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Sa fébrilité le contraignit finalement à déambuler dans le vaisseau, en s’arrêtant de temps à autre pour parler aux officiers et aux matelots de quart, à leur poste de combat ou au réfectoire. Tous, nerveux et excités, avaient l’air de s’inquiéter tout en jubilant à la perspective de frapper durement un ennemi pris de court. Certains se posaient des questions sur le portail de l’hypernet et il leur donna de vagues assurances, en leur promettant qu’on l’investirait dans la mesure du possible.

Six heures avant d’atteindre la géante gazeuse, la flotte put enfin se repaître d’un spectacle intéressant, en dehors de la vague de destructions que son bombardement cinétique faisait pleuvoir sur ses cibles, loin devant : le détachement Furieux avait accéléré à 0,2 c et continuait de charger droit sur les planètes intérieures ; il se trouvait désormais à deux heures-lumière du corps principal, décélérait à 0,1 c et se rapprochait rapidement de la force syndic Alpha (la flottille de manœuvre).

Ne pouvant prendre directement part à une action aussi éloignée, et conscient que ce à quoi il assistait s’était déjà produit, Geary s’efforçait de ne pas trahir sa nervosité. Si jamais ces commandants compétents cédaient à la tentation d’allumer les Syndics, cette réaction compulsive se solderait par un bain de sang. Les trente-neuf vaisseaux de la flotte de manœuvre surclassaient déjà par leur nombre les trente de Cresida et, de surcroît, compte tenu de ses dix cuirassés, sa puissance de feu était d’une supériorité écrasante. Ces deux avantages suffisaient largement à inciter l’ennemi au combat, ainsi qu’il l’avait escompté. Il restait persuadé que Cresida n’aurait pas la sottise de s’engager dans un corps à corps, mais c’était précisément à ce désastre que pouvait conduire une erreur de sa part ou la présence d’esprit des Syndics.

Ne lui restait plus qu’à faire confiance aux officiers qu’il avait affectés lui-même à cette mission. Après le cafouillage de Caliban, lorsqu’il avait donné à Numos le commandement d’une formation, Geary s’était juré de ne plus jamais confier la responsabilité d’une partie de la flotte à un homme dont il se méfierait. Mais il est beaucoup plus facile de se méfier de ses subordonnés, en s’efforçant de chapeauter toutes leurs décisions, que de déléguer. Curieux à quel point ça, au moins, n’avait pas changé. On l’apprend dès le premier galon et l’on doit s’y tenir absolument en montant en grade. Du moins si l’on tient à faire un bon commandant en chef.

Deux heures plus tôt, Cresida l’avait pourtant jouée fine en obliquant comme si elle comptait procéder à une attaque frontale, avant de virer légèrement de bord, comme pour n’engager le combat qu’au passage ; mais le corps principal de la flotte n’en avait qu’à présent la confirmation. Pris de court, les Syndics n’eurent que le temps de réagir avec maladresse, confirmant ainsi le présupposé de Geary selon lequel leurs équipages étaient composés de novices. Leur formation tenta de pivoter autour de l’axe de son vaisseau amiral pour se retourner et présenter un mur de bouches à feu au détachement Furieux. Mais quelques-uns manœuvrèrent trop tard et dépassèrent en trombe leurs camarades encore en train de culbuter, tandis que plusieurs traversaient l’espace même où d’autres s’efforçaient de pivoter. Quelques vaisseaux frôlèrent la collision d’un cheveu, tandis que la formation du Syndic se débandait et laissait à découvert, sans aucune protection, son flanc sur lequel piquait le détachement Furieux. Alors qu’ils tentaient vainement de concentrer leur tir sur les vaisseaux de l’Alliance en approche, ce dernier passa en trombe le long de ce flanc vulnérable et le déchiqueta littéralement, chacun de ses vaisseaux le submergeant l’un après l’autre sous un déluge de feu.

L’Indomptable dénombra les pertes du Syndic et Geary poussa un soupir de soulagement : un cuirassé plusieurs fois lacéré et en perdition, à la dérive ; deux croiseurs de combat gravement endommagés ; les quatre croiseurs lourds et cinq des avisos de ce flanc de la flottille détruits. Le bilan des avaries transmis à l’Indomptable par le détachement Furieux lui parvenait à présent avec le film du combat, révélant que les vaisseaux de l’Alliance n’avaient que peu souffert, voire pas du tout. « Beau boulot, lâcha le capitaine Desjani.

— Superbe », renchérit Geary avant de se raidir. Arrivant avec deux heures de retard, les images lui montraient que le détachement Furieux avait entrepris un très large virage sur l’aile en même temps qu’il grimpait de nouveau, comme pour revenir sur les Syndics éparpillés. Vous n’êtes pas censée faire ça, Cresida. Ne prenez pas ce risque.

Compte tenu de la vitesse acquise de ses vaisseaux, ce virage exigerait un bon bout de temps et un long crochet, même s’ils décéléraient pour en réduire le rayon. Mais il devint vite flagrant que Cresida avait bel et bien ordonné une seconde passe. Diable ! Elle aurait dû se montrer plus avisée.

Les Syndics avaient profité du délai pour reformer les rangs et présenter aux attaquants de l’Alliance leur plus lourde puissance de feu. Prévoyant visiblement un autre assaut contre son flanc, leur formation rassemblait à présent en son centre toutes ses unités légères rescapées, tandis que les cuirassés et croiseurs de combat s’alignaient sur deux plans verticaux, dont les tranchants les plus étroits faisaient de part et d’autre face à l’ennemi, telles deux tranches de pain prenant les bâtiments les plus faibles en sandwich. Voir ces gros vaisseaux servir d’escorte à des bâtiments plus petits censés les couvrir ne manquait pas d’ironie, mais la rapidité avec laquelle les Syndics avaient mis au point une contre-attaque à la manœuvre de Cresida l’impressionna.

« Que croyez-vous qu’elle a fait ? » s’enquit le capitaine Desjani d’une voix plus intriguée qu’anxieuse. L’emploi du passé sonnait curieusement, puisqu’ils assistaient à des événements qui s’étaient déjà déroulés, mais il soulignait au moins ce fait essentiel : le résultat, bon ou mauvais, était déjà acquis.

« Nous ne tarderons pas à le savoir », répondit-il en s’efforçant de ne pas laisser transparaître sa colère devant les agissements du Furieux. Il ne pouvait rien empêcher, rien y changer, et devait se contenter de regarder passivement se dérouler sous ses yeux, à mesure que la lumière du combat parvenait à l’Indomptable, une affaire déjà pliée depuis deux heures.

Le détachement Furieux avait désormais adopté une formation longue et mince, en crayon aplati. Geary la fixait en essayant de comprendre pourquoi Cresida avait ainsi disposé ses bâtiments. Les deux forces se rapprochaient très vite, à une vitesse relative combinée d’un peu moins de 0,2 c, la flottille du Furieux accélérant autant que ses vaisseaux agiles triés sur le volet pouvaient se le permettre. À cette célérité, compte tenu des effets de distorsion relativistes qui rendaient toute visée imprécise, les deux camps auraient sans doute les plus grandes difficultés à engager le tir, mais les conditions de combat restaient dans des limites acceptables.

Cette vélocité et la difficulté qu’elle engendrait (l’impossibilité de distinguer les mouvements des autres vaisseaux) ne laissèrent aux Syndics qu’un très bref laps de temps pour réagir à la modification de leur trajectoire que Cresida imposait de nouveau à ses vaisseaux : le détachement Furieux venait de piquer vers le bas, sous le ventre des défenseurs de la formation syndic qui les attendait, et visait à présent un angle vulnérable de son rectangle de bâbord. Le seul vaisseau ennemi qui le défendait essuya le feu de toute la formation de l’Alliance lors de son passage, un vaisseau après l’autre vidant ses armes sur ce bâtiment cerné qui ne pouvait riposter que par une salve unique à chaque fois. Certes, nombre de tirs de l’Alliance manquèrent leur cible en raison des problèmes de visée, mais le déluge de feu était si considérable qu’ils n’en firent pas moins mouche à d’assez nombreuses reprises.