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Un pigeon dodu vient se jucher sur l’appui de ma fenêtre. Son territoire, à cézigue, c’est pas la place Saint-Marc, trop fréquentée par les autres colombins, mais les quartiers huppés, discrets, là qu’on trouve des miettes de croissant sur les terrasses.

Je lui souris. Première fois que je souris à un pigeon. Il me regarde sans s’émouvoir. Et alors je perçois le gling-gliiiiing de la sonnette à deux tons.

Je fonce délourder. Juste avant, je plaque de la main mes cheveux décoiffés sur l’arrière par le dossier du fauteuil.

Banco !

C’est elle. Telle qu’au magasin.

On ne se dit pas un mot. Elle entre rapidement, peu soucieuse de s’attarder sur mon paillasson.

Elle fonce jusqu’au plumard. D’un geste elle dégrafe sa jupe. Ne porte rien en dessous. Déboutonne son corsage. Ne porte rien en dessous autre que ses deux admirables seins. Elle s’assied au bord du lit, ouvre impudiquement ses jambes aussi parfaites que le reste, et elle attend en me regardant d’un air, je te jure presque pathétique. Moi, je me débarrasse d’une haussée d’épaules, de ma robe de chambre. M’approche somnambuliquement et l’engouffre sans crier gare ni quoi que ce soit. Pas un mot préalable. Pas une caresse liminaire. Tout ça est d’une brutalité inouïe, et même inouise, tout en demeurant dans une vague improbabilité. En état second, tu piges ? Et je la aime aussi fort que possible. A grandes féroces tringlées rurales. Je la aime comme un taureau aime une vache en rut. Quel étrange abandon dans cette frénésie de la chair ! Ce qu’on est beaucoup de choses, tout de même ! Quelle pure merveille sensorielle ! Ya yaaaa ! Je m’auto-ravis : On est là : elle, si magistralement inconnue et totalement ardente, moi, si concomitant. Hardi, les gars ! Haut les culs ! Taïaut, taïaut !

C’est la baise intraitable. Mort, où est ta victoire ? qu’il questionnait, Roll Mops. Je prends cette personne en grande fougue, comme elle est venue, sans un son. On se développe dans les azurs. On voltige loin de nous. On s’épanouit. On explose. En même temps, comme toujours dans une super-bourrée hors compétition… Ensuite, on traverse la période d’abattement indicible. On se sent épuisés et bénis. Poliment, je la laisse passer. Je voudrais lui expliquer que la salle de bains est là où elle se trouve, mais dis, l’appartement 328 du Gritti c’est pas Chambord. Note que c’est mieux par le confort, mais de plus modestes dimensions. Elle se relève. Elle ramasse sa jupe.

Une fois sortie de la chambre, je perçois des froissements d’étoffe. Ensuite un claquement de porte. Quoi ? La petite fougueuse serait-elle partie sans me dire au revoir ni se rafraîchir ? Je bondis. Textuel. Elle a négligé la salle d’eau.

Tout se sera passé sans que nous échangions un seul mot, tu m’entends ? Pas de paroles : l’acte !

Elle est venue, elle est partie. J’ignore tout d’elle, jusqu’à sa nationalité. Je ne la reverrai probablement jamais. Elle était là, sous moi. Et maintenant ne reste qu’un subtil parfum et une tache de foutre. Ce qu’on est peu de chose !

* * *

Sa femme vient m’opener.

Une petite grosse aux cheveux blanc-bleu frisottés. Bon ton, bonne bouffe. De la moustache, mais blonde. Le regard incisif mais fuyant. Elle traîne des odeurs de parmesan et de poissecaille.

— Si : le signor Influenza est rentré. Ma il est à table.

— J’avais promis de venir plus tôt, non ?

Je lui débite des excuses fignolées. Un empêchement : ma voiture bloquée dans un encombrement, place Saint-Marc.

Elle n’apprécie pas et renfrogne.

— Je vais voir si le signor Influenza peut vous recevoir maintenant.

Il peut.

Se pointe, en manches de chemise, bretelles, pantoufles, en extrayant de ses dents des molécules de seiche à la vénitienne. C’est un petit gros pas joyeux, très brun, coiffé plat. Soucieux. Sa femme qui le fait chier ? Sinon quoi d’autre ? Il paraît en parfaite santé et doit bien gagner son bœuf si je m’en réfère à son appartement confortable.

— Commissaire Sanantonio[3] de Parigi, me présenté-je.

Il a une courbette et son regard se fait inquiet.

— Je viens pour une consultation, signor Influenza.

Vive surprise de l’intéressé.

— Mais, je ne suis pas dottore, objecte l’homme en glaviotant, façon Béru, un morceau de seiche qui constituerait un repas valable pour deux fourmis rouges dans la force de l’âge.

— Vous êtes mieux que cela, m’empressé-je. Votre réputation a dépassé les frontières de la chère Italie.

La flatterie porte toujours ses fruits, le bonhomme se décrispe un tantisoit et un projet de sourire fait frémir sa bouche. Il ressemble à Dario Moreno, l’impérissable interprète de La Marmite.

Pour lors, il me désigne une chaise garnie de satin violet qui comblerait des hémorroïdes épiscopales.

J’en use, croise mes jambes légèrement fourbues par le coït à haute fréquence auquel je viens de participer.

— Monsieur Influenza, reprends-je, vous fûtes l’un des plus remarquables travailleurs sur verre de Murano. On vous doit, entre autres chefs-d’œuvre, une reconstitution du Palais des Doges, le buste du maréchal Staline, la Naïade au poulpe, qui figure au Musée de Tokyo, la statue de Pinocchio et une course de gondoles sur le Grand Canal, exact ?

— Fantastico ! fait mon interlocuteur, tout à fait épanoui, comment savez-vous tout cela, Signore ?

— Comment sait-on que la Joconde est au Louvre, Bruxelles en Belgique et que le président Carter était marchand de cacahuètes, mon cher ?

Je fais claquer mes doigts.

— La célébrité se propage comme les ondes hertziennes. Ce qu’il y a de particulier, dans votre cas, c’est que, parvenu au faite de votre gloire en verre filé, vous avez brusquement bifurqué dans une voie inattendue. Vous étiez un artiste d’ornement, si je puis dire, une profonde modification s’est alors opérée en vous et vous êtes devenu, en très peu de temps, artiste ès prothèse.

— Si, un accident banal est à l’origine de…

— Je le connais, signor Influenza. Votre beau-père, qui travaillait comme perceur de macaroni dans une usine de Mestre, s’est foutu, comme un con, l’une de ses mèches dans l’œil droit, perdant irrémédiablement celui-ci.

— C’était le gauche, signor, me prend-il en défaut ; mais avec beaucoup de mansuétude à la sauce tomate.

— Pardonnez mon erreur, signore.

— Ce n’est pas grave.

— Donc, votre beau-père perdit l’œil gauche et après traitement, on lui confectionna un œil de verre. Seulement l’iris du cher papa de votre admirable épouse était si particulier qu’on se montra infoutu de lui reproduire le même.

— Une saloperie, signore ! s’indigne rétrospectivement mon hôte.

— C’est alors que vous entreprîtes de lui en faire un vous-même, reprends-je, et ce fut une telle réussite, une perfection si absolue, qu’à l’hôpital ophtalmologique on cria au chef-d’œuvre Le professeur Ochiali da Sole, de la Faculté de Parmesan, dont les travaux font autorité dans toute l’Europe, vous supplia de vous consacrer à cette tâche combien délicate qu’est l’œil-bidoni, que nous appelons, chez nous, en Francerie : le lampion-bidon. Et vous, conscient de l’apport que vous alliez faire à la science colmatrice, vous acceptâtes ! Délaissant vos œuvres d’art : pont des soupirs, éléphants roses, et autres charogneries du genre, vous consacrâtes dès lors tout votre beau savoir à la réalisation de prothèses oculaires. Et depuis, mon cher signor Influenza, depuis, quel chemin ! On s’arrache vos yeux. Les plus grands de ce monde font appel à vous. Dans les milieux bien informés, on n’ignore pas que l’œil de verre de la Reine d’Angleterre est votre œuvre, de même que les deux de notre grande artiste Dalida. Bravo !

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3

Sanantonio, en un seul mot, c’est comme ça qu’ils m’écrivent, chez Arnoldo Mondadori, mon éditeur italoche, que tu crois qu’il m’enverrait un mot, ce mec, moi qui raffole tant de l’Italie ! Tiens, fume ! J’ai seulement jamais reçu une cartolina de lui. Si je ne voyais pas les traducs, je me demanderais s’il existe.