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Et, le pensant, je me dis :

— Mon Tantonio-Chéri, tu dois absolument, je répète : ab-so-lu-ment, prendre les devants et visiter cette baraque avant les gentils Bulgares. Certes, la maison natale du grand Grozob se trouve en partie dans l’eau, et le flot galope de ses parts et d’autres, rendant l’approche périlleuse. Mais toi, les périls, hein ? Tu m’as compris tu m’as. Pas la première fois que tu vas risquer ta merveilleuse peau si convoitée par les dames.

— Tu penses t’à quoi t’est-ce que ? me demande l’Enflure, sa main droite posée sur mon épaule gauche comme un sac de farine.

Comme je ne réponds rien et qu’il a tout compris, il déclare :

— Vas-y pas, mon Grand, tu te noiererais av’c c’te tisane en furie. Si les militaires restent z’aux bords des abords au lieu de prendre un barlu, c’est qu’y savent impertinemment qu’a pas mèche de ramer jusqu’à.

Comme je descendais des fleuves impassibles… récité-je, tandis qu’il jacte.

La voix de l’oraison, comme disait l’aigle des mots. Mais foutre, fichtre et merde en branche !

Si près de ce qui peut être le but, vais-je abdiquer ?

Me laisser démoraliser par une simple inondation bulgare ?

— Il me faudrait une longue corde, révassé-je.

Sa Majesté ricane.

— De trois cents mètres, n’est-ce pas, mon cher baron ? Et de quelle couleur est-ce que vous la souhaitereriez ?

— Ou alors, une tenue de plongée.

— Vous avez-t-il une marque préférée ? persifle la mère Béru.

— Ou, pour le moins, un bidon vide hermétiquement bouché ? m’obstiné-je (carbonique) à énumérer.

Cette fois, l’Ampleur ne donne pas le répons mais hoche la tête.

Et puis s’éloigne à pas de loup-garou sous la lune voilée comme une vieille roue de vélocipède.

Ivana se blottit contre moi.

Voilà une petite convertie qui a joué ma partie scrupuleusement. Afin de la récompenser, je lui décerne le gros bisou de San-Salvador, avec accompagnement trifouilleur de ma dextre dans sa région danupubienne. Foutudiable, j’aurais d’autres chats à fouetter, c’est bel et bien le sien que je choisirais encore.

A peine qu’on a achevé de s’entre-déguster les amygdales, la voix de tout-à-l’égout du Mastar retentit.

— Est-ce qu’c’t objet va conviendre à son Altesse Royale ?

Il brandit un jerrican d’essence.

— J’sus été le décrocher à l’arrière d’une jeep, explique-t-il, et je te porte à la connaissance que tous les bidasses ronflent, qu’c’est à s’demander si c’sont des fantassins ou des aviateurs.

Il vide le bidon, le rebouche.

— Si j’ai bien pigé tes intentions, mon grand, tu veux t’en servir comm’ bouée de sauvage ?

— Textuel.

— Alors dessape-toi, Bébé Rose, et v’là la sangle qui maint’nait le jerrican pour t’l’attacher su’l’poitrail. Moi, qu’est-ce j’peux faire pour t’aider ?

— M’attendre, en aval de la rivière, plus bas qu’la ferme, à la pointe de cette anse plantée de saules pleureurs, que tu aperçois avant l’embouchure. C’est là-bas que je vais tenter de rejoindre la rive.

— Tu croyes pouvoir lutter cont’ le courant, Sana ?

— Je ferai l’impossible.

On ne s’en dit pas davantage. Nous, le Gros et moi, dans les périodes critiques, on a tendance à éviter les discours. On déconne mais on ne parle pas. Ou bien on la boucle, ce qui est beaucoup mieux…

— N’oublie pas de prendre mes fringues avec toi ! recommandé-je.

La môme Ivana, quand elle a pigé mes intentions, se jette à mon cou en suppliant : « Nein, oh ! nein », qui fendrait le cœur d’un as de trèfle. Je lui tapote la joue en proférant des paroles rassurantes.

— Fais-toi-z’en pas pour elle, murmure le Mammouth, j’vas m’en occuper, qu’elle console un brin, quitte à m’faire bricoler un’p’tite pipe si b’soin s’rait.

Fort de cette assurance, je m’engage lentement dans l’eau glacée. Ce qui m’amène à gesticuler désespérément, donc à nager avec une vigueur en comparaison de laquelle les bielles d’une locomotive lancée à cent cinquante à l’heure ressembleraient à des fouets à mayonnaise.

Jouant mon va, tu sais quoi ? Oui : tout ! J’ai le culot de gagner le mitan de la rivière en délire, ayant remarqué que le courant file droit sur la fermette, puis qu’il oblique brusquement à gauche, parvenu à cent mètres d’elle, refoulé par un amoncellement de roches. Le tout est de ne pas me fracasser contre les rochers d’une part, et de ne pas me laisser charrier à dache par le flot, de deux parts.

Faut être courageux pour tenter une chose pareille, tu sais ! Je veux pas me donner la palme, encore que j’en aurais grand besoin pour nager présentement, mais je ne vois pas beaucoup de gens, à l’Académie Française, excepté Jean Dutourd, lequel nage comme un triton, ses lunettes sur le front, qui pourrait s’offrir une performe de ce gabarit.

Je sens le courant me capter. Il m’empare, me bouscule, m’engalope avec lui vers j’ignore quelles abysses. Je suffoque, je Suffolk, je sus phoque. Ah ! l’horrible sensation ! Goinfré d’eau, étourdi, dominé, happé, pris, malmené. Sans le jerrican, j’aurais coulé instantanément, tant l’eau est en violence inouise. Mais le providentiel bidon assure ma flottaison. Je plonge pour émerger aussitôt. Et quand mon cher visage refait surface, j’ai le temps d’apercevoir la rive qui ouragante, déferle en grande cavalcade et sarabande (de cons).

Les projecteurs me permettent de situer l’ampleur de mon déferlage. J’arrive près du monticule de roches. A cet endroit, ça bouillonne comme sur l’évier du Niagara. L’écume gerbe à tout berzingue. Et la rivière grondasse comme un dogue allemand (ces cons) quand tu t’approches de son repas.

Je lutte farouchement contre la force irrésistible qui naninana nana nanère.

Et mon ange gardien réussit la prouesse de me centrifuger loin des roches. Je déboule sur une aire de repos d’eau qui succède au monstrueux remous. Nager jusqu’à la maisonnette n’est plus qu’un jeu d’enfant de Marie.

Maintenant, c’est de la tartelette. Le tout est de ne pas rester dans la lumière intense des projecteurs, des fois qu’un guetteur regarderait de ce côté-ci en allant pisser. Fort heureusement, l’une des faces de la crèche est restée dans l’ombre. Et reheureusement, elle comporte une fenêtre.

L’ouvrir ne vaut pas la peine d’en faire un documentaire. Je m’introduis dans la masure (c’en est une) envahie par l’eau jusqu’à mi-cuisses.

* * *

Plus que modeste, la natale maison de Siméon Grozob. Quatre pièces en enculade et meublées chichement. Pas de cave, pas de grenier. Il y avait probablement une grange, jadis, mais elle a dû s’écroulaga avec le temps et les crues (il faut laisser les crues se tasser, qu’il dit comme ça, mon Béru, j’allais oublier, pardon escuse).

A propos des meubles : ils flottent presque sur l’eau noire. La lumière des projos inonde l’intérieur par faisceaux intenses. La vision de cette maison désolée, si pauvre et clahuteuse[10], a quelque chose d’hallucinant.

Je claque des chailles. Mais la première partie de mon expédition ayant réussi, je dois continuer. Haut les cœurs, les mains, les bibites ! A toi Santonio ! Sus ! Suce ! Tu es à pied (et point nommé) d’œuvre. La réussite te sourit niaisement, profite, mon fils, profite !

Alors je procède à un rapide tour du propriétaire, si je puis user d’un si funeste terme en pays socialo. Ce serait vite fait sans l’inondation.

Je contemple les humbles pièces. Il les a conservées telles qu’elles furent en son enfance, le Secrétaire Général. La pièce commune, trois chambres de faibles dimensions… Il aurait pu les rebecqueter, leur adjoindre du sanitaire, quelque confort. Mais non, soit par esprit conservateur (pour un communiste, hum), soit pour servir sa légende, il a laissé les lieux en état, et c’est un très mauvais état.

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10

Clahuteuse ne signifie rien d’autre que ce besoin qui m’a pris de l’écrire.