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Le transit par l’espace du saut ne durerait que cinq jours, laps de temps relativement court. Le saut vers Cydoni ne demanderait guère plus, mais atteindre Sancerre serait beaucoup plus long.

L’espace du saut avait toujours été ce néant bizarre, étrange et apparemment infini de terne noirceur uniquement éclaboussée de rares apparitions de taches lumineuses. Ce qu’étaient ces lumières, ce qui les provoquait et les raisons de leur surgissement, tout cela était une énigme du temps de Geary, et le mystère, dans la mesure où il n’existait aucun moyen d’explorer l’espace du saut, restait insoluble à ce jour. Idée rassurante : quelque chose au moins n’avait pas changé depuis son époque.

Mais il n’eut droit, durant tout le voyage, qu’à ce seul réconfort. Non seulement la coprésidente Rione, la seule à qui il avait cru pouvoir partiellement se confier, ne l’avait plus abordé ni ne lui avait adressé de messages depuis leur dernière querelle, mais encore devait-il s’inquiéter, comme à l’ordinaire, des mauvaises surprises que les Syndics leur avaient peut-être ménagées à Strabo. Ils pouvaient l’avoir devancé, avoir pressenti qu’il devinerait où le conduiraient ses destinations suivantes et qu’il avait fait volte-face en conséquence. Mais s’abandonner à de telles craintes risquait de le paralyser et de lui interdire toute décision, puisqu’ils auraient aussi bien pu prévoir une tout autre ligne d’action.

Non, c’était autre chose qui le tarabustait cette fois. Au quatrième jour du saut, il avait réduit à deux le nombre de ses problèmes : celui, tout nouveau, que lui posait le capitaine Falco et l’autre, plus ancien, du capitaine Numos et des officiers mécontents dont il était le porte-parole. Je peux sans doute en régler un moi-même. Mais les deux… ? Que se passera-t-il si Numos voit en Falco la figure de proue qui lui manque pour remettre gravement en cause mon autorité ? À notre arrivée à Strabo, ils disposeront de près d’une semaine pour réfléchir à un moyen de me pourrir la vie et de mettre cette flotte en péril.

Plus frustrant encore, un bilan de la masse monstrueuse des messages échangés entre les vaisseaux de l’Alliance avant son départ de Sutrah lui était parvenu sans qu’aucun n’indiquât que Falco et Numos eussent communiqué, mais cela ne prouvait strictement rien. Avec tout ce trafic de navettes de vaisseau à vaisseau, on aurait aisément pu faire passer du papier. Cette absence totale de messages détectables entre Falco et les autres officiers semblait tirer comme un signal d’alarme dans son esprit. Falco, visiblement, aimait être le centre de l’attention générale et se servait de son entregent et de son charisme pour avancer dans sa carrière et faire progresser ce qu’il croyait être les intérêts de l’Alliance. Il ne pourrait s’empêcher d’essayer de persuader d’autres officiers de se ranger derrière lui, ce qui signifiait que les messages qu’il faisait très certainement circuler n’avaient tout simplement pas été détectés par Geary ni par aucun de ses plus solides alliés parmi les commandants de vaisseau.

Deviendrais-je paranoïaque ? Mais Duellos et Rione m’ont tous les deux prévenu contre lui et ils se sont révélés chaque fois très avisés. Dommage que je ne puisse pas communiquer réellement avec Duellos, puisqu’on ne peut recevoir dans l’espace du saut que de brefs messages rudimentaires. Et dommage aussi que Rione refuse de me parler.

Geary observait les lumières errantes, de plus en plus irrité, en se demandant ce qui allait se produire dans le système stellaire de Strabo.

Pour une étoile, Strabo ne pouvait guère plastronner. Sa taille avait tout juste permis à la fusion nucléaire de s’y déclencher et de s’y maintenir pour en faire une étoile plutôt qu’une géante gazeuse. Ses satellites eux-mêmes auraient davantage convenu à une planète qu’à un soleil : un assortiment de cailloux stériles orbitant près d’elle. Geary avait vu nombre de systèmes stellaires et ne s’en rappelait aucun qui fût aussi piètre et pitoyable que Strabo. Pas étonnant que la petite station de secours qu’y avaient jadis entretenue les Syndics soit désaffectée depuis beau temps.

« Néant », fit remarquer Desjani.

Il hocha la tête. « Faites-vous allusion aux éventuelles menaces du Syndic ou à ce système stellaire ?

— Aux deux, dit-elle en souriant.

— Les senseurs de la flotte scannent-ils déjà ce système en quête d’anomalies pouvant indiquer la présence de champs de mines ?

— Oui, capitaine. Les senseurs sont réglés pour des balayages automatiques, afin de les rendre plus efficaces que lorsqu’ils ciblent un secteur en particulier. Aucune mine n’a encore été détectée.

— Très bien. » Pas non plus de vaisseaux ennemis repérables. Geary vérifia sur l’hologramme. La flotte de l’Alliance se déployait autour de l’Indomptable et chacun de ses bâtiments maintenait la position qui lui avait été affectée. Aucune menace. Aucun problème apparent venant de Falco et Numos. Comme à Sutrah, Geary se demanda ce qu’il pouvait bien négliger.

Strabo réussissait aussi à se montrer insignifiante par le nombre de ses points de saut. Même Sutrah pouvait se targuer de quatre, quand Strabo n’en possédait que trois. Celui qui permettait d’accéder à Cydoni était diamétralement opposé à leur point d’émergence par rapport au luminaire. Pour l’atteindre, la flotte devrait passer devant le troisième, qui ne conduisait directement qu’à un seul système du Syndic ignoré par son hypernet avant de donner accès à deux autres dont Geary était persuadé qu’ils seraient protégés par des pièges ou des mines, puisqu’ils faisaient partie de ceux que la flotte aurait pu rallier depuis Sutrah. Devoir frôler ce troisième point de saut n’était pas sans l’inquiéter quelque peu, mais rien non plus ne semblait le contraindre à le contourner largement. Lors de son plus proche passage, la flotte en serait encore éloignée de plusieurs minutes-lumière. Lui imposer un plus large crochet afin d’augmenter cet écart ne ferait certainement qu’alimenter les rumeurs sur son excessive pusillanimité.

Il contrôla les manœuvres à effectuer et ordonna à la flotte de gagner le point de saut menant à Cydoni. Compte tenu de la relative petitesse de ce système stellaire, elle l’atteindrait dans un jour et demi.

Il profita de ce laps de temps pour réunir les commandants de vaisseau et organiser une nouvelle séance de simulation. Tout se passa comme sur des roulettes, chaque vaisseau exécutant fidèlement ses ordres. Ç’aurait sans doute dû le satisfaire, mais tel ne fut pas le cas. Ses officiers les plus problématiques se montraient bien trop dociles. Il n’avait essuyé aucune rebuffade de la part de Falco, de Numos ni d’aucun des personnages secondaires qui, depuis qu’il avait pris le commandement, s’étaient heurtés le plus frontalement à lui. De temps à autre, des navettes se frayaient un chemin entre les vaisseaux pour, croyait-on, des transferts routiniers de pièces détachées, de matériel ou de personnel. Geary avait la conviction qu’ils transféraient aussi des appels de Falco, mais il ne voyait vraiment pas qu’y faire. J’ai déjà vérifié auprès de la sécurité et l’on n’a pas pu me garantir qu’on pourrait trouver serait-ce un bref message vidéo, même en réduisant une navette en pièces détachées. Duellos n’a entendu parler de rien, mais personne ne lui adresse la parole puisqu’on le sait de mes alliés.

Je pourrais certes mettre Falco aux arrêts préventifs. Mais cette mesure risquerait de déclencher une mutinerie sur certains de mes vaisseaux, d’autant que je n’ai rien de précis à lui reprocher. Ou lui ordonner de revenir sur l’Indomptable, mais, s’il refusait d’obtempérer ou s’il tergiversait, il me faudrait alors choisir entre laisser faire et l’arrêter.