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Il cueille la boule de verre et la lui présente comme on dut présenter à Marie-Antoinette le fameux collier qui devait tant faire chier Louis XVI.

— Et la conclusion de mes réflexions, mon ami, la voici ! L’œil ! L’œil de Siméon Grozob ! Ici ! Entre mes doigts On l’a désinfecté, rassurez-vous. Un truc qui sort d’une orbite communiste, vous pensez ! Je vais vous le remettre, Mathias. Oui : à vous. Et vous allez lui arracher son secret. A première vue, si je puis m’exprimer ainsi à propos d’un œil, il n’a rien de particulier. Et pourtant il recèle quelque chose de capital. Vous devez découvrir ce quelque chose ! Absolument ! Je reprends : ab-so-lu-ment ! Bien reçu ? Cinq sur cinq ? Je vous interdis de faire quoi que ce soit avant d’avoir réussi, vous me comprenez, Mathias ? Défense de baiser votre femme, de déféquer, de regarder la télévision, quand bien même il y aurait Guy Lux. Vous travaillez là-dessus, à corps perdu. Dois-je répéter ou c’est compris, admis ?

— J’ai parfaitement compris, monsieur le…

— Parfait. Prenez l’œil. Attendez : je le dépose dans ce cendrier et je me reculerai pendant que vous le saisirez. Dites-vous qu’à compter de tout de suite, j’attends votre rapport, en m’étonnant de ne pas l’avoir encore reçu. Si vous m’apportez la solution franche et massive dans un laps de temps record, je vous récompenserai, mon garçon. Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ? Hmmm ? San-Antonio, vous qui le connaissez, qu’est-ce qui lui ferait plaisir ?

Je souris.

— Ma foi, monsieur le directeur, la boutonnière de Mathias est vierge et…

— Vendu ! écrie le Boss. Les palmes ! Il les aura. Vous aurez les palmes, Mathias. Mais ne comptez pas sur moi pour vous les remettre : vous sentez beaucoup trop fort pour que je me risque à vous donner l’accolade !

CHAPITRE QUATRIÈME, QUI DIT BIEN CE QU’IL VEUT DIRE, MAIS QUI N’EN DIT PAS LONG. ENFIN, L’ESSENTIEL C’EST QUE CE SOIT SALINGUE, NON ?

Le saxo est un instrument de clown et c’est pour cela qu’il m’émeut. Ses sonorités vous gratouillent l’âme. On pense à des lumières, à des instants de liesse précaire. A un tohu-bohu.

J’écoute le lamento d’un saxo dans une venelle de Venise, pas trop éloignée du théâtre de la Felice. La venelle débouche sur une plus vaste artère dont j’ai oublié le nom, mais attends-moi là, je vais le rechercher sur le Guide Bleu (des Vosges Gazé)……….

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Ici s’intercale une brève absence du maître.

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Voilà ! C’est la Calle Larga XXII Marzo. Faut pouvoir mémoriser ce blaze, hein ? Elle est ma préférée de la Cité de Casanova. J’aime ses dimensions, la qualité des magasins qui la bordent, les dalles de pierre sur lesquelles vont et viennent les chiens du quartier, porteurs de grosses muselières qui font songer à des supplices antiques. Des boutiques d’antiquaires, principalement. Quelques-unes qui vendent ces saloperies de verre dont le touriste est ébloui. Le verre est une matière que je hais, exception faite pour quelques peintures naïves du 17e exécutées sur vitre.

Je stoppe devant la librairie qui limite la rue, là où l’on ne vend que des bouquins anciens, aux reliures vénérables, des estampes, des masques vénitiens, du passé noble, quoi. Dans la vitrine s’étale un plan de Venise, du seizième siècle, je crois. Constellé de taches brunes. Le papier supporte mal les ans, bien qu’il soit fait de bois. Les quatre points cardinaux sont indiqués. Touchants caractères un peu biscornus. Tiens, la partie texte est rédigée en français. Je me mets à composer des anagrammes. Rond, tes, dus, soute ! Marrant. C’est traduit de : Nord, est, sud, ouest par Sana, l’esprit agile de ce siècle ! A côté du plan, une gravure extraite d’un bouquin botanique représente le liseron. Et je sais que ma Félicie d’amour raffole du liseron (je meurs où je m’attache). Alors j’entre. Une dame, pas plus aimable que si elle était française, m’indique le prix. J’acquiesce. Elle va dégager la planche (coloriée main) de la vitrine.

Dans le magasin il y a un couple. Des élégants. La trente-cinquaine. Lui, un blond châtain ondulé, est abîmé dans un gros book à couverture de maroquin lie-de-vin. Elle, elle attend, assise (comme saint François d’), avec l’air de s’ennuyer poliment. Très ravissante personne, brune, le regard bleu, fringuée avec un bon goût bourgeois.

Pendant que la marchande me confectionne une sorte d’espèce de paquet, nos yeux se croisent, à la dame et à moi. Et alors, je vais te dire, c’est véry insensé, peu courant, foudroyant ; en une seconde ce double regard devient lubrique. Tel que je te cause. La jolie madame qui attend son jules doit être un peu nympho ou autre, car elle me viole d’une œillée en coup de fouet. Et mézigue, cette véhémente regardée me dégringole séance tenante dans les parties académiques. J’en hisse le grand pavois, le gros pâmois, aussi sec ; que mon matériel de tringleur doit ressembler, de profil, à un canon de D.C.A. On se précipite à notre rencontre, elle et moi, par les yeux. Une pareille intensité me fait mal.

Et un chagrin me prend. La révolte du scoubidou farceur. Je me dis : « C’est pas possible ! Je vais allonger mes lires, prendre mon pacsif et sortir ! Non, non, non ! »

Mais quoi ? Dans la vie, y a cette chierie contraignante qu’on nomme les convenances. Les plus élémentaires interdisent à un mec de se jeter sur une dame flanquée de son époux. Alors ?

Je chope mon stylo. Un morceau de papier traîne à terre. Je le cueille. J’écris en hâte et en imprimés : Gritti Palace chambre 328.

Et maintenant ?

La dame continue de me fixer. Oserai-je lui tendre ce bref message ? Impossible ! Tu vois pas qu’elle se mette à protester ? A écrier des « Mais quoi, mais qu’est-ce, bougre de sale individu ! » Et à le crier en italien moderne ! T’as des gerces qui aiment aguicher un lavedu et, quand elles l’ont ferré, le traiter de satyre.

Mon paquet est prêt.

— Grazie, signora.

En emparant la gravure emballée, je dépose le bout de papier sur une table chargée de livres, devant la dame assise. Ensuite je sors vitement, sans échanger d’autres œillades.

* * *

Le loufiat d’étage m’apporte un Pim’s Number ouane. Dans les cas d’exception, il constitue ma boisson d’apparat. C’est pas le goût qui me séduit, mais les couleurs. L’écorce de concombre, l’orange, la tige de menthe fraîche, la cerise confite, t’as l’impression de boire un jardin.

J’attends sans espoir, et pourtant quelque chose me dit qu’« elle » viendra.

Cela fait deux heures que j’ai regagné mon hôtel. On entend jacasser des gondoliers, en bas. En face de moi, il y a les toits de Venise, ponctués de minuscules terrasses fleuries, un peu bricolées, certes, mais tellement romantiques. Un gros mec torse nu arrose des plantes en pots avec un arrosoir minuscule.

Je bois mon Pim’s. Je suis en robe de chambre car j’ai pris une douche. J’ai branché la radio et une chanteuse ritale y va à fond la caisse.

Cette attente a quelque chose de stupide. De vain. D’un peu humiliant aussi. Tu penses que la gonzesse saboulée bourgeoise ne va pas prendre un tel risque ! Et pourtant ma camarade bibite, qui n’a pas oublié le double look, me conjure d’attendre. Tu ferais quoi, toi, à ma place ? Mon comportement est d’autant plus sot, grenu et saugrenu, que j’ai du boulot, moi. Un rancard important Campo San Maurizio, avec le signor Influenza. Voilà au moins une plombe que j’aurais dû caracoler jusqu’à son appartement pour un entretien de la plus haute importation.