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Ce système a fait de sa vie une vallée de délices, Félix. Il est obligé de se foutre aux abonnés absents, tant tellement que son bignou carillonne. Il est « complet » six mois à l’avance. Déjà il réclame cent francs par coup de verge, pour participation aux frais, prétend-il. Il s’apprêterait à quitter bientôt l’enseignement. Retraite anticipée. Les mômes le font trop chier avec leur manie de ne plus vouloir rien branler en dehors de leur bite.

Le monde dégénère. Il a besoin d’un nouveau messie pour remettre la pendule à l’heure. En l’attendant, M. Félix enfile un maximum de dames, les défonce même à l’occasion, malgré les précautions dont elles s’oignent quand il dégaine son cataclysme à veine bleue, Félix. Ça ne fait pas progresser la civilisation, en tout cas, dit-il, « ça la fixe ».

Et moi, bon con, là-haut, juché dans une folle entreprise, oiseuse (c’est un oiseux qui vient de France), j’évoque notre bon prof, histoire de me défouler le mental. Et puis je considère la foule qui s’accroît. Tous ces braves gens de par ici, vivant leur temps en s’accommodant de tout ce qui les contraint… Et qui veulent assister aux funérailles d’un homme qui s’imposa à eux, qu’ils eurent à subir avec dévotion. O, merveille de la nature humaine qui, comme elle connaît ses chaînes les adore. « Tous ces jours passeront, ils passeront en foule… » clamait Victor. Qui est passé, lui aussi. Sans partir tout à fait pourtant.

Coincé contre un pied de l’arc, Bérurier l’Incomparable, le Rassurant, le Toujours-Là se fait mignonnement astiquer le bigorneau géant par « notre » conquête, meilleure façon d’user des minutes inutiles.

Des crampes me bichent, que moi je ne peux ni tirer ni me faire tirer. Changer de position est un exploit.

Merde, ils se grouillent de l’inhumer, le pauvre Siméon ?

Le jour s’est pleinement levé. Des amorces de soleil ricochent entre les nuages. L’avenue est noire et bleue de monde.

Enfin, dans les lointains, on entend de la musique militaire. Marche funèbre. Bientôt, un triangle de motards débouche. Ils sont vingt-cinq, disposés en flèche, roulant à une allure qui assure tout juste leur équilibre.

Derrière eux, une fanfare encrépée, avançant d’un pas coulé. Et puis des dignitaires civils et militaires portant des coussinets à décorations. Enfin le cercueil, sous le drapeau bulgare, transporté par un engin à chenilles (processionnaires). Derrière, les membres du gouvernement, du politburlingue, du Parti de ceci cela, tout bien.

Et puis, il y a une monstre chiée de porteurs d’oriflammes, très joli effet, indeed ! Les couleurs réjouissent les rétines les plus maussades.

Après les porte-drapeaux, commencent les voitures des délégations étrangères, car on ne leur inflige pas de se cogner un marathon derrière la bière à Siméon. Elles occupent de grosses tires noires, merveilleusement décapotées. Depuis mon poste élevé, je reconnais la plupart des délégués. Les Russes, bien entendu, et les Polacs, les Roumains, frères socialos, tout bien. Et des Chinois, des Africains, une secrétaire du cousin du sous-secrétaire des Affaires Etranges américaines. Enfin, la France ! La chère belle France ! Que mon cœur en chamade, là-haut, dans le feuillage (du buis, brrr) de l’arc de consternation. Le Premier Ministre en personne, avec son physique recueilli pour ne pas le laisser perdre. Escorté de notre Ministre de je ne sais plus quoi, un qui ne sert pas à grand-chose, mais il est moins payé que les autres. Attention, Tonio, prépare-toi bien. Assure ta pose. Et surtout, surtout, vise juste. Voilà, je suis paré. L’auto de la délégation française est conduite par un chauffeur en bleu de chauffe, justement.

Je vise, je vise. Encore quatre mètres ! Encore deux… Achtung ! Gaffe ! Vas-y mon kiki ! Je lâche ma babille et ma brêmouse. Le truc tombe rectiligne sur les genoux du ministre à mi-temps. Et alors, tu sais quoi ? Non, tu veux que je te dise ? C’est à peine si j’ose…

Ce con sursaute, avise la boule de feuillage, la saisit et la fout hors de la bagnole, sur la chaussée ; l’informe sagouin, l’hyper-connard, le demeuré invertébré, cette purgation en débandade ! Foireux, sanieux, déliquescenturion ! Enfoiré !

Le cortège continue de cheniller. Marche funèbre, tu parles ! Dans mon cœur flétri, oui ! J’aperçois ma carte de flic, sur la chaussée, barrée de tricolore, bien pimpante, s’étant dégagée du feuillage. On ne voit qu’elle. Bérurier qui s’est rendu compte de la chose enjambe la chicane, jupon troussé, pour l’aller cueillir, mais les soldats qui font la haie le refoulent. Et puis la calamité se précise ; un jeune officier profite d’un petit coma dans le défilé pour venir ramasser ma carte et mon billet. Foutance ! Il s’approche d’un officier qui lui est supérieur en grade et en âge. Lui remet la chose. Il désigne la courbe de l’arc où je suis planqué, explique des choses. L’officier dit un truc à un soldat qui l’escorte et qui est muni d’un talkie-walkie. Dare-dare, des zigs se pointent au pas cadencé et se placent en deux groupes à chacun des pieds de l’arc. Plus possible à l’Antonio de se casser ! Visiblement, ces chers camarades troufions attendent la fin du défilé pour agir.

Ça va être ma vraie fiesta. Me voici pris au piège. Et dire que je suis tout ankylosé, les paumes ruisselantes de sueur. Que faire ? Rien !

Chose surprenante, mais qui s’est déjà produite, je ne panique pas. Les périls sont grands, mais mon flegme l’est davantage encore. Je conserve le contrôle de mes nerfs si celui de la situation m’échappe.

En bas, les délégations continuent de délégater. Y a la Finlande, et l’Albanie, le Honduras, le Rasdurond septentrional ; Monaco, Andorre, La Barbade, les Iles sous le Ventre, Saint-Domingue, Chypre et la Corée du Nord…

Après, vient l’artillerie. Des auto-chenilles tirant des canons, et derrière, tout de suite, des chars rutilants, avec le couvercle de leur coupole relevé, semblables à de gros encriers débouchés. Ils me passent dessous, si près que le gars sortant du trou est à moins de deux mètres de moi.

Tout s’opère presque à mon insu. Pas moyen d’éluder l’instinct, quand tu es Santantonio. Comme un nouveau char radine, je me laisse tomber sur son capot. J’agis si rapidos que tout le monde est béant de stupeur, y compris le tankiste déguisé en buste. Je lui colle un coup de tronche inouï dans les mandibules, et il s’enfonce dans l’habitacle. Prompt comme l’éclair au chocolat qui est dans la vitrine de ton pâtissier habituel, je me coule alors dans le char et rabats le couvercle.

Tu sais que c’est pas la joie, question confort, à l’intérieur. Tu voudrais installer un ping-pong, faudrait sacrifier des meubles, parole !

Le mec qui pilote ce gros jouet est suffoqué. Il n’ose stopper l’engin, de crainte de rompre l’harmonie du cortège. Son pote est en plein sirop de dents pulvérisées.

Je me tasse au mieux dans la capsule.