffets, titillages mammaires, complément dans l’œil de bronze. La réussir au-delà de tout. La mettre en folie complète. Des fois qu’elle aurait ensuite la reconnaissance du cul et consentirait à m’aider. Non ?

— Ivana, elle répond.

Merde, ce que c’est choucard. Ma première Ivana. Pour fêter ça, j’avance ma main vers ses loloches, lesquels sont de taille moyenne, mais de forme et de consistance parfaites.

Ivana a un mouvement sauvage de recul. Holà ! pas touche. Tout à l’heure, elle a été dégustée par surprise, mais maintenant elle reste sur ses gardes et refusera mes avances. Peut-être qu’après tout, son potentiel de jouissance est limité à un pied par vingt-quatre heures ? Vat’en savoir…

Je n’ai pas le temps de surmonter cette rebuffade désobligeante qu’un bruit de moteur se fait entendre.

Je bondis sur le pas de la porte. Une bagnole sombre est là, Bérurier descend du siège passager. Il m’avise dans le rectangle de lumière et m’écrie :

— M’v’là t’enfin, Mec. C’est pas d’la sucrette d’obtiendre un bahut, espère. T’es peinard, ici ?

— Pas mal, mais…

— Jockey, j’arrive !

Mais au lieu de se conformer à cette promesse, il se met à discutailler avec son chauffeur.

— Va-t’en pas tout d’sute, mon lapin. Kome in with moi, qu’on cause ! T’es pas pressé, c’est pas l’heure d’influence !

Alors un être bizarre se dégage du volant. Un tonneau revêtu de cuir. Petit, tout rond. Le chauffeur doit posséder un tour de taille supérieur à sa hauteur.

Son manteau râpé est serré à la taille par une ceinture très large qui confirme la ressemblance de l’individu avec une barrique. Il a la tête posée directement sur le buste, sans le moindre soupçon de cou pour servir d’intermédiaire, et il est coiffé d’une gigantesque casquette à visière marxiste-de-l’Est. Mon pote lui met la main sur l’épaule et s’avance vers le logis de gardien.

C’est seulement lorsqu’ils débouchent dans la lumière que je réalise la vérité : le chauffeur d’Alexandre-Benoît, contre toute apparence, appartient au sexe féminin. Il n’ajoute rien à sa gloire, convenons-z’en. Pourtant, c’est bel et bien une femelle qui pénètre dans la cuisine d’Ivana. Tronche comme une boule, pommettes violacées, bouche aux lèvres lippues, nez camard, yeux minuscules, frangés de cils décolorés. The monstre !