La formation de l’Alliance tout entière passa sous celle du Syndic et continua de plonger pour accroître la distance, en laissant le nuage en expansion des débris d’un cuirassé ennemi dans son sillage.
Desjani rigolait doucement. « Ils vont être très fâchés contre le capitaine Cresida. C’était bien joué, capitaine Geary. Elle les a nargués deux fois et les a chaque fois frappés durement. Regardez, maintenant… ils se rassemblent pour la traquer, mais elle ne se dirige pas vers la cinquième planète.
— Non. » Geary étudiait la trajectoire adoptée par le détachement Furieux en même temps que les systèmes de manœuvre de l’Indomptable évaluaient sa destination. « Cresida a opté pour les chantiers spatiaux gravitant autour de la quatrième planète. » Ces énormes complexes industriels étaient sans doute les cibles les plus intéressantes du système. Geary, qui souhaitait les piller d’abord, avait donné à Cresida l’ordre de les épargner, mais, en passant près d’un cuirassé et d’un croiseur de combat pratiquement terminés qu’on tentait frénétiquement d’éloigner des sites de construction pour les sauver du bombardement cinétique de l’Alliance, le détachement Furieux pouvait aisément les détruire.
Elle s’est très bien débrouillée. Durant toute l’opération. Mais, si j’avais pu communiquer instantanément avec elle, je lui aurais probablement ordonné de procéder différemment parce que je ne me serais pas fié à son jugement. Tâche de t’en souvenir, Geary. Il y a des têtes bien faites parmi ces commandants de vaisseau, et ils prêtent attention à tes paroles. Tu dois aussi leur faire confiance. Il pressa sa touche des communications. « Au capitaine Cresida et à tous les vaisseaux du détachement Furieux, ici le capitaine Geary. Excellent travail. Continuez », déclara-t-il, conscient que le message ne leur parviendrait pas avant des heures.
Lorsque la flotte de l’Alliance dépassa la géante gazeuse intérieure, anéantissant les sites industriels du Syndic épargnés par le bombardement et balayant tous ses vaisseaux marchands de cette zone de l’espace, Geary n’avait toujours reçu aucune réponse à ses offres de reddition. Les transports de minerai interplanétaires et autres bâtiments commerciaux ne jouissent que d’une petite fraction de la capacité de propulsion des vaisseaux de guerre. Sans doute peuvent-ils acquérir une vélocité conséquente, mais on ne le leur en avait pas laissé le temps.
Le bombardement cinétique n’atteindrait la quatrième planète que dans deux heures, de sorte que la chaîne de commandement du Syndic était encore pleinement opérationnelle à l’intérieur du système. Geary regrettait de ne pas connaître les instructions qu’elle avait données. « À toutes les unités du corps principal de la flotte. Modifiez la trajectoire de vingt-cinq degrés sur tribord et descendez de deux degrés à T quarante-sept.
— Ils auront le temps de comprendre que nous piquons vers le portail et de réagir en conséquence avant que nos bombes cinétiques ne les touchent, regretta Desjani.
— On n’y peut rien. » Au loin, sur le côté, le détachement Furieux fondait toujours sur les chantiers de la quatrième planète. Sans nul doute fous de rage, les vaisseaux meurtris de la force syndic Alpha avaient accéléré et frôlaient à présent 0,2 c sur une trajectoire d’interception incurvée qui leur permettrait d’opérer la jonction juste avant qu’il ne les atteigne. « Quelles sont leurs chances de toucher le Furieux à cette vitesse ?
— Avec des équipages inexpérimentés et des systèmes de combat qui s’alignent encore ? Pratiquement voisines de zéro, répondit Desjani. Il leur faudrait d’abord ralentir à la vitesse d’engagement et, en ce cas, ils n’atteindraient pas à temps le point d’interception. »
Son opinion corroborait celle de Geary, qui opina puis fronça les sourcils, de nouveau taraudé par la crainte d’avoir omis quelque chose. Mais cet oubli, s’il existait, restait cantonné à l’arrière-plan de son cerveau et refusait obstinément de se manifester, de sorte qu’il s’efforça finalement de penser à autre chose dans l’espoir que ça lui reviendrait. Ce ne fut pas le cas.
À cinq heures du portail, Geary se rembrunit encore. La force syndic Alpha avait continué d’accélérer à 0,25 c et légèrement modifié sa trajectoire de manière à ce qu’elle croise celle du détachement Furieux juste avant la quatrième planète. « Pourquoi ai-je le pressentiment qu’ils n’ont pas l’intention de décélérer pour engager le combat avec le Furieux ? »
Desjani n’avait pas l’air moins éberluée. « Je vois mal quels coups ils espèrent lui porter à cette vitesse. À quoi bon tenter d’intercepter l’ennemi quand on ne le menace en rien ? Si les vaisseaux de Cresida se livrent à des manœuvres évasives, ils détraqueront complètement les calculs des systèmes de combat syndics, et les distorsions relativistes leur interdiront de voir ce que font exactement les nôtres. Même si les commandants ennemis ne s’en rendent pas compte, je suis certaine qu’on en a conscience dans les QG de ces deux planètes. Ils auraient eu tout le temps d’ordonner à la force Alpha d’opérer différemment, mais ils s’en sont abstenus.
— Pourquoi s’interdiraient-ils pratiquement toute chance de frapper nos vaisseaux ? se demanda Geary à voix haute. Pourquoi leurs supérieurs y consentiraient-ils ? »
Il avait oublié que la coprésidente Rione avait repris sa place sur la passerelle, dans le fauteuil de l’observateur. « Peut-être devriez-vous cesser de vous persuader que vous connaissez leurs intentions », lâcha-t-elle sur le ton d’un professeur admonestant un cancre.
Il se retourna vers elle. « Que voulez-vous dire ?
— Que vous parlez sans arrêt de ce qu’ils devraient faire pour frapper vos vaisseaux. Et si ce n’était pas leur priorité ? »
Manifestement peu disposée à abonder dans le sens de Rione, Desjani crispa le poing. « Si eux ne peuvent pas nous frapper, les mêmes facteurs relativistes nous interdiront aussi de les viser correctement. Ils réduisent ainsi leurs chances d’être à nouveau décimés. »
La survie comme priorité du Syndic ? Mais pourquoi ? « À quoi bon préserver le plus possible cette formation, si elle nous laisse le champ libre ?
— Ils attendent quelque chose, déclara lentement Desjani. Quelque chose qui pourrait leur rendre l’avantage. »
Geary grinça des dents. Desjani et lui étaient partis du principe qu’ils connaissaient les intentions des Syndics, puis ils s’étaient efforcés de faire coïncider leurs actions avec ces présomptions. Maintenant que Rione leur avait remis à l’esprit ce que les Syndics étaient en train de faire, leurs véritables intentions devenaient transparentes. « Ils attendent des renforts ?
— Peu plausible, mais possible, convint Desjani. Un courrier aurait pu franchir le portail sans se faire remarquer.
Mais, même alors, ils ne pourraient pas déjà attendre la réponse. Il faut croire qu’ils avaient deviné que nous tenterions de gagner Sancerre.