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En fin de journée, alors que la nuit vient, nous partons. Il pleut toujours. Heureusement, deux militaires passent à moto-tanside près de nous. Je demande à Ivana de les héler et lui explique qu’en cas d’arnaque, malgré que je vienne de lui perpétrer fabuleusement : Robots des Bains, Monsieur l’a en l’air, Le Crépuscule des lieux, La Petite Farfadette, Le Nœud de Mauriac, Vipère au point, La Cocarde-Sans-Culotte, Le Denier des Mohicans, Le Con sert tôt de Chipolata, Le Procès suce, Encore un et on s’en va, La mariée noire, La Princesse de Cleveland, Et Cui-là-tu-le-mets-où ? Regarde-ce-que-je-t’apporte, Parle-pas-pendant-que-tu-braises, Le vélo de Minus, La Vénus de Milo, L’Eponge d’une Nuit d’Eté, je n’hésiterais pas à lui planter un couteau entre deux côtes.

Mais ses dispositions ont changé à mon endroit (de même, croyé-je, à mon envers) depuis mon retour chez elle. Elle a eu le temps d’assimiler l’événement et de subir mon charme, le temps de se dire surtout qu’elle a fait montre de civisme en me dénonçant et que donc, si ces cons n’ont pas su m’arrêter, elle ne va pas être plus loyaliste que l’Eloi, merde, hein ? On ne vit qu’une fois ! Et son mironton grossier qui glandouille à l’hosto au lieu de la caramboler à mon instar, bordel ! Elle a une chatte, des glandes, d’autres raisons de boire Contrex et de se faire glisser une bricole dans l’entre-deux, non, quoi, chiasse !

Et, sur mon injonction de coordination, la môme Ivana se précipite sur la route en glapissant (goût bulgare).

Les deux bidasses s’arrêtent sous la lance en pleine charge. On s’approche. Béru s’occupe du mec logé dans le side en lui parpinant le portrait, la chère dame, d’un uppercut, vingt dieux de bois, qu’on n’a jamais vu passer le même, fût-ce au Madison Square Garden. Tandis que mézigue, j’aligne le pilote d’un coup de boule, vraoum !

Vivite vite, on les ligote, les transporte dans la masure. Et fouette cocher ! Tu vois, tu suis, t’es d’ac. ? Après leur avoir chauffé leurs grands cirés verdeux, naturliche. Et alors, que je te poursuive l’itinéraire : une fois à Borovan, j’oblique sur Kneza. Il fait complètement noye, la flotte en remet ; nous sommes transis, à essorer d’urgence. Bons tous trois pour la fluxion, génuflexion de poitrine, bronchite en tout cas, voire, pour les plus doués, pneumonie !

Faut se sustenter.

Soif, on n’a pas : suffit d’ouvrir la gueule et t’en prends autant d’hectolitres que tu veux. Mais clapper, alors, certes, voilà qui urgite.

Je ralentis pour mater l’horizon noyé, les cultures sortant de l’hibernance, vigourés par la baille surabondante.

A force d’à force, je finis par déceler une lumière, au milieu de cet aquarium. Celle d’une fermette, plutôt d’une espèce d’humble isba où nous allons frapper : à la porte d’abord, au menton du paysan qui l’habite ensuite et qu’on ligote très cordialement avec du fil de fer, à peine rouillé et barbelé, avant que sa dame nous confectionne une bonne soupe au chmeurtz, suivie d’un plat au yogourt, beûrgh, le tout arrosé d’un alcool au noyau de foutrassier, très revigorant. Tellement que Béru enfile la fermière avant de l’attacher pour la nuit.

Dorme impec. Chant du coq. Café du matin n’arrête pas le pèlerin. Et hélas, il flotte encore. Heureusement, notre brave cultivateur possède une carriole bâchée et un bourrin en ordre de marche. Bérurier, qui est jailli de la terre, comme un arbre, sait utiliser l’une et l’autre.

Nous poursuivons ainsi notre petit bonhomme de chemin par des routes à ornières, en direction de Pleven (où nos emmerdes ne prennent pas encore fin ; d’ailleurs, « qui voit Pleven, voit ses peines »). Ça va lent, un cheval, à notre époque pétrolière. Quand tu penses que le Napo a traversé toute l’Europe avec un bourrin !

On vadrouille ainsi toute la seconde journée. Ivana, escortée de sa grand-mère Bérurière, achète des provises dans un village. Je gaze, je gaze, surtout pas te faire chier avec du compte rendu de scout. Partout, sur notre passage, le pays est en grand deuil : drapeaux en berne, immenses photos de Siméon Grozob dans les vitrines, bordées de crêpe et fleuries.

Les gens ont les yeux rouges, ils font leur faucille-et-marteau en passant devant ces icônes du héros national défunt. On célèbre en grandes pompes l’Internationale dans les Maisons du Peuple. Les secrétaires de cellule lisent l’Evangile selon Karl Marx, ou bien la Bible de Lénine. Personne ne nous prête attention. Au terme de ce second jour d’itinérance, nous descendons tout bêtement dans un relais de village tenu par une robuste vieillarde en costume national roumélien, laquelle est assistée d’un grand dadais beau comme une démangeaison grattée. Je peux mesurer la conversion pleine et entière d’Ivana à son comportement, car il est évident qu’elle trouverait le moyen de nous balancer aux archers si elle le voulait vraiment. Au lieu de cela elle se fait de plus en plus amoureuse, trouvant, je crois qu’il me semble, l’équipée à son goût (bulgare). Bien entendu, dans notre chambrette monacale, je lui fais l’amour en grand. Et cette fois-ci, elle se donne pleine et entièrement, en apportant sa quote-part de gesticulances, culances, cris, chuchotis, sécrétions, vigueur, explosion, ardeur, pied, pâmoisage, réclamades, recommençage, indiciblage, hurlage, remoulage, labourage et pâturage. Une extrêmement belle embroquée, réussie à quel point ! Le coït de grande volée, à marquer d’une paire blanche ! Bérurier, dont la tenancière a refoulé véhémentement les ardeurs, lui expliquant qu’elle n’est pas lesbienne et qu’on ne se bouffe pas le cul en Bulgarie les jours de deuil national, de peste bubonique et d’invasion soviétique, Bérurier, dis-je, se console en vidant seize bouteilles de Tokay hongrois, lesquelles, précisons-le, sont d’un volume réduit.

C’est le surlendemain que nous rallions Ruse, après avoir échangé notre attelage au fils demeuré de la gargotière contre deux bicyclettes rouillées. Ivana monte en amazone sur le cadre de mon vélo, ce qui me permet de lui gouzigouzer des baisers folâtres dans le cou tandis que je pédale. Quoi de plus stimulant ? Je ne saurais trop conseiller cette pratique aux coureurs du Tour de France lorsqu’ils tirent une langue longue comme une traîne de mariée dans le Galibier ou autres montagnettes du genre.

Ruse est pis qu’une ville en état de siège lorsque nous l’atteignons vers le milieu de l’afternoon : de la police, des troupes à n’en plus finir. On dresse des arcs de lamentation. Des musiques militaires répètent. Des chœurs choralent. Mais surtout, une fabuleuse concentration de population s’opère, humbles gens venus des quatre ou cinq coins du pays pour rendre un dernier hommage à son grand homme ; ils ont descendu des montagnes, remonté des vallées, traversé des plaines, franchi des rivières en crue (il faut laisser les crues se tasser, nous répète le Gros dont tu sais le sens du calembour), se sont pointés en auto, à vélomoteur, vélo, pied, cheval, la nage, etc.

Ça grouille, moutonne, gronde. Le tout sous la pluie qui continue de diluvienner à tout berzingue, comme vache qui urine. Là là, quelle ambiance ! Des voitures officielles cernées de motards passent en trombe, en trompe. La ville ordinairement industrielle, avec ses chantiers navaux et ses raffineries de pétrole, a un drôle d’air. Des drapeaux mouillés, bernés, pendent à des mâts de misère nationale On a dressé des tentes dans la périphérie, à l’usage de ces faux réfugiés dont nous sommes. Des cuisines roulantes servent de la soupe de beurgh et des marchands ambulants vendent des rouleaux de chibröc fourrés au stupr ou au fond de kalbârs. Cela ressemble à une immense kermesse triste ; à la Fête de l’Huma sans la participation de Michel Sardou et sans le discours « tentatendu » de Jacques Chirac, tu vois ? Les gens s’empilent, se tassent, s’anastassent. Ils causent peu, beaucoup commencent à pleurer avant les cérémonies. On voit des familles entières : les grands-parents, le papa, la maman, le tonton infirme, les huit z’enfants qui s’exercent à l’oignon. C’est drôlement pathétique, n’empêche.