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Geary ressentit soudain une poussée de migraine et s’efforça de la chasser en pressant ses doigts sur son front. « Incroyable. » Très bien. Admettons que ce soit effectivement le cas, que ces équipages seront sciemment sacrifiés pour nous attirer dans ce piège et qu’ils ne pourraient pas s’y opposer même s’ils s’y efforçaient. Qu’ils seront donc dans l’incapacité d’empêcher leurs vaisseaux de s’attaquer aux torons du portail. Mais, si elle commande réellement aux vaisseaux, cette machine du Jugement dernier ne peut pas être très souple. « Puisque nous connaissons leurs intentions probables, nous pouvons prévoir les ordres auxquels se plieront les vaisseaux des Syndics. »

Desjani montra les dents. « Et nous saurons donc où ils se trouveront.

— Exactement. » Geary activa le système de combat et entreprit d’entrer des hypothèses. Si les plus valides bâtiments des Syndics recevaient l’ordre de sectionner les torons, dont la destruction serait censément programmée pour surprendre la flotte de l’Alliance au plus près du portail, où donc iraient-ils et quand ? Le système effectua les calculs et, une seconde plus tard, des trajectoires et des heures présumées s’affichaient à l’écran. « Nous pouvons les viser. Envoyez des projectiles cinétiques pour les intercepter sur leur cap prévu. Assez lourds pour percer leurs boucliers et balayer ces bâtiments. »

Rione fronçait les sourcils. « Je ne comprends pas. D’ordinaire, vous n’employez pas ces armes contre des vaisseaux.

— Non, parce qu’ils les verraient arriver et les esquiveraient. » Geary pointa l’index. « Mais, si ceux-là sont verrouillés sur un certain cap, si leur équipage ne peut pas outrepasser les instructions, autrement dit si la directive ne permet aucune souplesse de manœuvre, nous pouvons en dégommer quelques-uns.

— Je vois. » Rione hocha la tête. « C’est la seule façon de les empêcher de détruire le portail avant que nous ne l’atteignions, n’est-ce pas ? »

Geary jeta un regard à Desjani, qui opina à son tour. « Il me semble. Ça nous laisse une chance de le faire, en tout cas. Capitaine Desjani, ordonnez à vos experts en armement de vérifier mes calculs et de préparer le lancement. Je veux que les projectiles cinétiques soient largués automatiquement au moment optimal, en nous laissant une minute pour le compte à rebours.

— Pas de problème, capitaine. » Desjani désigna la vigie idoine, qui s’attela à la tâche.

La vague de destruction du bombardement cinétique atteignit et balaya la quatrième planète puis la troisième, environ une heure plus tard. En observant les images très grossies, Geary vit des explosions en série labourer les deux mondes et leurs installations orbitales. Les vaisseaux de guerre en construction volèrent en éclats sous les impacts et leurs fragments furent précipités en tournoyant dans l’espace ou y culbutèrent dans le vide, attirés dans le puits de gravité de la quatrième planète vers leur destruction. Les centres de contrôle et de commandement du Syndic disparurent en un éclair aveuglant, immédiatement suivi par un gigantesque nuage en forme de champignon qui s’épanouit vers le ciel. Sur la face nocturne visible des deux planètes, le scintillement des impacts émailla les zones enténébrées, offrant au regard un spectacle qui aurait sans doute été beau s’il n’avait pas recouvert une telle dévastation.

Près des images, les systèmes de l’Indomptable affichaient constamment un décompte des résultats qui se réactualisait si vite qu’on pouvait difficilement le suivre des yeux. Agacé et incapable de dire avec certitude ce que lui apprenaient ces chiffres sans cesse croissants, Geary ordonna à l’écran de lui annoncer combien il restait de cibles en activité. Le décompte décrut très bientôt. Centres de communications, spatioports, principaux aéroports, bases et installations industrielles militaires, défenses anti-orbitales, dépôts de munitions, de pièces détachées et de matériel, centres de recherches. En orbite, de gracieux dispositifs de satellites et d’installations se désagrégeaient sous les collisions pour se transformer lentement, très haut dans l’atmosphère, en nuages de débris en expansion. Sous ce cocon d’épaves, le déluge de projectiles métalliques continuait de s’abattre sur les deux planètes, ne laissant derrière lui que cratères et poutres enchevêtrées.

Tous les chiffres concernant les installations visées étaient retombés à zéro. « Un peu comme de tirer sur un poisson dans un tonneau, fit remarquer Geary.

— De larguer des bombes sur des tonneaux pleins de poissons, plutôt », rectifia Desjani. Le spectacle de la destruction de cibles du Syndic semblait la réjouir autant qu’à l’ordinaire.

« Les Syndics ont eu tout le temps d’évacuer ces cibles, fit observer Rione. Savons-nous s’ils l’ont fait ? »

Desjani haussa les épaules. « Madame la coprésidente, l’Indomptable lui-même ne saurait repérer autant de cibles humaines en mouvement à si grande distance, sous l’atmosphère d’une planète ou cachées par elle. Nous avons bien vu des signes d’évacuation en cours, mais, si vous souhaitez savoir si des Syndics sont morts dans ces bombardements, je crains de ne pouvoir répondre.

— Vous avez épargné certaines réserves de minerai brut », lança Rione.

Geary hocha la tête. « Et quelques installations orbitales. Il fallait leur laisser de quoi nous payer un tribut. Ou plutôt nous laisser quelque chose à leur prélever. Les négociations s’étant assez mal déroulées par le passé, je compte me borner à envoyer des détachements s’emparer de ce dont nous avons besoin. »

Rione le fixa quelques instants avant de répondre. « C’est probablement avisé. »

Il se rendit compte avec un peu de retard qu’on pouvait mal interpréter sa dernière déclaration. « Je ne vous reproche nullement le fait qu’ils n’ont pas honoré nos accords. Ma décision se fonde précisément sur leur duplicité, dont ils ont amplement donné la preuve. »

Rione acquiesça. « Merci. Bien que, comme vous-même, je me tienne pour responsable de ce que je ne suis pas en mesure de contrôler. »

Ça ressemblait beaucoup à un compliment. Geary se demanda pourquoi elle lui servait brusquement une aménité.

« Quoi qu’il en soit, je vous remercie d’avoir épargné les cibles civiles, capitaine Geary, poursuivit-elle.

— À votre service.

— La force syndic Alpha va croiser la trajectoire du détachement Furieux, capitaine Geary », annonça une vigie.

Cela signifiait que l’événement s’était produit quelques heures plus tôt, comme le bombardement auquel ils venaient d’assister. Geary focalisa dessus l’objectif de ses senseurs et vit s’incurver vers la quatrième planète la trajectoire du détachement Furieux puis la parabole légèrement moins infléchie de la flottille syndic la traverser une minute-lumière plus haut que sa dernière position. « Croyez-vous qu’ils aient disposé des mines sur cette trajectoire ? »

Desjani haussa les épaules. « Ils auraient pu tenter le coup. Le commandant Cresida s’y est certainement préparée. »

C’était apparemment le cas. Juste avant que la flottille du Syndic ne croise la trajectoire du Furieux, on vit la formation de l’Alliance changer de cap et s’en écarter de plus en plus obliquement. « Où diable va-t-elle maintenant ? » se demanda Geary à haute voix.