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— Pour vous, il y a des habits de mon mari, dans la chambre.

Coup d’œil à Béru :

— Mais pour lui, je n’ai rien.

— Qu’est-ce é dit ? mangeaille le Gros, qui a du mal avec son bouffement, étant privé de sa panoplie de bouffeur.

— Qu’elle n’a pas de fringues pour ta pomme ; elle ne fait pas le rayon garçonnet.

— Inquiète-toi pas, j’m’arrangerai toujours, répond Jumbo en continuant de clapper au mieux de ses ultimes possibilités ; les nippes, c’est pas c’qui m’empêche d’dormir au cinéma.

Je vais choper Ivana par une aile et je l’entraîne dans sa chambre. Elle croit que c’est pour une partie de baise-bail, mais pour l’heure mes tourments ne sont pas d’ordre charnel. Dommage, car dans le nouvel état d’esprit où elle est maintenant, je suis certain qu’elle serait du voyage.

— Donnez-moi des vêtements ! j’enjoins (de culasse).

Elle ouvre une armoire dans laquelle pendouillent deux costars d’homme et quelques robes. L’un des complets est en drap noir, l’autre en velours grisâtre.

Elle me désigne le noir :

— Son costume de mariage.

— Je prendrai l’autre.

J’inventorie les tiroirs, un pull à col roulé fait mon affaire, de même qu’un vieux slip rapetassé et des chaussettes en grosse laine qui puent encore le suint. Des bottes trop grandes pour moi compléteront mon harnachement, et, pour l’hémisphère nord, une bath gapette comme ils en portent ici. Je me décarpille prestement, me sèche et me refringue.

Au bout de peu, je ressemble à un brave bulgare (de goût). Je récupère le contenu de mes poches, bien que tout cela ne soit pas en très bon état. Je sors un billet de cent dollars du portefeuille saturé de yogourt et le pose sur sa table de nuit.

— Tenez, pour vous dédommager.

Ivana a une légère flambée d’intérêt dans le regard, qui très vite s’éteint.

— Inutile.

— Gardez toujours, ça ne mange pas de pain.

Bérurier passe sa noble tête de toucheur de bœuf par l’encadrement.

— Ça y est, le salon d’essayage, moui ?

— Je ne vois guère ce que tu peux mettre, Gros.

— C’est mes oignes, grommelle-il. Dedieu, c’qu’ j’sus malheureux sans mon jeu d’dominos, j’m’demande comment t’est-ce je pourrai avoir des conversations utiles avec des bifteaks en attendant mes nouveaux crochets. J’vais quand même pas r’venir à la Blédine, non ?

Nous l’abandonnons à ses tourments pour revenir à la cuistance. Toujours Bayard en diable, mitigé Bel-Ami, je redresse le fourneau de la môme et lui rectifie ses tuyaux. Qu’ensuite, je passe mes mains maculées de suie sur ma vitrine, très légèrement, afin d’me patiner un peu les traits et de les rendre ainsi moins identifiables.

La radio s’est remise à jacter. Je reconnais le nom de Siméon Grozob, à chaque détour de phrase.

Et c’est à cet instant qu’il m’arrive en trombe dans la cafetière une foule d’idées toutes plus géniales l’une que l’autre.

— C’est quoi, son pays natal, au Secrétaire Général ?

— Un petit village près de Ruse, qui s’appelle Kachtékopec.

Silence. La radio rejoue du très sinistre. Ça doit chialer dans les chaumières. Depuis la chambre, Béru mène un foin du diable, bousculant tout, ronchonnant, pétant, rotant, pestant avec un brio d’homme orchestre.

Il tarde à réapparaître. J’escompte du peu vu, de l’inédit. Et, de fait, je ne suis pas déçu. A preuve, malgré sa position délicate, Ivana éclate de rire en l’apercevant. Faut te dire que le Gravos s’est considérablement modifié. Le voici travesti en grand-mère. Grand-mère d’Europe centrale, naturellement : long jupon bouffant (avec lui, qu’est-ce qui ne boufferait pas !), dans les teintes bleues enrichies de broderies rouges, corsage blanc, corselet de velours, fichu noué sur la tête.

— C’était à la mère de mon mari, révèle Ivana.

M’est avis qu’elle devait ressembler à un grenadier de Flandres, la belle-doche.

— Y a que les croquenots dont j’ai pas trouvé, soupire la Bérurière, faudra que j’vais mettre des bottes.

Je regarde l’extérieur. La pluie diminue.

— Attends-moi là avec la charmante, je reviens, il ne faudrait pas mouiller vos beaux atours, princesse !

Et je cavale en direction du parking à camions.

* * *

J’ai choisi le plus neuf, un gros citernier bleu, orné d’une large bande blanche. Il ronfle juste, et je le trouve maniable.

Parvenu devant le logis de la gardienne, je hèle Mamie Béru. Elle apparaît, tenant par le bras notre hôtesse.

— Eh quoi, m’écrié-je, tu veux l’emmener avec nous ?

Elle méduse, Grand’maman Alexandrine-Benoîte.

— Pardon, m’sieur l’Archiduc, v’vouliez laisser c’te p’tite guenillerie à son t’home pour qu’é s’empresse d’jeter l’alarme et d’nous faire courser par les motards du roi d’Bulgarie ? Sans compter qu’au cas d’besoin, é peut nous servir d’interprète, non ?

Arguments valables.

Auxquels je me rends sans conditions :

— O.K., montez !

Ces dames me rejoignent. Ivana se love entre nous deux. La pluie, comme par enchaînement, se remet à pisser pire que naguère, et encore plus que tout à l’heure.

Moi, ça me va, ce temps de merde. Plus il en vasera, plus nous serons peinards. Sous toutes les latitudes, voire aussi les longitudes, les gens répressifs répriment moins lorsque des cataractes leur choient sur les endosses.

En route. Direction plein est.

— On va où est-ce ? demande Son Eminence (noire) au bout d’une chiée (environ) de kilomètres.

— Visiter le pays natal de feu Siméon Grozob.

— Pourquoi-ce ?

— Parce que c’est là-bas qu’on va l’enterrer.

— Et alorsss ?

— Les pays du monde entier se feront représenter. Il y aura donc une importante délégation française.

— Et après ?

— Si nous ne nous sommes pas fait piquer d’ici là, on s’arrangera pour contacter les membres de notre gouvernement qui assisteront aux cérémonies funèbres, et nous leur demanderons d’arranger nos bidons. Tu parles que les frontières nous sont blouclarès ; seules des interventions au plus haut niveau peuvent nous sauver.

— Tu croyes qu’on va tiendre jusqu’à vendredi, mec ? Tu penses qu’y vont s’aperc’voir qu’on a engourdi l’camion et embarqué la friponne ! D’ici quéqu’heures, y vont nous faire jouer La Strada à prix de famille nombreuse, espère !

— Aussi ne conserverons-nous pas ce véhicule plus d’une plombe.

— Tu l’échangeras cont’ deux paquets d’Ariel ?

— Je l’échangerai contre ce que la Providence nous proposera.

Grand’Maman Béru se tasse sur sa banquette.

— T’as raison, Gars, mets les mirac’ dans l’coup, ça peut aider.

Là-dessus, il s’endort et bientôt ses ronflements prennent le pas sur le bruit du moteur.

* * *

Bon.

Moi, t’sais, j’ai pas l’habitude de te faire tarter avec des petits riens bricoleurs.

Aussi, vais-je te passer à vendredi, après un bref résumé de nos pérégrinations.

Juste manière de te tenir au courant, que t’aies pas l’air encore plus con que d’ordinaire.

On conserve le gros cul jusqu’à Svoge. Après l’avoir abandonné dans une carrière désaffectée, proche d’une cimenterie pestilentielle, on s’empare d’une embarcation à moteur deux temps (trois mouvements) amarrée à un ponton sur la rivière Iskär. Parvenus quelques kilomètres après Mezdra, nous devons accoster, faute de carburant. La pluie est de plus en plus intense et l’Iskär commence à sortir de son plumard. Nous parcourons deux kilomètres sous la flotte, entrons dans une masure écroulée, à l’orée d’un champ, où nous laissons sécher nos vêtements. Tandis qu’ils, je baise Ivana, laquelle se montre extrêmement coopérative, cependant que la grosse Béru va à la cueillette des escargots, vêtue de son seul système pileux. Elle en ramène trois cent quatre-vingt-onze, qu’elle prétend accommoder, dont nous recrachons la première bouchée avec horreur, mais qu’elle déguste entièrement, bien qu’elle ne les eût point fait dégorger, faute de temps et de sel, ni fait cuire, faute de feu.