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— Stop ! réitéré-je ; que cette fois il optem, tu sais quoi ? Père !

On est arrêtés à quelques mètres du couple. Je file un coup de saveur à l’arrière. Comme dans tous les véhicules de ce genre, les vitres arrière sont dépolies, les deux sbires ne peuvent donc se rendre compte de la situasse. Ils croient cet arrêt motivé par l’interruption de circulation.

Je baisse ma vitre :

— Hé ! Gros !

Faut pas le lui crier deux fois. Son Enflure bondit.

— Merde, t’v’là, et moi qu’j’me caillais l’raisin à m’demander…

— Tu m’écriras le reste ! coupé-je. Tiens, voilà un feu. A l’arrière de l’ambulance se trouvent trois mecs, dont deux sont flics. A toi de jouer, je ne peux t’aider, étant obligé de contrôler Monsieur.

— On f’ra sans toi, mon pote, déclare la grosse mère (goût bulgare) en zozotant biscotte la triste absence de son râtelier.

Il passe à l’arrière du véhicule et ouvre les lourdes à la volée. J’ai beau essayer de mater la scène, ce qui se passe est beaucoup trop rapide pour qu’il me soit permis de t’en dresser un rapport scrupuleux.

Certes, le Mastar bénéficie de l’effet de surprise, certes, le fait qu’il soit déguisé en femme l’aide à enviander ces messieurs. Toujours est-elle (puisqu’il est provisoirement dame) qu’une rapide échauffourée dissipe les malentendus. Je crois comprendre, en décomposant ce que j’ai aperçu et en essayant de replacer les morceaux dans un ordre chronologique, je crois savoir, répété-je, que Sa Majesté a bondi tel un taureau dans la reine. Et puis elle a billé avec une promptitude et une massivité qui l’ont mise hors concours depuis lurette en matière de coups de main et blessures pouvant entraîner la mort sans intention formelle de l’abonné. Reconnaissons, sans vouloir diminuer ses mérites, que ses adversaires (si peu) sont assis de dos par rapport à l’intrusion du chourineur. Le premier à sa portée a eu droit à un coup de crosse dans la boîte à idées, le second à un coup de tronche dans la margoule, puisqu’il venait de se retourner, et le troisième à un crochet du gauche à la tempe. Tu comptes jusqu’à quatre, le plus vite possible, et c’est la durée de cette action émérite.

— Ferme la porte, Ninette ! dit le Gros à Ivana, toujours docile.

Et d’hurler à notre intention :

— L’arrêt-buffet est terminé, pour moi, chauffeur, c’sera Porte d’la Chapelle, j’vous prille.

ET DES CHAPITRES TREIZE COMME ÇA ; T’EN AS DÉJÀ LU, DES CHAPITRES TREIZE COMME ÇA ?

Bon, on ne chôme pas. C’t’un book où tout va très vite. Je ne marne pas dans le statique.

Que je t’enchaîne…

Lorsque le conducteur de l’ambulance arrête celle-ci, dans un chemin creux allant se perdre dans un bois touffu, je l’en fais descendre, toujours sous la menace de mon pétard, en le priant en allemand, mais avec des gestes bulgares, d’enjamber son levier de vitesses afin de débarquer par ma propre portière. Ce, tu l’auras vaguement pigé, pour le délivrer des mauvaises tentations.

Il obéit et je vais ouvrir l’arrière. Une odeur d’éther m’agresse les trous de pif.

— Boûhfff, viv’ment un peu d’air frais, j’commençais à m’envaper, déclare le Majestueux.

Ivana somnole sur le plancher, entre les jambes des autres Bulgares, lesquels sont franchement out.

— Où en sommes-nous ? questionné-je.

— J’ai soporifié ces messieurs, révèle le Gros, pour débuter un’ p’tite asthénie locale, entièrement au jus d’os. Ensuite, j’y ai fait écluser une bouteille d’éther qui s’trouvait dans c’mignon placard d’fer qu’a une croix rouquinos peinte dessus.

« Tiens, il en reste pou’l’chauffeur, assure-t-il. Bois, mon grand ! »

Mais l’autre refuse. Alors il le sidère d’un parpaing au bouc et lui fait absorber posément le volatil breuvage, et volatil pas que l’autre s’endort comme un caillou.

— Coltine ces braves gens dans un fourré, Mec ! enjoins-je au Mammouth. Et ligote-les un peu, ça nous gagnera du temps.

— Et toi, l’artiss ? Les basses b’sognes t’ rechignent ? grommelle la chère grosse nounou bulgare.

— Moi, je vais m’occuper de la blessée. Il s’agit de Mme Siméon Grozob, figure-toi.

Ivana n’est pas dans son assiette. Les vapeurs d’éther l’ont contagiée, probable. La voici, pâlotte, les lèvres retroussées, les jupes de même, sur le point de défaillir.

Je lui conseille de s’aérer les éponges. Puis, aidé du gars Béru, je tire le brancard de l’ambulance afin de le déposer à l’air libre. Mme Grozob vogue toujours dans l’inconscience. Je lui donne des petites tapes sur la joue, comme on doit le faire pour aider une personne médicamentée à refaire surface, mais elle tarde à revenir à nous, voire plus simplement à elle.

Encore de l’attente.

Pour la tromper, j’aide Bérurier à vider l’ambulance.

* * *

La nuit descend dans du crachin. On ne peut appeler cela la pluie, ça produit comme lorsque tu passes à proximité d’une pelouse arrosée par un tourniquet et que tu ramasses sur la frite des espèces d’embruns vaporeux.

— Vous m’entendez, madame Grozob ?

En allemand. Mais elle pige pas. En anglais non plus. En rien qu’en bulgare, comme l’écrirait un non académicien que je connais.

Faut comprendre : c’est une personne d’humble extradition, comme dit Béru. Elle était maquisarde avec Grozob, faisait la tambouille, soignait les blessés, fille d’artisan yogourtier, si je réfère son curry-cul-l’homme. Humbles gens (la cabane est pauvre mais bien close). Les langues étranges ? Fume ! Etrangères ? Pas le temps. No memory. Les pauvres, ils passent leur vie à mal parler leur propre dialecte, c’est pas pour se faire tarter l’oigne à gabouiller les patois d’ailleurs, merde !

Bon, faut l’interprétise d’Ivana.

J’explique bien, de mon mieux à celle-ci qui paraît avoir récupéré, que j’entends poser des questions à la dame. Qu’elle y aille molo : voix douce haleine Colgate[9].

Elle comprend.

Dès lors, mon interro commence.

J’aimerais tellement mieux m’adresser directement à elle ! Ivana, après les contrecarres qu’elle nous a manigancés, au début de nos relations, je garde une confuse méfiance. Logique, non ?

Mais quand on n’a pas le choix, on n’a pas le choix, dirait ma concierge si j’en avais une.

Voilà pourquoi j’y vais, bille en boule :

— Nous sommes des amis. Existe-t-il un endroit, dans la région de Ruse, où nous pourrions vous conduire afin que vous soyez en sécurité ?

Elle balbutie quelque chose.

— Was ? je demande.

— Elle a une très vieille tante qui l’a élevée et qui habite Chibrak, au bord du Danube.

— Dites-lui que nous allons l’emmener là-bas. Maintenant, demandez-lui si elle est au courant du secret concernant l’œil de verre de son mari.

Ivana questionne et je scrute l’expression de Mme Grozob. Elle secoue négativement la tête en balbutiant des choses d’un ton las.

— Alors ?

— Elle dit qu’elle ne comprend rien à cette histoire d’œil. On l’a déjà questionnée pendant des heures là-dessus, en la menaçant, mais elle a été incapable de parler.

Pas une seconde je ne mets en doute la sincérité de la veuve. Il y a dans son visage, dans sa voix, dans ses yeux, ce je ne sais quoi de désespéré qui est le propre de ceux qu’on interroge sur un sujet qu’ils ignorent. Je suis certain que si elle savait elle parlerait, et c’est parce que Siméon Grozob était persuadé de la chose, lui aussi, qu’il n’a jamais mis sa grosse bobonne au parfum de sa combine diabolique.

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9

J’ai mis Colgate comme ça, mais c’est pas pour qu’on m’en donne, j’use un autre.